Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 16.10.2022 - thierry-allard - 4 min  - vu 516 fois

GARD RHODANIEN La mémoire des Harkis et la politique mémorielle en débat

Ce samedi, lors de la conférence sur la mémoire des Harkis, à Bagnols (Photo : Rémi Fagnon) - Remi FAGNON

L’Agglomération du Gard rhodanien organisait ce samedi une journée autour de la mémoire des Harkis. 

Il faut dire que le territoire a un lien très fort avec cette histoire née de la guerre d’Algérie, avec le camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, qui a regroupé plusieurs milliers de Harkis, ces supplétifs algériens de l’armée française pendant la guerre, jusqu’à 1976. 

Pour évoquer cette mémoire et la politique mémorielle qui doit aboutir, sur le territoire, sur un mémorial sur le site de l’ancien camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, l’Agglo a organisé une conférence avec Fatima Besnaci-Lancou, docteur en histoire et essayiste, qui signe avec Houria Delorme-Bentayeb, elle aussi présente samedi à Bagnols, le livre « Ils ont dit non à l’abandon des Harkis : désobéir pour sauver », ainsi que le maître conférence en histoire contemporaine spécialisé dans les politiques mémorielles et la guerre d’Algérie Marc André, auteur dernièrement d’un livre sur la prison de Montluc, à Lyon. L’idée étant, pour l’Agglo, « de se nourrir du travail » des intervenants présents pour aboutir au mémorial de Saint-Maurice, rappellera le président de l’Agglo Jean-Christian Rey en introduction. 

« En 7 ans et demi de guerre, il y a eu entre 250 000 et 300 000 hommes », rappelle Fatima Besnaci-Lancou pour donner un ordre de grandeur du nombre de Harkis durant la guerre d’Algérie. Des hommes qui étaient « dans la très grande majorité des ruraux, des paysans, des bergers, mais pas tous », précise l’historienne. Les Harkis se sont retrouvés « pris entre deux feux, entre les indépendantistes qui avaient besoin de l’aide de la population, et de l’armée qui avait besoin d’hommes pour combattre les indépendantistes », rajoute Fatima Besnaci-Lancou, avant de préciser que l’engagement, d’un côté comme de l’autre, dépendait beaucoup « des violences inhérentes à la guerre. » 

Après les accords d’Évian, vient la question du rapatriement. Une question traitée différemment selon les groupes de personnes, rappelle l’historien Marc André. « Toutes les populations ne reviennent pas de la même façon et ne suscitent pas la même politique d’accompagnement », explique-t-il. « C’est l’histoire coloniale qui se rejoue dans ces migrations, avec d’un côté les Français d’Algérie considérés comme étant de retour, rapatriés, de l'autre, les travailleurs, destinés à repartir et appartenant à l’administration qui traite les étrangers, et entre les deux il y a ce flux d’attente sur les Harkis », développe Marc André. Ces mêmes Harkis qui seront ensuite placés dans des camps durant des années, comme à Saint-Maurice-l’Ardoise. 

La France va dans un premier temps abandonner les Harkis à leur sort, et de nombreux d’entre eux vont être massacrés en Algérie. « Mais un certain nombre d’officiers commençaient à protester, et il y a eu un petit plan de rapatriement, très restrictif, pas plus de 5 000 Harkis », rappelle Fatima Besnaci-Lancou. 45 000 arrivent ensuite par le biais de l'immigration économique, mais des réseaux se forment notamment dans l’armée française pour rapatrier des Harkis malgré les ordres contraires. 

En compilant les témoignages recueillis dans leur livre, Fatima Besnaci-Lancou et Houria Delorme-Bentayeb se sont « rendues compte qu’ils étaient très différents. Ils viennent de milieux sociaux très variés, des personnages de haut-rang, beaucoup de militaires, avec à la fois des appelés, des engagés, de confessions différentes, des gens de Droite, des communistes, etc. », explique la dernière nommée. Un point commun cependant, la raison de leur engagement : « Il n’était pas question de laisser des gens subir la persécution, il s’agissait de sauver des humains », rajoute-t-elle. Un schisme entre moralité et légalité, « une question moderne », note Jean-Christian Rey. 

Une « polyphonie mémorielle »

Moderne aussi dans le cadre de la politique mémorielle. « On a tous intérêt à ce que ce soit travaillé en finesse, pour construire quelque chose de commun », avance Fatima Besnaci-Lancou.  Avec notamment des initiatives locales, en plus des lois et journées de commémoration. Reste à travailler sur la réconciliation de la mémoire et de l’histoire. « Lorsqu’on veut faire un lieu de mémoire, il arrive que ça entraîne des conflits de mémoire », note pour sa part Marc André, qui a spécifiquement travaillé sur la prison de Montluc, à Lyon.

Une prison d’abord militaire, puis utilisée sous Vichy lorsqu’elle devient une prison du régime nazi, avant devenir une prison d’épuration à la fin de la guerre, puis en lien avec les guerres d’Indochine puis d’Algérie, des indépendantistes algériens y seront guillotinés. Derrière, Montluc sera une prison pour femmes jusqu’à sa fermeture en 2009, avant de devenir un mémorial autour de la période de la seconde guerre mondiale. « Mais les mémoires s’entrechoquent : pourquoi on ne parlerait que des victimes de Klaus Barbie ? », pose l’historien, qui prône le « pas de côté. » Car au sein de cette prison, les différentes mémoires se sont mélangées par le biais des prisonniers qui y ont été placés en réclusion. Seulement depuis, « les mémoires se sont divisées, des groupes de mémoire se sont constitués », relève l’historien, qui préfère poser la question : « Qu’est-ce qu’on a en commun ? » 

L’idée est aussi et surtout de comprendre « la complexité de cette histoire », souligne Houria Delorme-Bentayeb, notamment pour transmettre cette histoire aux plus jeunes et exprimer ce qu’elle appelle « la polyphonie mémorielle. » Pour y parvenir, les exemples des « Justes » qui ont aidé au rapatriement des Harkis lui semblent un biais intéressant pour qu’ils puissent s’identifier à ces témoignages. 

Le futur mémorial de Saint-Maurice, porté par l’Agglo, fait aussi partie de ce processus de transmission de la mémoire. « On a bâti un comité de pilotage, où on a déjà mis sur la table le lieu, une question compliquée car c’est un terrain militaire, nous avons fait les acquisitions foncières, explique Jean-Christian Rey. Nous allons écrire le programme scientifique et culturel du projet. » Cette phase occupera toute l'année 2023. 

Thierry ALLARD

thierry.allard@objectifgard.com

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L'après-midi a été consacrée à un temps d'échange avec les Harkis (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

L’après-midi a été consacrée à des échanges entre les Harkis présents à Bagnols ce samedi et l’association Jeunesse mémoire franco-algérienne, dans l’idée de permettre à ces détenteurs de la mémoire Harkis de s’exprimer. 

Thierry Allard

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