Publié il y a 27 jours - Mise à jour le 13.09.2024 - François Desmeures - 9 min  - vu 1134 fois

MONT AIGOUAL Alexandre Vigne : Alti Aigoual, "une équation sans solution"

Alexandre Vigne

- DR

Maire de Lanuéjols, Alexandre Vigne est à la fois vice-président en charge du Développement économique à la Communauté de communes Causse-Aigoual-Cévennes et premier vice-président du Parc National des Cévennes (PNC). Une position à cheval dans le débat qui entoure - depuis deux ans déjà - l'avenir de la station Alti Aigoual. Alors qu'une marche doit avoir lieu demain matin pour réclamer un assouplissement des règles du PNC, Alexandre Vigne dit sa désapprobation et regrette une délégation de service public maladroite à l'époque de son écriture. 

Alexandre Vigne en compagnie de Jérôme Bonet, préfet du Gard, le 23 août dernier à Lanuéjols • François Desmeures

Objectif Gard : Les délégataires d'Alti Aigoual ont accumulé les péripéties depuis leur prise de fonction en 2019 (relire ici). Aujourd'hui, la station paraît proche de l'agonie. Vous qui avez la double casquette du développement économique pour la Communauté de communes Causse-Aigoual-Cévennes et de premier vice-président du Parc national des Cévennes (PNC), que vous inspire cette situation ?

Alexandre Vigne : Plusieurs choses. La première, c'est que, vraisemblablement, cette délégation de service public (DSP) a été mal étudiée. Je ne jette pas la pierre à mes collègues du mandat précédent parce qu'ils ont sans doute fait au mieux. Mais tout le monde est parti sur l'idée que la neige allait durer encore quelques années, ce qui a participé à mettre l'équipe de cette DSP en difficulté. À l'origine, c'était la commune de Valleraugue qui avait confié en DSP la gestion de Prat-Peyrot. La communauté de communes a repris le contrat, on n'avait pas trop le choix. Quand les choses sont mal conçues au départ, on le voit à l'usage. Désormais, c'est trop tard, on ne peut pas y revenir et, sauf s'ils jettent l'éponge avant, il faut tenir jusqu'en 2029. On apprend aussi des erreurs... Les délégataires ont donc beaucoup misé sur la neige, ce qui se comprend parce que c'est une mine d'or : avec un forfait à 16 ou 20 € quand il y a de la neige, ils arrivent à faire des week-ends à 48 000 € de chiffre d'affaires. S'ils ont dix week-ends comme ça dans la saison, on voit bien que ça fait une timballe intéressante. Mais s'il faut investir 100 000 € pour ouvrir un week-end à 40 000 € de chiffre d'affaires, on a perdu de l'argent. Ils n'ont pas eu de chance non plus : pas de neige en 2019, le Covid en 2020, puis l'interdiction d'ouvrir les remontées mécaniques (même s'ils ont eu l'aide de l'État cette année-là). Et depuis, la neige ne tombe pas au bon moment. On voit que le changement climatique, ce n'est pas uniquement une élévation de la température, ce sont des désordres du climat : en mars dernier, il est tombé 70 centimètres de neige et il faisait - 10°C. La semaine d'après, il faisait + 12°C, et il pleuvait... On n'a plus aucune visibilité sur la neige. Il ne faut plus du tout compter dessus, en tout cas dans sa forme ski alpin. Et les raquettes, le ski de fond, la luge, ça ne rapporte rien pour une DSP...

"Il faut bien voir que le Parc a apporté un plus indéniable à notre territoire"

Dans vos fonctions, entre développement économique et protection des espaces naturels, vous devez être traversé de sentiments contradictoires... ?

Il faut bien voir quand même que le Parc a apporté un plus indéniable à notre territoire. En 1970, quand il a été créé, l'agriculture, sur le territoire, était en situation de pauvreté. Le PNC a aidé les agriculteurs, à l'époque, à se développer. Il a développé l'attrait touristique pour notre territoire. Et aujourd'hui, en plus des exploitations agricoles, on voit bien qu'énormément de touristes fréquentent notre territoire. Des gîtes ont pu se créer, comme l'accueill à la ferme, la vente de produits locaux et de qualité, etc. On voit bien que le label du Parc a fait la promotion locale et qu'une nouvelle économie est née. Il faut être prudent dans les critiques adressées au Parc, même si - je le reconnais tout à fait - ça pose un certain nombre de contraintes. C'est la raison pour laquelle les élus sont présents dans le conseil d'administration, afin de faire passer des messages et trouver le meilleur équilibre possible entre protection de l'environnement et la prise en compte que le Parc est habité comme aucun autre. Il faut donc être attentif au développement économique et à la capacité des gens de vivre sur le territoire. 

Que pensez-vous, alors, du mot d'ordre de la manifestation de ce samedi ?

Je suis un peu critique parce que je ne trouve pas judicieux de réactiver les anti-parc : dès qu'il y a des contraintes, les gens sont contre. Et on voit bien que dès qu'on casse un abribus, on a une audience, alors que quand on essaie de faire avancer les choses plus démocratiquement, ça coince de partout. Mais je ne suis pas favorable à ça... À Lanuéjols aussi, des gens sont anti-parc. Aller mettre le feu sous la cocotte-minute pour faire remonter cette pression... Il faut sans doute faire en sorte qu'il y ait une meilleure harmonie entre les habitants et le PNC - je reconnais qu'il y a du travail. Mais réveiller les anti-parc, ce n'est pas une bonne idée. Je ne cautionne pas ce type de démarche. 

"La transition est un peu compliquée, je comprends que la DSP soit un peu coincée"

En l'absence de neige, les délégataires réclament le déclassement d'entre 10 et 15 hectares de la zone coeur du PNC afin de développer des activités estivales. Qu'en pensez-vous ?

Ça n'a pas trop de sens. Notre communauté de communes vient d'ouvrir le Climatographe, soit un premier centre national d'observation et de sensibilisation au réchauffement climatique. On ne peut pas à la fois prôner une attention particulière sur le changement et ses risques, la nécessité de faire attention à notre environnement et, trois kilomètres plus bas, faire l'inverse. Notamment par rapport au projet de bike-park : je comprends qu'économiquement, ce serait intéressant. Mais si on utilise des remontées mécaniques l'été pour accrocher des vélos et les faire monter, les gens vont prendre un forfait et ça fera rentrer de l'argent. Et ça veut dire, au préalable, de l'investissement : sur le tire-fesses, il faudra remplacer la rondelle par des crochets pour les vélos, les adapter. Les tire-fesses sont raides, donc il faudrait aménager le sol et passer les bulldozers : on ne peut pas voir, à Prat-Peyrot, des hélicoptères transporter des traumatismes crâniens toutes les semaines... Est-il tolérable de faire passer le bull pour faire des pistes planes ? De plus, les vélos descendent à flanc de coteaux. Si on a 300 vélos dans l'après-midi, au bout de deux mois d'été, il n'y aura plus d'herbe. Avec les pluies de septembre, ça va raviner et ce sera une catastrophe écologique. Enfin, l'été, on reçoit les transhumants. Je vois mal comment au milieu des brebis, on va faire passer les vélos. On ne peut pas dire "on va faire des sous avec un bike-park, donc il faut que les jeunes de Montpellier ou de Nîmes viennent manifester pour que le Parc cède". Pour renflouer nos caisses au détriment de l'environnement. L'équilibre ne tient pas. 

Alexandre Vigne avec la sous-préfète du Vigan, Anne Levasseur, et le conseiller départemental Martin Delord • François Desmeures

Dans ce cas, n'y a-t-il pas une contradiction à vouloir maintenir une station dans une zone coeur de Parc national ?

Ce qu'on n'a pas vu au moment de la DSP, c'est que la neige, c'est fini. Il faut effectivement engager une transition vers autre chose. Cela n'empêche pas de garder quelques remontées mécaniques encore opérationnelles, sans investissement, parce que cet hiver, il peut y avoir deux ou trois semaines de neige qui tienne. Donc, c'est un peu dommage de tout démonter s'il y a la possibilité de skier un peu. Le ski, en soi, ne détruit pas l'environnement. Si ça peut fonctionner un, deux ou trois ans, il faut maintenir, ça attire des gens. Mais il faut effectivement développer l'activité quatre saisons, pour que les gens des villes puissent profiter de cet environnement, en étant respectueux de cet environnement. La transition est un peu compliquée, je comprends que la DSP soit un peu coincée. 

"Quand quelqu'un se noie, il peut faire couler son sauveteur. Ce n'est pas la bonne stratégie."

Les délégataires réclament que la communauté de communes lui verse des indemnités pour les travaux promis dans les cinq ans et qui n'ont toujours pas débuté au 1er mai 2024, censé être la date butoir. La demande vous paraît-elle légitime ?

Il faut être objectif. Qu'a fait la communauté de communes pour la DSP depuis le début du mandat ? On les a dispensés du loyer, soit 12 000 € par an pour la mise à disposition des espaces, que ce soit la station de Prat-Peyrot, le restaurant de l'Observatoire sur l'Aigoual, ainsi que les gîtes de l'Aigoual. Chaque année, on inscrit ça dans la dette... Et puis, l'année d'après, on l'efface. La communauté de communes paie aussi à l'Office national des forêts le loyer pour l'usage des territoires. On n'a pas demandé de remboursement. Je suis arrivé à convaincre mes collègues, au début du mandat, de voter une subvention de 40 000 € afin de fournir à la DSP les premiers vélos à assistance électrique pour qu'ils puissent démarrer la location. On a aussi investi 60 000 € pour créer le petit accrobranche enfants à Prat-Peyrot pour qu'il y ait de l'activité l'été. On a ensuite obtenu l'autorisation du PNC pour qu'ils puissent installer un food-truck... L'été dernier, ils ne l'ont pas mis en place parce qu'ils n'avaient pas le personnel et que ça ne rapportait pas assez. Mais, à un moment donné, il faut amorcer la pompe ! Il n'y a plus aucune activité, hormis les promenades à cheval, sur Prat-Peyrot. C'est bien dommage parce qu'on a quand même investi. On a décidé d'intervenir pour les réparations de l'accrocbranche parce que certains sont mêmes allés voler les cordes qui servaient à délimiter les espaces. Mais ça, c'était de la responsabilité de la DSP... On a pris les compteurs d'électricité à notre nom, pour bénéficier du tarif préférentiel que nous avons avec le SMEG (syndicat mixte d'électrification du Gard). Cette année, on a payé 60 000 € d'électricité pour eux, ils ne nous ont remboursé que 20 000 € pour le moment... Ce sont des aides que nous avons votées pour les aider à tenir le choc. Pourquoi ? Parce qu'on a bien compris que c'est une équation sans solution. 

Mais dans les 130 000 € que les délégataires estiment nécessaires pour redémarrer en novembre, ils comptent 70 000 € d'indemnités de la Communauté de communes Causse-Aigoual-Cévennes pour travaux non-réalisés...

Mais pourquoi donnerions-nous 70 000 € d'indemnités ? Où sommes-nous en tort ? Les travaux, dans la convention, devaient êre réalisés en juin 2024. On est en faute que depuis juin de cette année... S'il y a des difficultés économiques, ce n'est pas la faute de la communauté de communes de ne pas avoir fait les travaux avant ! Nous, on a comme tout le monde pris le retard lié à la Covid, deux ans où on n'a rien pu faire. Ensuite on a recruté une architecte, on a fait faire les plans. On était partis sur un budget de 800 000 € mais on a eu des déboires avec cette architecte et on arrivait pratiquement à 2 millions d'euros de budget. On ne pouvait pas l'assumer... On n'a pas atteint le résultat, mais on se remet au travail, ça prend du temps. Je ne vois pas pourquoi on indemniserait la DSP alors qu'on a fait le maximum ! S'il faut aller au tribunal, on l'expliquera. Mais je pense que c'est un faux débat. Quand quelqu'un se noie, il peut faire couler son sauveteur. Ce n'est pas la bonne stratégie. Dire qu'on n'a pas fait notre travail, c'est faux et ce n'est pas honnête. Attaquer le Parc, c'est un petit peu facile. Et faire du chahut, ça aura des effets délétères. Exemple : quand je passe à Bramabiau et que je vois qu'un imbécile a écrit "Le Parc brûlera. Libertad !" Est-ce que ça, c'est vraiment la liberté de faire brûler le Parc ? Il pense vraiment qu'en brûlant le Parc, il rendra service à l'humanité ? Le Parc, c'est une administration qui a pour mission de protéger l'environnement. Il y a des contraintes, mais c'est ce qui fait qu'on peut vivre en société. Chacun ne peut pas faire ce qu'il veut au monde. Il n'y a qu'à voir comme notre territoire est extraordinaire. Ailleurs, vous trouvez des bouteilles, des plastiques dans la nature... Aller chercher querelle au Parc, ce n'est pas une bonne idée. 

"Pour des gens qui ont essayé de faire quelque chose pour le territoire, il n'est pas acceptable qu'ils soient contraints de vendre leur maison ou leurs biens propres pour rembourser des banques"

Qu'est-ce qui pourrait, alors, sortir vraiment les délégataires de la panade financière qui s'annonce ?

Ce qui marche, c'est le restaurant de l'Aigoual et les gîtes. On les a encouragés à développer au mieux ces activités-là, qui rapportent de l'argent, pour qu'ils puissent payer leurs dettes. S'il y a un peu de neige, ça apportera un peu de beurre dans les épinards. Si en 2029, à la fin de la DSP - s'ils n'ont pas jeté l'éponge avant - s'ils sont au point zéro, c'est-à-dire sans dette et en ayant payé leurs fournisseurs, ce serait quand même bien. Pour des gens qui ont essayé de faire quelque chose pour le territoire, il n'est pas acceptable qu'ils soient contraints de vendre leur maison ou leurs biens propres pour rembourser des banques. 

Pensez-vous que la station rouvrira cette saison ?

Les gîtes sont corrects, il y a des gens qui veulent venir dormir à l'Aigoual et, compte-tenu du réchauffement climatique, ça peut presque fonctionner onze mois sur douze désormais. Comme le restaurant qui, à mon avis pourrait fonctionner midi et soir, onze mois sur douze. Il faut qu'ils se réorganisent sur ce qui fonctionne. Et des week-ends de neige feront un petit surplus. On les soutiendra comme on peut mais on ne peut pas se permettre de gaspiller de l'argent public à fonds perdus. 

François Desmeures

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