Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 17.09.2020 - coralie-mollaret - 4 min  - vu 2117 fois

FAIT DU JOUR Crise sanitaire : les manades toujours dans la panade

Les gardians de la manade Aubanel

La manade de Renaud Vinuesa au Cailar (Photo : Coralie Mollaret)

Depuis le début de crise sanitaire, il y a six mois, 3 000 jours de fête ont été annulés en Occitanie et en région PACA. Un manque à gagner pour les manadiers menacés de disparition. 

« Vous les aimez nos paysages camarguais avec nos plaines et nos taureaux ? Eh bien, si ça continue, il y aura du béton partout ! » Vice-président de la Fédération française des manadiers, Béranger Aubanel, ne mâche pas ses mots. Sa structure recense 116 éleveurs, répartis sur trois départements. Avec 59 manades, le Gard est le cœur battant de la bouvine. Les gardians sont des piliers de l'économie touristique qui façonnent les paysages et maintiennent les traditions camarguaises.

Depuis la fin du confinement, la plupart des entreprises ont rouvert et certains événements culturels, comme le Tour de France, se sont organisés. Ce n'est en revanche pas le cas des manifestations taurines. Depuis le début de la crise sanitaire, la Fédération des manadiers a compté 3 000 jours de fête annulés. Dernière en date : la fête votive d'Aigues-Mortes, traditionnellement organisée en octobre et symbolisant la fin de la saison estivale.

À ces annulations se couple un autre phénomène : « Le discours parfois anxiogène refroidit nos clients qui souhaitent organiser des ferrades et autres réceptions privées », remarque Florent Lupy, le président de la Fédération. L'impact économique a été chiffré à  60 M€ par Béranger Aubanel, par ailleurs directeur informatique, prenant en compte « le nombre de touristes habituels, leurs dépenses en hôtellerie et en restauration. » Pour Aigues-Mortes, la perte avoisinerait les 3 M€.

« On rentre dans le dur » 

Si la crise perdure, les éleveurs craignent de disparaître et avec eux, une partie de l’écosystème camarguais. Les aides régionales de 2 500€ par mois, accordées uniquement pendant le confinement via le "plan Camargue", sont aujourd'hui terminées. « Pour l'instant, le Conseil régional n’a pas envisagé de nouvelles aides. Or, nous en avons besoin jusqu’à la fin de la crise sanitaire. Sans quoi on ne s'en sortira pas ! », martèle Béranger Aubanel.

Les communautés de communes, comme Nîmes métropole - qui regroupe 20 manades -, aimeraient bien débloquer des fonds. Seulement, « si la Région ne délivre pas d'aides, nous n’avons pas le droit de le faire », déplore Gaël Dupret, maire de Sernhac, chargé des traditions taurines à l’Agglo nîmoise.

Propriétaire de deux manades (Aubanel Baroncelli et Pierre Aubanel), Béranger Aubanel a touché 15 000€ du Conseil régional. Une bouffée d’air qui ne compense pas pour autant ses charges, ni ses pertes de recettes. Avec deux cheptels de 700 bêtes, répartis sur 1 500 hectares, l’éleveur estime sa perte de chiffre d’affaires à 350 000€ depuis mars. Pour honorer ses frais de fonctionnement, « j’ai dû emprunter 150 000€ et il ne me reste pas assez pour tenir jusqu’à l’année prochaine. » Au Cailar même situation chez l’éleveur Renaud Vinuesa qui a consommé presque tout son prêt : « Nous n’avons plus de trésorerie et j’ai presque terminé ma créance de 35 000€. Là, on rentre dans le dur. »

3 000 taureaux abattus 

En parallèle de ces aides, les manadiers sont passés par l'abattoir : « Depuis six mois, 3 000 taureaux ont été abattus sur les 20 000 têtes de Petite Camargue », relaie la Fédération, s'alarmant là-aussi : « En continuant à ce rythme, la race "Taureaux de Camargue" sera sérieusement menacée. » D'autres élevages, qui font de l'hôtellerie ou de la restauration sur leurs propriétés, bénéficient d'aides de l’État. Toutefois, « ce n’est pas le cas de tout le monde. Moi, je m'occupe des taureaux. Je ne sais pas faire de l'hôtellerie. Nos métiers sont distincts », réagit Béranger Aubanel. Enfin certains gardians profitent de la reprise des courses camarguaises dans les arènes même si, c'est encore insuffisant pour atténuer les pertes. 

Alors que faire ? En attendant la fin de la crise sanitaire, le monde de la bovine se tourne vers les préfets. « Je trouve que certaines municipalités ont annulé un peu trop vite les fêtes votives en raison des difficultés imposées par le protocole sanitaire », regrette Béranger Aubannel. Et de faire remarquer : « Il y a parfois deux poids, deux mesures. Ça ne gêne pas que le Tour de France ou d'autres rassemblements soient autorisés assez facilement. Quand c'est nous, on nous demande un relevé de température, l’identité des participants, les numéros de téléphone… On croirait presque que cette situation arrange beaucoup de personnes ! »

Des municipalités s’engagent

Dans le Gard, certaines mairies se sont creusées la tête. À Sernhac, « nous avons repris l'événement organisé d'habitude par les jeunes du comité des fêtes. Toutes les dispositions ont été prises pour respecter le protocole sanitaire. Le 15 août, nous avons organisé une journée taurine avec la manade Labourayre de Meynes », explique Gaël Duprêt, reconnaissant que « nous sommes un petit village, c’est assez facile même si j’ai eu besoin d’une vingtaine de bénévoles. »

À Bellegarde, la fête votive a également été maintenue. « C’est très compliqué de maintenir des abrivados longues dans ce contexte sanitaire. En ville, c’est pratiquement impossible au vu du nombre de règles : pas plus de 200 personnes et désinfection des barrières », commente le maire qui privilégiera les animations dans les arènes. 

Aussi précieuses qu'elles peuvent être, ces initiatives sont encore « insuffisantes. » Certains élus du Gard réfléchissent à octroyer une aide directe à la Fédération française des manadiers. Le député de la deuxième circonscription, Nicolas Meizonnet, mais également le maire de Sernhac proposent aussi des « avances en prévision des manifestations de 2021 ».  Quant aux manadiers, ils ne sont en reste. Ils viennent de mettre en vente un verre éco-responsable à 1€, dont 45 centimes reversés à la Fédération. Une façon de permettre à tous, élus, éleveurs ou festaïres, d’aider la Camargue. 

Coralie Mollaret 

coralie.mollaret@objectifgard.com 

Coralie Mollaret

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