Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 31.03.2021 - abdel-samari - 5 min  - vu 17615 fois

FAIT DU JOUR Le chef du service de réanimation du CHU de Nîmes prône un confinement strict

Chercheur et scientifique, le professeur Muller milite en faveur d'un retour au confinement strict pour éradiquer durablement la pandémie de covid-19 et entrevoir le bout du tunnel.
Le professeur Laurent Muller, anesthésiste-réanimateur et chef de service réanimation au CHU de Nîmes (Photo : Objectif Gard) - Photographe Laurent NARDINI

Le professeur Laurent Muller, chef de service réanimation au CHU de Nîmes, est très inquiet de l'épidémie de coronavirus qui sévit dans le département. Comme ses collègues parisiens, il est persuadé que le confinement est la seule solution à court terme pour mettre un coup d'arrêt à la covid. Il nous explique pourquoi.

Objectif Gard : Quelle est la situation précise au service réanimation de Nîmes ?

Professeur Laurent Muller : Actuellement je ne vous apprends rien en vous disant que c'est compliqué. Nous avions jusque-là 46 lits de réanimation. En une année, nous sommes passés à 56. 10 lits supplémentaires, je peux vous dire que c'est énorme. D'autant que cela nécessite la mobilisation de 70 à 80 personnes en plus. Des infirmiers, des aides-soignants notamment. Et bien, sur l'ensemble des lits, plus de la moitié est occupée par des personnes atteintes par le coronavirus. Nous avons aussi un service de surveillance continue doté de 35 lits. Ce sont des lits intermédiaires entre la réanimation et des lits classiques. Actuellement, 20 sont occupés par des patients covid, 10 non covid et 5 sont disponibles.

Est-ce que la situation est pire qu'à l'automne dernier ?

Pas encore tout à fait mais on y est presque. En termes d'occupation de lit, c'est identique. La différence, ce sont les transferts de malade. À l'automne, on avait transféré une vingtaine de patients. Là, nous avons uniquement quatre personnes parties vers d'autres hôpitaux. Mais cela n'empêche pas avec les patients non-covid d'avoir un taux d'occupation proche des 100% à l'heure actuelle. Nous avons le souci constant de la prise en charge des cas covid mais aussi de ceux qui ne sont pas porteur du virus mais nécessitent des besoins tout aussi urgents.

Est-ce qu'en une année on a gagné sur la durée du temps de passage en réanimation ?

Ce qui a beaucoup changé, c'est l'unité de surveillance continue où, comme je vous le disais, nous avons 20 lits occupés par des malades du covid actuellement. On peut ainsi faire des rotations avec les personnes dont l'état de santé s'améliore un peu plus rapidement. C'est un service proche de la réanimation et mieux armé que l'hospitalisation classique. En ce qui concerne la durée, elle est de 14 jours en moyenne. C'est toutefois le double de la durée moyenne d'une personne hospitalisée en réanimation pour une autre infection. Des chiffres d'avant la crise sanitaire. Mais il faut bien avoir en tête que les patients atteints par le covid passe quelques fois jusqu'à trois mois en réanimation, le temps de bien récupérer. Pour sortir de cette unité, il faut que l'on ait la certitude que la personne à les meilleures chances de s'en sortir.

Quel est l'âge moyen des patients à l'heure actuelle ?

Ils ont entre 30 et 75 ans. Deux choses importantes. D'abord, pour les populations les plus âgées, on ne fait plus d'intubation. Cela ne sert pas à grand chose et il s'agit là d'une réanimation trop agressive au regard de l'âge. On va davantage utiliser ce que l'on appelle l'oxygène à haut débit, c'est 10 fois supérieur à l'oxygène thérapie. Et cela offre une chance supplémentaire au patient. On a appris en une année et c'est aujourd'hui la solution la plus adéquate.

"Nous sommes déjà sur un plateau épidémique très haut..."

Vous parlez de patients âgés de 30 ans. Présentent-ils des comorbidités ?

Oui, les plus classiques : le surpoids et le diabète. Ce sont des patients qui peuvent faire une forme grave de la maladie et pourtant il ne s'agit pas de maladies catastrophiques. On a aussi sur des populations jeunes, des maladies qui fragilisent l'immunité. Là, c'est forcément plus compliqué.

Le personnel soignant est dans une course de fond depuis un an. Le moral est-il toujours là ?

Tout le monde est fatigué. Les équipes en ont marre de voir arriver des patients covid. Mais elles font un travail remarquable, font preuve de cohésion, de la même rigueur. Pour autant, c'est fragile. Comme les collègues parisiens que j'écoute s'exprimer dans les médias il y a de la fatigue. Nous, c'est pareil. On est au bord de l'épuisement. Cela fait un an que cela dure mais heureusement, on se sert les coudes et on trouve au fur et à mesure des solutions efficaces. On a beaucoup appris depuis des mois. On traite mieux, on sait mieux ventiler artificiellement. Et les corticoïdes permettent une avancée majeure pour soigner. On fait appel enfin aux techniques supplémentaires comme à l'ECMO (extra-corporeal membrane oxygenation, NDLR) qui permet l'oxygénation extra-corporelle. Je vous donne un exemple concret : il y a un an, on avait trois machines ECMO. Désormais, on est doté de six machines. Actuellement, trois sont utilisées sur des patients en réanimation.

"C'est très dur ce que l'on vit..."

Avez-vous eu des démissions depuis un an chez le personnel ? 

Non, aucun titulaire en réanimation n'est parti. Par contre, certains qui étaient venus prêter main forte au plus fort de la crise ont demandé à être affecté ailleurs. Les quelques semaines, quelques mois en réanimation ont été douloureux. C'est très dur ce que l'on vit.

Comme d'autres professeurs, considérez-vous que le variant anglais est plus contagieux, plus virulent ?

Oui indéniablement. Il est plus rapidement agressif. Et il évolue surtout au sein d'une population pas toujours raisonnable. Dans la rue, les magasins, les gens respectent le port du masque et les gestes barrières. Mais malheureusement, lors des réunions de famille, dans des fêtes clandestines, le respect est moins là. Dans l'oeil des soignants, ça fait mal. Car tout cela entretien la pérennité de l'épidémie. Je ne suis pas donneur de leçon mais franchement, les fêtes, les réunions de famille, c'est dangereux et derrière, pour certains, c'est trois mois de réanimation.

Êtes-vous favorablement à un reconfinement dans le Gard ?

La réponse habituelle des toubibs, d'un point de vue médical donc, c'est que le confinement ça marche. On l'a vu lors de la première vague il y a un an. Depuis la fin de l'été, on est sur un plateau haut car il n'y a pas eu de reconfinement strict. Après, d'un point de vue social et économique, je ne juge pas. On a bien compris que la décision politique c'était de le retarder le plus possible. Mais aujourd'hui, on est un peu au pied du mur. On peut dire aux gens de faire très attention mais est-ce suffisant ? Je pense que sans un confinement comparable à celui de la première vague - et c'est le chercheur, le scientifique, qui vous le dit - ce sera compliqué. D'autant encore une fois que nous sommes déjà sur un plateau épidémique très haut. Les lits en réanimation sont déjà très occupés. Sans compter que nous devons continuer à soigner les autres pathologies. Si on se retrouve avec encore un afflux massif de covid, comment on va gérer ?

À vous écouter, on comprend que vous êtes inquiet...

Oui, aujourd'hui, je suis très inquiet. Et un peu plus chaque jour. Et encore une fois, je pense aux artisans, aux commerçants, aux entreprises. Et aussi aux salariés qui ont peur de perdre leur emploi. Je ne voudrais vraiment pas la place d'Emmanuel Macron aujourd'hui. Lequel, forcément, ne veut pas d'un effondrement économique du pays. Mais il va bien falloir prendre des mesures...

Un dernier mot aux Gardois qui vont vous lire ce matin ?

Je voudrais dire que ce n'est pas un complot, ce n'est pas exagéré. Il va y avoir des dégâts économiques et sociaux, c'est sûr. Mais il faut avant tout se protéger. Et je vous en supplie : pas de fête, pas de rassemblements familiaux et vaccinez-vous vite dès que vous aurez accès aux injections. Si on est tous prudents, dans quelques semaines, l'épidémie à ce niveau là sera derrière nous. On pourra alors se déconfiner, se faire vacciner et vivre à nouveau normalement.

Propos recueillis par Abdel Samari

Abdel Samari

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