FAIT DU JOUR Spéculation, impayés : au Grau-du-Roi, un restaurateur dénonce le système d’attribution des terrasses

La place du Marché, au Grau-du-Roi
- Sacha VirgaEllio Zaouche, restaurateur depuis 2007 sur la place de la République, appelée couramment « place du Marché », du Grau-du-Roi, poursuit la mairie du Grau-du-Roi en justice concernant sa gestion de l’attribution des terrasses sur le domaine public. Et il l’affirme : « Le maire, par sa gestion des terrasses, permet des fraudes, et tout le monde ferme les yeux. » Enquête.
L’affaire commence le 17 janvier 2023. Ce jour-là, le restaurateur reçoit un mail, et il tombe de l’armoire. Ce mail émane des services de la commune du Grau-du-Roi, et l’informe que la surface de sa terrasse sera, pour l’année 2023, de 61 mètres carrés. Pile la moitié de la surface qu’il occupait jusqu’ici, 122 mètres carrés, et ce depuis 2010, date de l’ouverture de la brasserie l’Horizon, « 400 mètres carrés au sol, le plus grand restaurant de la place, ouvert toute l’année », précise le restaurateur. Ce mail, « c’est un choc, rejoue-t-il. Et après, ça a été le silence radio, on était seuls au monde. »
Il faut dire qu’Ellio Zaouche sait qu’exploiter un restaurant dans une station balnéaire comme le Grau-du-Roi le rend dépendant du domaine public pour une simple raison : « Les gens veulent manger en terrasse », rappelle-t-il. Une évidence, comme celle de l’impact que cette décision, pour laquelle il jure n’avoir « pas eu de signe avant-coureur », va avoir sur son activité. Une décision justifiée par la mairie, dans le même mail, par « la demande de Monsieur G. souhaitant récupérer la contre-terrasse située en face de sa façade commerciale. » Ledit local commercial qui accueillait jusqu’ici un fleuriste. « On savait qu’il arrêtait, mais il ne nous avait pas dit qu’il voulait faire un restaurant », rembobine Ellio Zaouche, pourtant président de l’Union des commerçants du centre-ville.
Un restaurant de plus donc, sur une place qui en compte déjà sept. Une profusion qu'Ellio Zaouche explique par l’appât du gain des propriétaires fonciers de la place : « Ce local, pour un fleuriste, se loue entre 1 200 et 1 400 euros par mois, mais du moment qu’on lui octroie du domaine public, c’est beaucoup plus. On lui a proposé 42 000 euros par an, qu'il a refusés. » Et le restaurateur de dénoncer « la spéculation » qui aurait cours sur la place par plusieurs propriétaires fonciers, spéculation qui serait encouragée par la mairie via l’attribution de domaine public en dehors des règles qu’elle s’est elle-même fixées.
« Derrière il y a des propriétaires fonciers qui bénéficient de ces pratiques »
Ainsi, on compte de nombreuses sociétés éphémères exploitant des restaurants pour la saison estivale, via des baux précaires. À la différence de l’Horizon, qu’Ellio Zaouche exploite avec sa société via un bail commercial 3/6/9 : « C'est une propriété commerciale, on a investi, on a un fonds de commerce, des embauches en CDI et une grosse mise de départ », rappelle-t-il. Pour ces sociétés installées, la demande de terrasse s’effectue avant le 31 octobre de l’année d’avant. Les sociétés travaillant pour la saison sous bail précaire peuvent quant à elles faire la demande en cours d’année, vu qu’elles n’existaient pas à cette date.
Or, « les propriétaires ne veulent louer qu'à l'année, pour spéculer, explique Ellio Zaouche. La société les paie au début de la saison, puis se met en faillite à la fin de la saison et ne paie plus personne, notamment les droits de terrasse, et ça redémarre l’année d’après avec une nouvelle société. » « Il y a des personnes qui ouvrent des commerces, ne paient pas les terrasses, font faillite et remontent une société avec des prête-noms, confirme un fin connaisseur du Grau-du-Roi. C’est connu, et Robert Crauste est dans le déni complet. Il ferme les yeux. »
Sur un des locaux de la place, on recense ainsi 11 occupants différents en 18 ans, dont quatre années pour l’Horizon, qui y a implanté une extension de 2013 à 2016. Et, d’après nos informations, dix des sociétés qui se sont succédées pour y exploiter des restaurants ou un glacier n’ont jamais payé leur redevance de droit de terrasse à la mairie du Grau, alors qu’elles ont toutes bénéficié d’une terrasse sur le domaine public. « Pendant ce temps, nous on paie depuis le début », peste Ellio Zaouche, qui se considère désavantagé par rapport à des restaurateurs qui, eux, ne jouent pas le jeu.
Et ce d’autant plus que, au moment de l’annonce de la suppression de la moitié de sa terrasse, Ellio Zaouche rappelle que « la mairie n’a aucune garantie que le local (de l’ancien fleuriste, NDLR) sera bien loué à un restaurant, mais elle lui réserve une terrasse. » En réponse au premier mail, le gérant de l’Horizon adresse une nouvelle demande à la mairie, et le 30 mars 2023, une réunion de « présentation des nouveaux plans des terrasses sur la place de la République pour l’année en cours » se tient. À l’issue de cette réunion, Ellio Zaouche récupère un îlot de terrasse isolé de la partie au droit de la façade de l’Horizon, aboutissant à une surface totale de 108 mètres carrés, contre 122 auparavant. Pas si mal ? « On a perdu l’entrée de la place pour une terrasse enclavée, on passe de 10 mètres de terrasse en façade à 5 mètres, qu’on nous enlève déloyalement, affirme le restaurateur. La concurrence, on en a besoin, mais loyale. » Depuis, l’Horizon serait passé de 40 000 à 35 000 couverts annuels, soit un préjudice de « 100 000 euros par an » : « Il y a un impact sur le chiffre d’affaires, sur les conditions de travail, sur le personnel, puisque nous avons moins embauché, et psychologiquement, j’ai été énormément atteint », souffle le restaurateur.
Alors Ellio Zaouche décide d’attaquer la décision du maire, pour lequel il a pourtant voté en 2020, de modifier le plan des terrasses au Tribunal administratif. Notamment car la modification du plan des terrasses « relève manifestement du Conseil municipal », affirme son avocat Me Thomas Callen, Conseil qui n’a pas délibéré sur cette question, ce qui rend, d’après l’avocat, la décision d’approbation du nouveau plan des terrasses « illégale ». Autre élément : la mairie n’aurait pas respecté son propre règlement municipal régissant les terrasses, puisque les autorisations demandées avant le 31 octobre de l’année N-1 sont censées être exécutoires au 1ᵉʳ janvier de l’année N. Or la décision de modifier le plan intervient au printemps de l’année en cours.
Pire, pour l’avocat, le fait que le maire ait modifié le plan au bénéfice de l’ancien fleuriste « pourrait s’assimiler ni plus ni moins à une forme prohibée de ‘réservation’ du domaine public », alors que le règlement municipal précise que « l’autorisation est personnelle » et « ne peut être cédée ou vendue ». Or, « il est évident que cette terrasse a été prise en compte, sinon valorisée, lors de la négociation et de la conclusion du bail avec son locataire, affirme l’avocat. C’est d’ailleurs là tout le mobile de cette fraude rendue possible par les seuls agissements de la mairie. » La société exploitant le restaurant situé dans le local de l’ancien fleuriste sera créée le 10 mai 2023, soit après la modification du plan de la place. La procédure, entamée en 2024, est en cours, et selon nos informations, la demande de médiation du Tribunal entre les deux parties a échoué.
« Un système mafieux »
Mais les poursuites ne s’arrêtent pas là, puisque le restaurateur et son avocat ont fait un signalement au procureur de la République et déposé plainte pour « concussion et recel de ce délit ». En cause, des sociétés qui ne paient pas leurs redevances pour leur terrasse à la mairie. Le restaurateur et son avocat en visent deux à qui le maire aurait renouvelé l’autorisation du domaine public alors même qu’elles n’avaient pas payé leur redevance les années précédentes. Ce que l’avocat d’Ellio Zaouche qualifie d’« exonération » accordée par le maire à ces deux entreprises. Or, c’est interdit dans le cadre de l’occupation du domaine public. De quoi caractériser, selon lui, un délit de « concussion » pour le maire et de « recel de concussion » pour les deux sociétés visées.
Ainsi, nous nous sommes procurés divers documents — avis de paiements, avis de poursuites par commissaire de justice, notification de saisie administrative à tiers détenteur — qui indiquent par exemple une somme de 7 923,10 euros d’impayés pour un restaurant exploité par la première société mise en cause pour l’année 2022, et de 2 960 euros d’impayés pour le restaurant exploité par la seconde entreprise pour la saison 2023. Pire, la première société a exploité son restaurant en 2024, et obtenu sa terrasse, alors qu’elle était radiée au RCS depuis le 4 mai 2023, ce qui est confirmé par des documents que nous avons pu consulter. Cette société n’aurait « rien payé pour ses terrasses depuis 2018, et les a obtenues alors que certaines fois, elle n’avait même pas fait la demande », affirme pour sa part Ellio Zaouche.
S’il est conscient que cette seconde procédure sera plus longue, Ellio Zaouche ne compte pas lâcher : « Le maire, par sa gestion des terrasses, permet des fraudes, et tout le monde ferme les yeux, lâche-t-il. Ça fait vingt ans qu’on subit ça, c’est bon, on veut simplement avoir les outils pour travailler correctement. »
Le maire, Robert Crauste : « Il n y’a aucun élément »
Contacté, le maire du Grau-du-Roi Robert Crauste nous a répondu : « Je ne peux pas m’empêcher de penser que ce dossier qui arrive là au-devant de la scène, a quelques mois des élections municipales, a quelque chose de politique. De façon ostentatoire, M. Zaouche ne cache pas sa volonté de faire écueil au maire sortant. » Le restaurateur aurait, selon Robert Crauste, « accueilli déjà dans son établissement des réunions clairement orientées. » Pour le maire, « les griefs soulevés par M. Zaouche ne sont pas du tout fondés, il n y’a aucun élément. » Selon lui, le restaurateur est avant-tout contrarié par le fait que les terrasses aient été redéfinies : « Il a contesté la recomposition de la place du marché où il n’est en aucun cas propriétaire de l’espace public. J’ai recomposé l’espace, il avait une très, très grande surface, dont il a bénéficié pendant des années. Il a eu moins de surface, et ça, ça a été son motif principal. Il a considéré que je le privais d’un espace commercial, alors que je l’ai attribué à un local qui était un fleuriste et qui devenait un restaurant, et il était normal que je redistribue de la surface du domaine public. »
Le maire se défend d’avoir « réservé » du domaine public pour le restaurant qui prenait la place du fleuriste : « Quand son voisin, qui était fleuriste, a aménagé son local pour en faire un restaurant, avec une cuisine équipée, etc., il était logique que j’accorde au droit de cet établissement une terrasse, que M. Zaouche a donc perdue, affirme l’édile. Mais j’ai été bienveillant avec lui car je lui ai laissé malgré tout une surface non négligeable dans cet alignement. » Et il l’affirme : « J'aurais pu là aussi, dans une certaine logique, lui dire : ‘ça aussi je l’attribue au restaurant qui vient de s’installer, car c’est dans son alignement’. »
Quant aux accusations d’impayés récurrents chez certains restaurateurs de la place, Robert Crauste les balaie : « Ça, c'est faux, tout le monde est soumis aux droits de terrasses, aux redevances, nous avons une régie, des dispositifs de recouvrement. La grande majorité paie, et ceux qui ne paient pas sont sur le coup d’une mesure. C’est à la marge, mais il n’y a pas de concussion comme il semble vouloir le dire. » Des accusations que le maire juge « très graves », contre lesquelles il dit se réserver le droit « d’attaquer en dénonciation calomnieuse ». Dont acte.
"Il nous faut réfléchir globalement à l’utilisation de l’espace public"
Charly Crespe est un opposant du maire. Interrogé sur le sujet, il commente : « Sur ce dossier, le maire n’a pas saisi l’occasion du redécoupage pour mettre en place des règles claires, pour valoriser les bonnes pratiques et s’assurer des garanties de paiement des terrasses, et des conditions d’accueil et de salubrité pour les différents professionnels de la zone. Il nous faut réfléchir globalement à l’utilisation de l’espace public avec deux principales valeurs : favoriser l’activité économique en privilégiant ceux qui font l’effort d’être ouverts toute l’année, et on ne peut plus accepter de se retrouver avec des impayés et de donner des terrasses à ceux qui n’ont pas payé. »