Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 22.01.2022 - corentin-migoule - 4 min  - vu 3314 fois

ALÈS "Jusqu'où ça ira ?" : l'inquiétude du procureur face à l'explosion de l'activité judiciaire

Le procureur de la République d'Alès, François Schneider, se montre pessimiste quant à l'évolution de l'activité judicaire alésienne. (Photo Corentin Migoule)

Au sortir d’une année 2021 marquée par une activité judiciaire d'une ampleur inédite, le tribunal de grande instance (TGI) d’Alès a tenu son audience de rentrée solennelle ce vendredi 21 janvier, sans que l'optimisme ne soit de la partie.

La traditionnelle audience de rentrée solennelle du tribunal d'Alès n'était déjà pas très guillerette l'an dernier, au terme d'une année 2020 inédite (relire ici). Ce vendredi 21 janvier, c'est sur la même tonalité que s'est tenue l'audience de rentrée du tribunal de grande instance (TGI) d’Alès, maintenue en comité très restreint dans le cadre de l’article R111-2 du code de l’organisation judiciaire, contrairement à celle du conseil des prud’hommes (CPH), tout bonnement annulée.

"C’est le cœur un peu lourd" que la présidente du tribunal judiciaire, Céline Simitian, a pris la parole la première pour clore cette année 2021 qui nous voit "encore plus esseulés", introduisant ainsi une audience de rentrée qui n'avait plus grand chose de solennel. Dans la même veine, le procureur de la République d'Alès, François Schneider, fort d'une douzième participation à cette cérémonie, n'avait "pour la toute première fois", pas préparé de discours car "au vu du contexte, le cœur n’y était pas".

"Nous sommes le réceptacle de cette violence"

Et pour cause ! La pandémie, aussi barbante et interminable soit-elle, semble noircir les esprits des justiciables au point de faire "exploser l'activité du parquet" qui a atteint un niveau d'une ampleur inédite sur Alès. "Plus de violences, plus de délinquance, plus de trafic de stupéfiants. C’est bien simple, tout a augmenté au pénal !, s'est désolé le procureur.

"Les comparutions immédiates sont passées de 119 à 134. Nous avons déferré 351 mis en cause, contre 290 l’an dernier et 209 en 2019, soit une augmentation de 70 % en deux ans, a étayé le dernier nommé, particulièrement démonstratif. Ce qui m’interroge et me fait me demander jusqu’où ça ira ? Je suis assez inquiet, car dans la société fracturée dans laquelle on vit, c’est assez logique et je ne suis donc pas très optimiste pour l’avenir. La peur engendre la violence et aujourd’hui tout le monde a peur. Nous sommes le réceptacle de cette peur et donc de cette violence."

Visiblement sur la même longueur d'onde, Céline Simitian a dressé un tableau tout aussi édifiant de l'activité judiciaire alésienne : "En 2019, 355 nouvelles affaires avaient été enregistrées à la première chambre civile du tribunal, contre 366 en 2021." Une augmentation légère mais qui, juxtaposée à d'autres hausses bien plus conséquentes, fait déborder le vase. Ainsi, tandis que le juge aux affaires familiales (JAF) a enregistré 665 nouvelles affaires en 2021 contre 536 deux ans plus tôt, "le nombre de décisions que les juges parviennent à rendre en civil est en baisse".

En effet, d'après la présidente du tribunal judiciaire, la première chambre civile n’a pu traiter "que 300 des 366 affaires en 2021", contre 604 sur 665 pour le JAF. Une carence qui s’explique "très logiquement" d'après Céline Simitian : "Les magistrats qui interviennent sur ces dossiers ont par ailleurs une autre activité pénale qui a connu une augmentation démesurée au regard de la taille de la juridiction alésienne. Par un principe de rationalité, ils ne peuvent pas être à deux endroits à la fois au même moment."

Un "gros dossier" enfin bouclé

Dans ce contexte, le recrutement de contractuels, dont celui de deux juristes assistants, opéré dans le cadre du plan d’amélioration de la justice de proximité, s’il a permis d’éviter "un effondrement des services", n’a hélas "pas assuré l’amélioration des délais de traitement des dossiers et des procédures".

"Heureusement, la situation de la juridiction semble retenir l’attention et les craintes de certains. Gageons qu’ils se mobiliseront pour donner à leur justice la grandeur qu’ils entendent voir reconnue à leur pays", s'est laissée tenter la présidente du TGI, sans que le Gouvernement - sans doute visé - ne soit nommé.

Si la tâche apparaissait ardue au regard des chiffres assommants qu'il venait de débiter, le tandem Simitian-Schneider est parvenu à achever cette audience de rentrée solennelle par une touche positive. "La grande satisfaction, c'est l'affaire de stupéfiants à Rochebelle (∗) qui a débouché sur des peines significatives au terme d’un très gros dossier qui a demandé un travail pas possible", s'est félicité le procureur de la République d'Alès.

Après quoi le dernier nommé s'est fendu d'une hommage appuyé à la présidente du tribunal judiciaire qui est celle avec laquelle il a pris "le plus de plaisir à travailler" et entretient "des rapports chaleureux". Alors qu'elle militait pour un regain de la confiance du justiciable envers la justice en 2021, Céline Simitan a cette fois choisi de former le vœu "d’accompagner au mieux la juridiction vers une amélioration des conditions de travail de chacun", limitant ses remerciements à ses "chers collaborateurs internes".

Corentin Migoule

∗ Le lundi 10 janvier 2022, au petit matin, 80 policiers nationaux, municipaux, aidés de l'unité d'élite du Raid, ont procédé à une vague d'interpellations et de perquisitions dans le quartier populaire de Rochebelle. Près de 4 kilos d'héroïne et 2,3 kilos de produits de coupe avaient été découverts. Ce jeudi 20 janvier, trois prévenus ont été condamnés à des peines de 7 ans, 5 ans, et 18 mois d'emprisonnement.

Corentin Migoule

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