FOOTBALL René Girard : « À Séville, nous avions l‘impression de perdre la Seconde Guerre mondiale »
Le 8 juillet 1982, il y a quarante ans jour pour jour, avait lieu le match le plus fou de l’histoire des Bleus. Cette demi-finale de la Coupe du monde est encore gravée dans toutes les mémoires. Émotions, violences et suspense, cette rencontre a offert toute une palette d'émotions aux amoureux du football. Ce soir-là, le Vauverdois René Girard, membre de l’équipe de France, était dans les tribunes du stade Sanchez-Pijuan. Quatre décennies plus tard, l’ancien Crocodile n’a rien oublié, ni rien pardonné aux Allemands. On replonge avec lui dans ce moment aussi beau que douloureux.
Objectif Gard : Êtes-vous étonné qu'on vous parle encore de ce match 40 ans plus tard ?
René Girard : Sur le moment nous n’avons pas réalisé l’importance de ce match. Mais après la compétition, je suis rentré d’Espagne en voiture et dès que j’ai franchi la frontière tout le monde ne parlait que de ça. Nous avions l’impression d’avoir perdu la Seconde Guerre mondiale. Pour moi, c’est comme si ce match avait eu lieu il y a trois jours.
Avant d'évoquer le terrible France - RFA, parlez-nous du parcours des Bleus dans cette Coupe du monde.
La compétition n’avait pas bien commencé avec, en poule, une défaite contre l’Angleterre 3-1 où on était passé à travers, un nul face à la Tchécoslovaquie 1-1, un match difficile et une victoire logique sur le Koweït 4-1. Je me souviens que l’émir était descendu sur la pelouse pour faire annuler un but.
L’essentiel est préservé avec une qualification pour le deuxième tour avec une formule de poule à trois équipes...
Oui mais là nous avons eu un peu de chance car la logique aurait voulu que nous affrontions l’Espagne et l’Allemagne. Mais comme il y avait eu des surprises, tout était chamboulé et finalement nous héritons de l’Irlande du Nord et l’Autriche avec deux victoires. On avait mal commencé, mais nous étions montés en puissance au fil de la compétition, pour se retrouver au sommet.
Et puis arrive la demi-finale, comment analysez vous cette élimination ?
Il y a eu un concours de circonstances et de mauvais choix. On mène 3-1 et on doit le plier ce match. Il y a la blessure de Patrick (Battiston, NDLR). Hidalgo avait décidé de continuer avec ce qui avait marché jusque-là. Ce n’est pas une critique mais une constatation. Il y n’avait pas de milieu de terrain sur le banc et il a été obligé de faire joueur Pepez (Christian Lopez, NDLR) au milieu alors qu'il était défenseur-central. Ça a déséquilibré les choses.
Justement quand on observe le banc des Français (Castaneda, Battiston, Lopez, Soler et Bellone, NDLR) on s’aperçoit qu’il n’y a aucun milieu de terrain. Comment l’expliquez-vous ?
Contrairement à maintenant, le règle n’autorisait que cinq joueurs sur le banc et Michel Hidalgo avait fait ses choix et jusque-là ça avait bien marché alors pourquoi changer ?
La France a-t-elle manqué de maturité ?
Pas sûr parce qu’avec Trésor, Bossis, Manu (Amoros), Gigi (Giresse) et Platini, ce n’était pas une équipe de bambins. Je ne pense pas que l’on puisse le mettre sur le dos de la maturité, mais peut-être sur le manque d’expérience à ce niveau de compétition car la France n’avait pas joué de demi-finale de Coupe du monde depuis 1958.
"Je lui dirais qu’il a été un beau salopard"
À 3-1 pour les Bleus, aurait-il fallu fermer le match ?
Je ne sais pas si nous avions une équipe pour cela avec notre jeu offensif. Ça tournait tellement bien pour nous.
L'agression de Schumacher sur Battiston a-t-elle pesé sur le sort du match ?
Je peux vous dire que nous avons flippé. Ça a jeté un froid avec cette image de Platoche qui tient la main de Patrick qui est sur la civière. Quand tu vois ton copain sortir dans cet état, tu n’es pas dans les meilleures conditions pour jouer une demi-finale de Coupe du monde.
Y a-t-il une part de frustration d’assister à ce match des tribunes ?
Je n'avais qu’une envie, c’était d’être sur le terrain. Pour moi c’était le Graal, mais je n’ai pas attaché d’importance à mon cas personnel.
"On avait les glandes"
Comment était l’ambiance dans les vestiaires à l’issue du match ?
J’y suis allé dès la blessure de Patrick car on savait que c’était grave. C’est le genre de situation où des informations contradictoires nous parviennent. Schumacher aurait pu le blesser plus gravement. Il y a la déception de la défaite et le scénario. On a dominé le match et à l’arrivée on le perd.
Si vous aviez Harald Schumacher devant vous, que lui diriez-vous ?
Je lui dirais qu’il a été un beau salopard. Il y allé pour lui faire mal, Patrick est relâché et obnubilé par le ballon et l’autre le défonce.
Inversons les choses et imaginons que Jean-Luc Ettori fasse le même geste et qualifie ainsi la France. Lui diriez-vous que c'est un salopard ?
Je ne suis pas sûr que Jean-Luc aurait fait ce genre de geste.
"Quand je revois ce match je me dis encore que l’on va le gagner"
L’histoire se poursuit le lendemain quand les deux équipes se retrouvent à l’aéroport de Séville. Ça n’a pas dû être un moment agréable...
C’est dur et pendant ce temps là Patrick était à l’hôpital. Ce n’est pas mon style de faire des mamours dans ces moments-là et on avait les glandes. On n’allait pas non plus se comporter comme des voyous.
Avez-vous digéré cette élimination ?
Non car ça nous prive d’une finale de Coupe du monde. Ce n’est pas quelque chose que l’on trouve dans sa boîte aux lettres tous les quatre matins.
Avez-vous revu ce match ?
Oui et quand je revois ce match je me dis encore que l’on va le gagner !
Propos recueillis par Norman Jardin
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