Publié il y a 1 an - Mise à jour le 12.10.2022 - francois-desmeures - 6 min  - vu 744 fois

L'INTERVIEW Vincent Ravel, président de la fédération de pêche du Gard : "Cet été, une énorme mortalité piscicole en amont des barrages et dans les secteurs d'assec"

(Photo François Desmeures / Objectif Gard)

Vincent Ravel (photo François Desmeures / Objectif Gard)

Alors que la pêche a été interdite, fin septembre, dans les lacs des barrages des Camboux et de Sainte-Cécile-d'Andorge, entretien avec le président de la fédération de pêche du Gard, l'Alésien Vincent Ravel, qui représente 16 000 adhérents et ne cache pas son inquiétude pour les saisons à venir.

Objectif Gard : Quand la décision d'interdire la pêche sur les deux lacs a été émises, vous y attendiez-vous ?

Oui puisque en fait l'interdiction de pêche était conditionnée par un arrêté préfectoral. On avait déjà fixé des cotes altimétriques. Les cotes, à la demande des présidents des APPMA (associations pour la pêche et la protection du milieu aquatique), ont été rehaussées de 50 centimètres sur l'ensemble des lacs du département, avec, bien sûr, l'accord du conseil départemental du Gard.

C'est un gros coup au moral pour les pêcheurs ?

Non, pour nous, l'intérêt de ces barrages est d'être un écrêteur de crues et d'apporter un soutien à l'étiage, aussi, pour alimenter à l'aval des barrages ce qui, pour notre secteur, nous a permis d'avoir de l'eau beaucoup plus longtemps. Aujourd'hui, ces barrages sont décriés. Mais s'ils n'étaient pas là, on aurait beaucoup moins d'eau que ce qu'on en a aujourd'hui.

"Sur la Cèze, en 24 heures, un assec sur plus de 1 000 mètres"

Et donc plus de mortalité chez les poissons... ?

Oui, malheureusement, on a constaté énormément de mortalité piscicole sur des secteurs comme l'amont des barrage ou les secteurs d'assec, notamment sur les affluents des cours d'eau qui, eux, n'ont pas de barrage d'écrêtement des crues ou de soutien d'étiage. Sur le secteur de la Cèze, en 24 heures, on a connu la même chose sur plus de 1 000 mètres, avec des poissons qui ont péri par manque d'eau. La veille, on était allé voir sur site les endroits où intervenir, l'eau s'écoulait encore même si on savait que ça allait se résorber dans les jours qui suivent. Le lendemain, la rivière était asséchée.

La Cèze est-elle devenue l'un des points noirs pour les pêcheurs et la ressource en eau ?

Nous sommes partout sur un régime de type méditerranéen. Le problème qu'on a - que ce soit sur la Cèze, les Gardons, le Vidourle, le Vistre - qui sont issus d'une eau de ruissellement et de restitution hivernale, c'est le manque d'eau énorme de cette année. Au deuxième week-end de mars, on avait eu une petite crue... mais pas de précipitations depuis. On a eu un été très sec, et surtout très chaud : l'évaporation a été très importante.

Les pluies de fin août et début septembre semblent ne pas avoir fait évoluer la hauteur des cours d'eau...

Aujourd'hui, le phénomène alarmant, ce que 100 millimètres d'eau sont tombés, il y a 15 jours, en 72 heures. Les cours d'eau ont fait une crue éclair. Et 24 heures après, la rivière est quasiment similaire à ce qu'elle était auparavant.

"L'équilibre ne se fait plus"

Avant leur fermeture à la pêche, aviez-vous constaté, dans les lacs, une baisse significative de la population de poissons ou une modification de cette population ?

Sur les plans d'eau, on a bien sûr un retour des pêcheurs. On se rend compte que certaines espèces de poissons se développent au détriment de certaines autres : la truite fario, par exemple, est en train de disparaître du fait de la chaleur des eaux. Nous disposons d'une vingtaine de sondes dans les rivières du Gard : au mois de juin, on a relevé + 4,7° en moyenne sur le mois, et en juillet 4,6°. C'est quasiment du jamais vu. Malheureusement, ce que l'on observe, c'est le recul de la truite, qui remonte sur la tête des bassins versants. En revanche, elle laisse la place à d'autres espèces, comme le silure, le black-bass, des espèces plus adaptées à des eaux chaudes. Les anciens voient les poissons qui n'existent plus et les nouveaux voient des poissons qu'ils ne connaissaient pas et qu'ils découvrent. Sur les barrages, on voit qu'il y a un manque de petits poissons. Mais ce phénomène doit être lié à autre chose que la température de l'eau : il y a aussi des problèmes de prédation d'oiseaux piscivores, comme le cormoran, un oiseau dont la population explose. En 2011, on en comptait 7 000 sur la France, aujourd'hui 120 000. Une hausse de 1 500% en dix ans ! Ils consomment à peu près 500 grammes de poisson tous les jours. Le paradoxe, c'est qu'on améliore la qualité de l'eau, on a moins de débit, mais on a plus d'espèces qui viennent prélever. L'équilibre ne se fait plus.

Vous évoquez les silures. Du Rhône, ils sont entrés dans le Gardon ?

Des silures, on en a dans le Gardon d'Alès, sur le plan d'eau des Camboux. Sur Sénéchas, de mémoire, je ne crois pas qu'il y en ait. Ce poisson s'adapte très bien à nos eaux chaudes. Il n'a pas de prédateur naturel,. Il est remis à l'eau car il n'a pas un goût très prononcé et ce n'est pas dans la culture française de le consommer. Il n'est donc pas récupéré pour sa chair.

"Le silure a pris la place du super prédateur"

Étant donné que le silure est très invasif, a-t-il déjà été évoqué de faire des pêches préventives pour en extraire des spécimens ?

C'est un poisson que j'aime bien. Il va consommer des petits poissons d'espèces concurrentes, jusqu'à environ 80-90 centimètres. Au-delà d'une certaine taille, il se nourrit de ses congénères. Il va prendre la place du super prédateur dans la rivière. Même si vous faites une pêche de prélèvement et le tuez systématiquement - et moi, tuer un poisson pour rien, ça me choque un peu - il se développe tellement facilement que ça me paraît impossible de l'éradiquer. Aujourd'hui, il a sa place et prend la place du super prédateur qu'était le brochet dans nos rivières.

En tant que pêcheur, êtes-vous inquiet au point de vous dire qu'il ne vous reste que quelques années d'activité ? Ou qu'il ne vous restera plus que des lieux profonds pour pêcher, comme certains lacs ?

La nature m'a appris une chose : soit on s'adapte, soit on disparaît. Le pêcheur doit s'adapter à ce changement climatique : pêcher quand il y a de l'eau dans la rivière, pêcher de nouveaux poissons. Mais certaines poissons - comme la truite - seront bientôt de très bons souvenirs pour de nombreux pêcheurs. Je ne veux pas noircir le tableau mais les projections disent que la truite aura disparu en 2050 en dessous de 850 mètres d'altitude. En tant que scientifique, on a les suivis piscicoles, on voit les peuplements qui diminuent. Mais a contrario, je parlais du silure, le black-bass explose. Ces nouveaux poissons colonisent les rivières et font venir de nouveaux pêcheurs. Dans les années 75, il y avait moins de dix carpistes en France. Aujourd'hui, on a des "siluristes", qui se spécialisent dans le silure. C'est une modernisation de la pêche qui passe par des jeunes et de nouvelles techniques.

Le changement climatique, qui transforme les rivières, imposera-t-il, à votre avis, un déplacement des périodes de pêche ?

En accord avec les associations de pêche, on est en train de proposer dans des parcours d'hiver qui permettront, sur des secteurs de linéaire de pêche bien assumés, de pêcher la truite, notamment arc-en-ciel, dans les périodes qui ne sont pas celles d'ouverture. De telle sorte à ce qu'on puisse s'adonner à notre passion quand il y a de l'eau. On mettra artificiellement du poisson mais le but est aussi de maintenir certains pêcheurs au bord de l'eau. On propose également de déclasser certains tronçons de première catégorie en seconde parce qu'on voit, avec les pêches électriques, que les premières catégories d'il y a vingt ans n'est plus la même.

Des projets de pêche à la truite au lac du Bonheur et à celui des Pises

Comment voyez-vous la pêche dans vingt ans ?

Je la vois plus spécialisée, avec des pêcheurs qui iront pour du loisir et pas pour des raisons alimentaires. Aujourd'hui, les gens qui partent à la pêche pour la journée, on en a de moins en moins. C'est plutôt une heure, deux heures. De nouvelles techniques apparaissent avec les nouveaux poissons. Par contre, je pense que la truite fario vivra des heures difficiles et sera finalement protégée. On essaie aussi de travailler pour qu'il y ait une co-activité. Il ne faut pas que le jeune pêcheur oublie qu'il n'y a pas que la pêche dans un cours d'eau. Il ne faut pas qu'une pratique éteigne les autres. Parce que l'avenir, c'est plutôt des plans d'eau dont certains accueillent des bases de loisirs. Aujourd'hui, la fédération de pêche fait dans l'acquisition ou dans la mise à disposition de plans d'eau pour proposer des activités de pêche complémentaires : des plans dédiés à la carpe, d'autres au brochet, à la pêche pour les enfants. On a un projet au lac du Bonheur pour la truite fario. Un autre sur le lac des Pises.

En lien avec le changement climatique et en tant que pêcheur, les divers projets d'hydro-électricité vous inquiètent-ils ?

On parle d'énergie hydro-motrice, en effet. Mais ce n'est pas une énergie verte. Un cours d'eau, ce sont aussi des poissons qui montent et dévalent. Nous créons des passes à poissons de façon à ce que les poissons remontent. Mais l'eau qui redescend passe par les turbines pour produire de l'énergie. Or, un poisson qui passe dans les turbines... Je vous laisse imaginer un oiseau dans une hélice d'avion. On essaie, en tant qu'association, d'être présent quand en cas de projet de centrale pour expliquer les nuisances. Saumons, lamproies, anguilles... on fait tout pour protéger ces espèces migratrices et elles ont disparu à 93%. On les protège par des directives européennes et, de l'autre côté, on génère une perte de ces populations.

Propos recueillis par François Desmeures

francois.desmeures@objectifgard.com

François Desmeures

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