Publié il y a 6 ans - Mise à jour le 28.02.2018 - corentin-corger - 5 min  - vu 1507 fois

SAGA Kader Firoud, le grand sage de Jean-Bouin

Joueur, puis entraîneur, Kader Firoud a donné une identité au jeu du Nîmes Olympique, tant apprécié des supporters.

Kader Firoud, au poste d'entraîneur en 1964 (photo Raymond Legrand)

Impossible d'évoquer l'histoire du stade Jean-Bouin, sans parler du maître des lieux, Abdelkader Firoud (1919-2005). D'abord joueur de 1949 à 1954, artisan de l'apparition du Nîmes Olympique en première division. Puis, entraîneur (1955-1964 et 1969-1978), période qui correspond à l'âge d'or du club où il a façonné un style de jeu propre aux Crocos, tout en étant doté d'un sens unique des relations humaines. 

D'origine algérienne, Kader Firoud avait 29 ans, et plusieurs clubs à son actif, lorsqu'il débarque en 1949 de Saint-Etienne à Nîmes. Dès sa première saison comme joueur, il permettait au club d'accéder en première division, ce qui n'était jamais arrivé auparavant. Il devenait ensuite le capitaine de cette équipe qui parvenait chaque année à se classer parmi le Top 10 du Championnat. Une carrière coupée nette lors de l'été 1954. Après avoir assisté à la Coupe du monde de football en Suisse, Kader Firoud était victime d'un accident où il faillit perdre une jambe. Dès l'année 1955, il s'installait sur le banc d'entraîneur. Une période qui allait correspondre à l'âge d'or du Nîmes Olympique, trois fois vice-champion de France (1958, 1959 et 1960) et finaliste de la Coupe de France à deux reprises (1958 et 1961).

Le créateur du jeu à la nîmoise

Quand Kader Firoud a pris les commandes du Nîmes Olympique, il a marqué de son empreinte et totalement bouleversé la manière de jouer des Crocos. Le mot d'ordre était simple : tout pour l'attaque ! Un jeu très porté vers l'avant, direct et rapide. "Le but était que le ballon arrive très vite vers l'avant", rapporte Éric Firoud, fils de Kader, qui a appris à marcher dans les contre-allées de Jean-Bouin. Un trident composé de deux ailiers et complétée par un avant-centre puissant.

"Il fallait dès le coup d'envoi prendre les joueurs d'en face à la gorge", image Éric. Une métaphore qui image exactement les consignes du coach, visant à mettre une grosse intensité dès le début du match pour marquer en premier. Un principe conservé par celui qui lui succéda au poste d'entraîneur, Henri Noël (1978-1982). "D'entrée, il fallait que l’on marque le plus de buts possibles. Ça attaquait de tous les côtés. C’est pour ça que l’échauffement était dur et intense. Une fois, je n'étais pas sorti des vestiaires que l'on menait déjà 2-0."

La méthode Firoud était basé sur le principe que l'on "pouvait se passer du milieu de terrain", répétait-il. Un curieux paradoxe quand on sait que le plus grand nombre de joueurs passés sous les ordres de Firoud et devenus ensuite internationaux étaient milieux de terrain ! Dans la pratique, cela signifiait que le milieu devait peu garder le ballon et le transmettre rapidement vers l'avant. Une ligne souvent sautée avec un jeu long initié par le défenseur directement jusqu'à l'attaquant.

Pour avoir le ballon, il fallait aller le chercher dans les pieds de l'adversaire. Une stratégie qui comprenait donc un jeu engagé et physique qui ressemblait au style des équipes britanniques. Un football qui a fait la réputation et la légende des Crocos, craints à Jean-Bouin et reconnus sur le plan national. Une méthode qui contrastait, dans les années 1950, avec le football "Champagne", plus technique, proposé par le Stade de Reims et ses stars de l'époque comme Raymond Kopa et Just Fontaine.

Les spectateurs nîmois ont été élevés dans cette approche du football. C'est pour ça que les plus anciens des leurs peuvent sembler parfois exigeant pour ce qui concerne l'engagement. Un public nostalgique qui a parfois l'impression de revivre cette époque avec l'équipe actuelle. Le jeu offensif de l'entraîneur actuel, Bernard Blaquart, avec une composition en 4-4-2 fait de Nîmes, actuellement, la meilleure attaque de Ligue 2 (53 buts). Une vision en avance sur son temps qui fonctionnait. Preuve de la réussite de Kader Firoud : la multitude de joueurs formés au club, qui ont revêtu le maillot tricolore de l'équipe de France avec les Michel Mézy, René Girard, Jacky Novi, Jean-Pierre Adams, Jacky Vergnes, Daniel Charles-Alfred... Des talents découverts ici et dont la plupart issus du cru et des communes gardoises : Vauvert, Le Grau-du-roi ou encore Beaucaire. Le sage imposait que ses joueurs s'occupent des entraînements des catégories de jeunes et leurs transmettent cette manière de jouer.

Un meneur d'hommes d'exception

Ses anciens disciples rendent hommage à leur ancien coach en jurant sur le ballon (photo Corentin Corger)

Au-delà d'avoir révolutionné le football à Nîmes, Kader Firoud était un meneur d'homme incroyable, dotée d'une forte personnalité. Une rigueur et une pédagogie "issue en partie de sa formation d'enseignant", commente son fils. Même s'ils en gardent tous une image positive, les joueurs ont été marqués par sa façon très particulière de motiver ses troupes. "Mon père partait du principe que si un joueur lâchait, cela pouvait mettre en péril toute l'équipe. Chacun devait assumer la tâche qui lui incombait", explique Eric, élevé dans cet esprit de combattant.

Cela se matérialisait, pour terminer de se chauffer avant de pénétrer sur la pelouse, par des percussions. Les joueurs simulaient une accélération sur place en faisant taper leurs chaussures sur le sol. "C’était du béton, ça faisait un bruit !",  sourit Henri Noël . L'autre anecdote symbolisant le caractère du personnage Kader Firoud, c'est Patrick Champ qui s'en déleste. "Dans les vestiaires, avant le match, il nous faisait jurer sur le ballon. Il fallait dire "charbon" en touchant le ballon et en le regardant dans les yeuxJure-moi que le joueur ne passera !", fallait-il lui promettre.

"Là c'est sur que tu étais motivé", concèdent avec joie et nostalgie, les trois acolytes. "C'était un gourou et un gorille", résume en plaisantant, Raymond Legrand, ancien journaliste ayant suivi les exploits des Crocos de 1954 à 1990 et proche de Kader.

Une motivation qui pouvait aller jusqu'au sermon verbal et parfois par les gestes. Jean-Pierre Mith, joueur nîmois de 1972 à 1978, peut témoigner de l'excès d'encouragement de son coach lorsqu'il reçut un jour une gifle. Ne voyez en aucun cas l'illustration d'un homme violent mais plutôt une manière de pousser ses joueurs à se surpasser. "Il était en capacité de transcender ses joueurs et de permettre à certains d'élever leur niveau", commente Eric Firoud. Ainsi, des joueurs moyens ont pu ainsi se révéler en première division et se découvrir des capacités qu'ils ignoraient.

Cette solution adoptée par Kader Firoud était motivée par une question financière. Le club ayant des moyens limités, il fallait donc composer avec les joueurs formés au club. Mais cela ne l'empêchait pas de recruter des joueurs totalement étranger à la culture nîmoise dont Kader s'occupait d'intégrer. "On ne vient pas jouer à Nîmes Olympique comme on vient jouer ailleurs", affirme Éric en reprenant la formule paternelle. Pour s'imprégner des valeurs du club et de la ville, quoi de mieux que d'un repas en face les Arènes et d'assister à une corrida. Un moment choisi pour employer une métaphore dont seul Kader avait le secret: "Dans les arènes, il y a un taureau. Le taureau c'est l'équipe adverse, toi tu es le matador : à la fin elle doit être tuée."

Corentin Corger

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Corentin Corger

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