FAIT DU JOUR Les trésors engloutis dans le Sud de la France
Jean-Luc Verdier découvre, en 2011, une amphore à salaison de poissons de Bétique (actuelle Andalousie) portant des inscriptions peintes qui correspondent aux étiquettes commerciales d’aujourd’hui. Elle provient du dépotoir portuaire autour du chaland Arles-Rhône 3. Elle a été découverte lors de l’opération de fouille et renflouage de l’épave.
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Les périodes favorables à la plongée dans le Rhône sont courtes. La visibilité dans le fleuve est réduite. On y voit en général à une cinquantaine de centimètres, et au mieux, mais très rarement, à 2 m. Des objets coupants comme des carcasses de voiture trainent. On peut même parfois croiser des silures, des poissons pouvant aller jusqu’à 2,50 m de long. On est loin des lagons des Caraïbes et de leurs eaux turquoise. Pourtant, des archéologues passionnés plongent dans le fleuve. Ils s’immergent pour enquêter sur le passé. À partir du 25 août, une équipe va fouiller une barque et un bateau engloutis sur la rive droite du Rhône. Buste présumé de César, chaland de 31 m avec tout son matériel, sculptures, amphores… Ces dix dernières années, le fleuve a révélé de nombreux trésors. Ils sont aujourd’hui exposés sur une de ses rives, au musée départemental Arles antique. Mais le Rhône n’a pas encore livré tous ses secrets. 24 épaves antiques ont été identifiées dans ses profondeurs. Plus loin, au débouché du fleuve, les baigneurs qui se prélassent aux Saintes-Marie-de-la-Mer n’imaginent pas, qu’au large du village, dorment 60 épaves antiques…
Six semaines de fouilles prévues dans le Rhône
On the Rhône again, retour dans le Rhône. À partir du 25 août, une nouvelle campagne de plongées archéologiques est organisée dans le fleuve. Au programme : explorer une barque de 5 m et un bateau à fond plat de 20 m.
« Là, on a les conditions parfaites. Le Rhône est à 300 m³ par seconde. » Sabrina Marlier sourit à son collègue David Djaoui. On est le 21 juillet. Le gros orage de la nuit n’a pas accéléré le débit du fleuve. Le Gardon n’a pas gonflé du côté des Cévennes pour déverser des flots courroucés à Arles. Ils espèrent que le Rhône va rester calme tout l’été. Tous deux travaillent au sein du service archéologie du musée départemental Arles antique. Cinq personnes composent ce service. Trois d’entre elles, Alain Genot, Sabrina Marlier et David Djaoui sont archéologues subaquatiques. Fin août, ils doivent plonger dans le fleuve. Marie-Laure Courboulès, conservatrice-restauratrice au musée, s’immergera elle aussi. La nouvelle campagne de fouille est programmée du 25 août au 3 octobre.
L’équipe formée essentiellement de professionnels de l’Inrap, du CNRS et du ministère de la Culture doit examiner deux épaves antiques. Ils s’attaqueront d’abord à une petite barque romaine de 5 m de long. Baptisée Arles Rhône 5, elle date du Ier siècle après Jésus-Christ. Puis, ils enchaîneront sur Arles Rhône 7, un bateau à fond plat de 20 m de long. « C’est une allège du milieu du IIIe siècle », précise Sabrina Marlier. Ce navire servait à alléger les bateaux arrivant par la mer et qui étaient trop gros pour remonter le fleuve. L’équipe des fouilles doit aussi faire de la prospection dans les zones autour.
Un avion de la Seconde Guerre mondiale
Sabrina Marlier et David Djaoui possèdent une certification professionnelle permettant de travailler en milieu hyperbare. Le Code du travail est strict. Il est interdit de plonger quand la vitesse du fleuve dépasse 1 200 m³ par seconde. L’an dernier, la campagne de fouille programmée dans le Rhône a été annulée deux fois, pour cause de débit trop élevé.
L’équipe s’était rabattue sur une autre mission. Ils avaient plongé dans l’étang des Aulnes, sur la commune de Saint-Martin-de-Crau. « Il fallait retrouver un avion de la Seconde Guerre mondiale », résume David Djaoui. Un magnétomètre tracté par un bateau a mesuré le champ magnétique pour repérer la trace des moteurs de l’avion. « Il avait détecté plusieurs anomalies. On a fait plusieurs plongées et on l’a trouvé, sourit David Djaoui. C’était un avion de reconnaissance photographique britannique. » Quand s’est produit le crash ? « Le 13 mai 1945 », répond sans ciller l’archéologue. C’était presque trop facile, l’accident remonte à 80 ans à peine. Les deux archéologues sont habitués à investiguer des cas bien plus anciens.
400 000 visiteurs pour César
Le musée départemental Arles antique regorge de trésors de plus de 2000 ans. Dans une des premières salles du musée, un buste blanc se détache sur fond rouge. Il a été réalisé entre 50 et 40 avant JC. Un couple d’une cinquantaine d’années l’observe, puis le commente longuement en italien. C’est « le buste présumé de César ». Est-ce celui de César ou d’un notable local représenté sous les traits de César ? Les spécialistes sont divisés. « Certains croient que c’est César, car il ressemble à César représenté sur les pièces de monnaie. D’autres disent qu’il y a trop peu d’éléments pour confirmer. Pour avoir une certitude, il faudrait une inscription, résume Romy Wyche, directrice du musée. Le lien entre Arles et César est indéniable. Il se pourrait que ce soit le buste de César mais scientifiquement, on ne peut pas l’affirmer. »
Qu’il soit de César ou pas, le public plébiscite ce « buste républicain magnifique ». 400 000 visiteurs sont venus pour l’exposition qui lui a été consacrée entre octobre 2009 et janvier 2011. Cette année, l’institut du monde arabe a réclamé le buste pour une exposition sur Cléopâtre. Hors de question de s’en séparer en été. Il partira à Paris en septembre. « On ne le prête pas souvent », avoue Romy Wyche. Le buste a voyagé au Louvre en 2012 et au musée d’art et d’histoire de Genève en 2019.
Bonne conservation dans le Rhône
Ce fameux buste de marbre blanc a été sorti du Rhône en 2007 lors de fouilles menées par le Drassm. L’équipe était dirigée par l’archéologue arlésien Luc Long. Sabrina Marlier et David Djaoui faisaient partie de l’aventure. Dans le Rhône, la visibilité est limitée. Elle peut être de seulement 30 cm. « Cette année-là, on avait deux mètres de visibilité », se souvient David Djaoui. Le buste est immaculé. « Il a juste eu un nettoyage de surface », se souvient Sabrina Marlier. Elle se tourne puis montre du doigt un portrait d’Auguste. Son visage est en partie grignoté. Lui, a été trouvé en mer. « Dans le fleuve, il n’y a pas de sel », explique-t-elle. Dans le Rhône, on ne trouve pas non plus de minuscules créatures qui grignotent le bois ou la pierre. Les sédiments du fleuve protègent les pièces de l’air et de la lumière.
Un chaland classé « trésor national »
Le chaland Arles Rhône 3 a été classé « trésor national » par le ministère de la Culture alors qu’il reposait sous l’eau du Rhône, entre 4 et 9 m de fond. Le musée a été agrandi de 800 m² pour pouvoir exposer ce bateau à fond plat. Un rideau thermique sépare la zone où il se trouve du reste du musée pour qu’il soit conservé à une température et une hygrométrie parfaites.
31 m de long sur 3 m de large, les proportions effilées du bateau impressionnent. Ce chaland a très certainement fait naufrage lors d’une crue du Rhône entre 66 et le début des années 70 après JC. « C’est un bateau exceptionnel de par son état et c’est le seul à avoir cette forme aussi profilée », reconnaît Sabrina Marlier. La coque est complète à 93 %. Les archéologues ont même retrouvé une monnaie « votive », une sorte de porte-bonheur placé au moment de sa construction dans un endroit inaccessible du bateau. Le chaland a conservé son mât de halage, son mobilier de bord, ses équipements de navigation, mais aussi son dernier chargement.
Quatre « archéotchatches » pour échanger avec les archéologues
« On est le seul musée en France avec un service subaquatique, souligne Romy Wyche, directrice du musée départemental Arles antique. On ne fait pas la chasse au trésor. Le trésor est dans la connaissance. » Le public pourra rencontrer gratuitement les archéologues les 4, 11, 18 et 25 septembre, pour un archéotchatche sur une péniche. Ils expliquent ce qu’ils ont trouvé, comment ils plongent dans le Rhône. Il y a aussi des focus sur les différents métiers comme les restaurateurs, les photographes par exemple. Pendant neuf ans, les archéologues du musée n’ont pas fait de fouilles dans le Rhône. Ils ont analysé pendant ce temps les résultats des dernières fouilles. Elles ont repris en 2023 avec la campagne « On the Rhône again ». Romy Wyche n’a jamais plongé dans le Rhône : « C'est un vrai métier. Les conditions ne sont pas simples. Il faut avoir du courage. Ce n’est pas aller voir des épaves dans des eaux turquoise avec de jolis poissons qui passent. »
Au musée, il est en partie couvert de pierres calcaires. « Il transportait 21 tonnes de pierres venant de la carrière Saint-Gabriel. Ce sont les mêmes pierres que celles qui ont servi à construire le château de Tarascon », indique Sabrina Marlier. C’est ce poids qui a certainement entraîné son naufrage lors d’une crue du Rhône. Ce chargement l’a scellé au fleuve, puis il a été protégé par une couche de sédiments allant de 40 cm à 2 m d’épaisseur. Des champignons trouvés dans les matériaux d’étanchéité ont montré que le navire servait au transport d’animaux. L'étude du chaland permet d'imaginer qu'il assurait des rotations régulières pour le transport de marchandises. Il emmenait des matériaux de construction à la descente et un chargement plus léger à la remonte comme les animaux.
Le chaland a été repéré en 2004, dans le cadre d’une mission de carte archéologique menée par le Drassm*. Expertisé, sondé, fouillé, il a été remonté à la surface en 2011. Au musée, une vidéo retrace ce chantier dantesque. Le navire a dû être découpé, sous l’eau, en dix tronçons. Ils ont été remontés à la surface dans un « berceau ». Le premier tronçon est relevé en août 2011. S’ensuit une course contre-la-montre : il ne faut pas que le bateau conservé sous l’eau se décompose à la surface. Il sera traité dans Art Nucléart à Grenoble. Ces spécialistes immergent notamment les tronçons dans des bains de Polyéthylène Glycol, une résine. Le bateau est séché, lyophilisé. En octobre 2013, Arles-Rhône 3 est à quai au musée à Arles dans une nouvelle aile du musée qui borde le Rhône. En 2019, l’Unesco accorde au musée le label « meilleure pratique du patrimoine culturel subaquatique » pour son opération Arles-Rhône 3. Il récompense toute l’opération : de la fouille au musée.
Il est exposé avec plus de 450 objets évoquant la navigation, le commerce fluviomaritime ou les métiers du port. Il est cerné par une rangée d’amphores. David Djaoui est capable de reconnaître chacune d’entre elles : celles qui servaient pour le vin, l’huile, pour le poisson. Celles qui contenaient des olives noires conservées dans du sirop de raisin. Andalousie, Portugal, Afrique du Nord, Rhodes… La forme indique aussi la provenance.
Un dépotoir portuaire avec des millions d’amphores
Il y a un véritable dépotoir portuaire sur la rive gauche du Rhône, du côté de Trinquetaille. « Il y a des millions d’amphores pour le transport maritime », estime-t-il. On transvasait dans les amphores et on jetait le contenant dans le fleuve. Il y a aussi dans ce dépotoir « plein de céramiques cassées ou ébréchées pendant le transport », des objets tombés par « erreur de manutention des dockers », des coupes de vin levées en hommage au dieu Bacchus puis jetées dans le Rhône… On trouve aussi des bijoux, des peignes. « On a trouvé plus de 3 000 pièces de monnaie l’année où on a fouillé Arles-Rhône 3 », compte David Djaoui. Cette année-là, les archéologues ont fouillé et tamisé 900 m³ de sédiments. « Un jour, on m’a demandé où j’aimerais fouiller dans le monde, témoigne David Djaoui. J’ai réfléchi et je me suis dit que j’allais rester ici. C’est unique au monde. »
*Drassm, le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines, est un service du ministère de la Culture.
Crayon gris, aspirateur à sédiments et ligne de vie
Le chantier de fouille aura quatre responsables scientifiques : Sabrina Marlier et David Djaoui, archéologues subaquatiques au musée départemental Arles antique, Pierre Poveda du CNRS et Alex Sabastia de l’Inrap. Benoît Poinard, qui avait imaginé le système de relevage du chaland Arles Rhône 3, sera chef d'opération hyperbare, en charge de la sécurité du chantier et de sa logistique. « L’équipe tournera entre 12 et 14 personnes », précise Sabrina Marlier. Deux photographes et trois étudiants y participeront. Une archéologue dendrologue interviendra ponctuellement pour étudier les cernes et essences de bois. Côté matériel, les archéologues sont équipés de casques avec des lumières. Certains portent des gants pour se protéger des objets coupants trainant dans le Rhône comme des carcasses de voiture. Les archéologues utilisent des « suceuses ». Ces aspirateurs, reliés à une motopompe à terre, aspirent les sédiments et les rejettent dans une zone non fouillée. Cela permet d’isoler les pièces plus lourdes. Pour les fouilles du chaland Arles Rhône 3, l’équipe avait aussi utilisé un tamis à terre. Cette année, ils vont expérimenter un système de tamis sous l’eau. Pour dessiner sous l’eau, ils utilisent un crayon gris gras sur un calque.
Info pratiques
Le musée départemental Arles antique qui fête ses 30 ans est ouvert tous les jours de 9h30 à 18h sauf le mardi. Tarifs entre 5 et 8 euros. Gratuit moins de 18 ans.
Il propose une exposition temporaire sur l’architecture du musée. https://www.arlesantique.fr
Un fleuve exploré depuis la fin des années 1980
La découverte du buste de César en 2007 a donné un coup de projecteur sur les fouilles dans le Rhône. Mais les premières explorations du fleuve remontent à 1986. « Un ami plongeur m’avait appelé pour me dire qu’au milieu des matelas, des carcasses de voitures, il y avait un ensemble d’amphores complètes », se souvient l’archéologue Luc Long, qui était conservateur en chef du patrimoine au Drassm. En 1989, des fouilles de « sauvetage » sont menées avant que la compagnie nationale du Rhône réalise des aménagements portuaires. Des campagnes de prospection ont ensuite lieu tous les ans. Luc Long et son équipe travaillent sur l’histoire du port fluvial d’Arles et de son avant-port maritime situé aux Saintes-Maries-de-la-mer. « Les archéologues, nous ne sommes pas des chercheurs de trésor, précise-t-il. Notre job c’est d’étudier le contexte. On passe du temps sur le site pour voir la connexion entre les différents objets. » Et le trésor n’est pas forcément ce qui brille le plus : « J’ai travaillé un jour sur une épave du XVIIIème siècle. Il a suffi d’un petit fragment d’assiette noir et marron pour dater l’ensemble du bateau. » Les archéologues sont des scientifiques qui font « un peu une autopsie des sites archéologiques. » Une autopsie minutée à cause de la pression sous-marine. Pour pouvoir accomplir dessins, photos et relevés dans les temps, « il faut laisser de côté ses émotions ».