En avril, l'association des maires ruraux du Gard, présidée par le maire de Cendras Sylvain André, faisait parvenir un communiqué, aux rédactions pour se féliciter de l'adoption de la proposition de loi sur le changement de scrutin des communes de moins de 1 000 habitants. Deux mesures principales marquent la loi : l'obligation de présenter des listes paritaires complètes (avec tolérance, pour les municipales de 2026, de deux conseillers en moins ou en plus que le nombre nécessaire au conseil municipal) ; et la fin du panachage, qui permettait de rayer des noms de la liste. En clair, pour l'électeur, de faire son choix parmi les noms de la liste. La possibilité d'ajouter un nom manuscrit avait déjà été supprimée pour les municipales de 2014.
À mi-chemin entre adoption de la réforme et élections municipales, Sylvain André reste satisfait. S'il considère que la nécessité de parité ne se discute pas, il se réjouit aussi de "la fin du tir au pigeon qui pénalisait surtout le maire, puisque c'est lui qui dit parfois non, notamment pour un permis de construire. Il était, parfois, le plus mal élu." Et s'il est vrai que le maire payait souvent son rôle exécutif - ce qui ne l'empêchait que rarement d'être élu - la majorité des maires contactés par Objectif Gard n'en souffraient pas. Pour bon nombre d'entre eux, ils se satisfont ou s'accommodent de la parité. Mais ils sont peu à trouver du mérite au nouveau scrutin, voire craignent que la réforme puisse pousser à la fusion des communes.
"La parité, il fallait la faire", tranche d'entrée Régis Bayle, maire d'Arrigas et président du Pays viganais. "Le côté paritaire, c'est normal, il n'y a pas de discussion", abonde le 1ᵉʳ adjoint au maire de Trèves, Philippe Soler. "Bien sûr que c'est une bonne chose, d'ailleurs on l'a toujours fait ici", rassure le maire de Mandagout, Emmanuel Grieu. "Même si c'est compliqué, c'est un mal nécessaire. On est obligé d'en passer par là", expédie aussi Guy Manifacier, maire de Saint-Sébastien-d'Aigrefeuille.
"Pour la parité, nous n'aurons pas de problème", rassure lui aussi Christian Evesque, pourtant à la tête de la plus petite commune du département, Causse-Bégon, qui compte 28 habitants à l'année. Mais ce n'est pas le cas de tout le monde. "Cela va ajouter à la difficulté de recruter des conseillers, pense Guy Cheron, maire de Génolhac. Je suis aussi président du collectif des maires des Hautes Cévennes et j'entends ce que disent les communes : beaucoup ont des difficultés à trouver des candidats. Moi, je repars et les trois quarts du conseil aussi. Mais je suis obligé de faire un "tri" pour faire sortir des hommes de l'équipe."
Même réflexion pour le maire de Pouzilhac, Thierry Astier, pour lequel "c'est compliqué" et qui interroge aussi l'opportunité de la loi. "Je pense que, encore de nos jours, ce n’est pas facile pour les femmes, que c’est au sein du foyer que ça bloque. Alors vis-à-vis de la parité, même si je comprends cette loi, peut-être qu’on aurait dû être un peu plus sollicités, parce que je vois des maires qui, eux, sont bloqués. Pour nous, il faut trouver sept femmes par liste, alors en trouver quatorze s’il y a une deuxième liste, ce sera très, très compliqué. Est-ce qu’on avait besoin de ça ?" Pour le maire de Roquedur, Bernard Sandré, "sur certaines communes, il ne sera pas facile d'avoir la parité. À Roquedur, il y aurait deux listes, ce qui veut dire 22 personnes sur 260 habitants..."
Plus radical encore, le maire de Lamelouze, Bruno Biondini, qualifie la réforme de "véritable merde. Pour toutes les petites communes, comme la mienne, c'est catastrophique. Je ne suis absolument pas contre la parité. Mais dans les petites communes où on n'a pas d'employés, tout le travail est réalisé par des adjoints. Je vais avoir beaucoup de difficultés à dire à une collègue femme 'Aujourd'hui, tu vas être à la bétonnière toute la journée'. Et je ne remets pas en cause la compétence des femmes !"
Une compétence largement moins visible, actuellement, que celle des hommes... puisque la fonction de maire des villages est très majoritairement tenue par des hommes. Une chose que la parité pourrait changer, pense l'une de leurs (peu de) représentantes, Nicole Amasse, qui ne compte pas ses heures à la tête de Saint-Sauveur-Camprieu. Pour autant, la maire ne conserverait pas le reste de la réforme. "Nous faire entrer dans la catégorie des gros villages, c'est un manque de liberté de choix par rapport aux candidats qui vont se présenter. Quand on pouvait panacher, il y avait plus de liberté de choix."
"Moi, regrette Régis Bayle, j'ai dit aux sénateurs qu'avant de voter une loi, ce serait bien d'interroger les maires. La fin du panachage promet une crise démocratique : même avec une seule liste, les gens avaient le sentiment de se déplacer pour quelque chose. Là, c'est l'URSS ! La liste unique du parti communiste ! Je pense que le taux d'abstention ou le nombre de bulletins nuls vont augmenter."
"À notre échelle, je trouve que c'était bien de pouvoir rayer"
"Le panachage, c'était la démocratie même !", regrette aussi Bernard Sandré. "Le panachage, c'était plus démocratique, converge Guy Cheron. En 2020, il y avait deux listes à Génolhac. Mais ce ne serait plus possible cette fois-ci, parce qu'ils étaient seulement neuf sur l'autre liste et il faut désormais des listes complètes."
"Je fais partie de ceux qui n'ont pas compris le positionnement des associations de maires, renchérit Emmanuel Grieu. On fait fi des réalités des petites communes. À notre échelle, je trouve que c'était bien de pouvoir rayer. C'était une expression populaire réaliste. La liste entière, je trouve ça inutile au possible, surtout en pleine crise institutionnelle." Pour Guy Cheron, "beaucoup voulaient le même régime que dans les villes. Mais ils n'ont pas conscience que 80 % des élus des communes de moins de 1 000 habitants ne font pas de politique politicienne. Aillleurs, c'est un parti qui les présente. Nous, ici, on est sans étiquette, et c'est très bien comme ça. S'il n'y a qu'une liste, les gens se déplaceront moins désormais, parce que ça ne changera rien. Même s'il est vrai que c'était souvent la tête de liste qui morflait."
"Aujourd'hui, environ 70 % des gens viennent voter pour les municipales, reprend Bruno Biondini, le maire de Lamelouze. Si c'est moins parce qu'il n'y a qu'une liste complète, ça fragilisera le conseil et la vie communale. C'est peut-être fait sciemment pour accélérer la fusion des communes, car il n'y aura plus de moyens humains pour assurer les missions. Mais c'est une perte de vie communale." Pour la maire de Camprieu, Nicole Amasse, "il va être difficile de monter des listes, alors que de moins en moins de maires veulent repartir. Ici, je n'entends rien d'officiel à trois mois du dépôt des listes... Je pense que la réforme n'est pas une bonne chose, surtout en fin de mandat. C'est ahurissant, comme beaucoup de choses qui viennent de l'État."
"Le panachage, (...) ça pouvait bloquer le fonctionnement d'une mairie"
Pour d'autres maires, en revanche, l'absence de panachage (et la prime à la liste arrivée en tête) ajoutera de la cohérence. "L'avantage, c'est que les élus qui se mettent le plus en péril, les maires, ne vont pas être rayés comme s'ils ne faisaient pas du bon travail...", pense Guy Manifacier, dans le sillage de Sylvain André. Maire de Saint-Félix-de-Pallières, Michel Sala trouve positif le fait que la liste complète crée "une équipe et que les gens décident ce qu'ils veulent aux manettes d'une commune. Cela va obliger les gens à se voir, à concrétiser leurs projets. Et pas, simplement, à y aller pour y aller. Je trouve que la ruralité manque, justement, de petits projets."
Pour Christian Evesque, la liste complète pourra aussi éviter des situations de blocage entre conseillers municipaux que tout divise. "Si vous aviez deux listes, avec le panachage, le conseil municipal pouvait ne plus s'entendre et il y avait toujours une opposition. Ça pouvait bloquer le fonctionnement d'une mairie. Je vois chez nos voisins, à Saint-Jean-du-Bruel (Aveyron), ils n'ont rien pu faire de tout le mandat..."
Reste la crainte de voir monter le nombre de bulletins nuls, de la part de personnes habituées à voter d'une certaine façon. "Il va falloir expliquer, car les gens n'aiment pas que leur bulletin ne soit pas pris en compte", précise Michel Sala. "Dans le bulletin municipal, on a mis tout un article pour expliquer comment voter avec la fin du panachage, a anticipé Guy Manifacier. Avoir des bulletins nuls, c'est un risque. Mais c'est à nous de communiquer." Maire de la plus petite commune du Gard, Christian Evesque ne croit "pas que le vote de liste fasse baisser la participation". Même écho chez Michel Sala, qui ne "redoute pas une baisse démocratique" : "Généralement, les gens n'aiment pas faire partie de ceux qui n'ont pas voté pour les municipales..."
Les communes de moins de 1 000 habitants dans le Gard
Dans notre département, on compte 209 communes de moins de 1 000 habitants sur 350, soit près de 60 % des communes. Elles regroupent 92 000 habitants sur les 764 000 gardois, et comptent en moyenne 440 habitants.