Publié il y a 9 h - Mise à jour le 05.08.2025 - © Sabrina Ranvier - 6 min  - vu 76 fois

LE DOSSIER Saintes-Maries-de-la-Mer : l’histoire sous les vagues

Giorgio Spada, directeur du musée des Saintes-Maries-de-la-Mer, pose à côté d'une tenue de scaphandrier datant de 1900. 

- © Sabrina Ranvier

Le musée de la cité balnéaire propose une exposition temporaire retraçant l’histoire de la plongée et de l’archéologie sous-marine. 60 épaves antiques sont immergées au large, à 4 km des plages.

Le bâtiment, ouvert en 2022, regarde fixement le port. Il suffit d’ouvrir la porte du musée des Saintes-Maries-de-la-Mer pour entendre les mouettes. À l’intérieur, au milieu du rez-de-chaussée, un scaphandrier trône. Il semble tout droit sorti d’un roman de Jules Verne. Sa tête est couverte d’un casque en cuivre. Ses chaussures lourdes sont lestées de plomb. Un tuyau relie son casque à la surface. Pour qu’il respire, il faut faire tourner une volumineuse pompe à bras. Des plaques de plomb pèsent sur sa poitrine. Elles sont là pour éviter que sa tenue gonfle. « La combinaison est en caoutchouc avec plusieurs couches de coton », détaille Giorgio Spada, directeur du musée. Cette tenue datant de 1900 a été fournie par Jean-Patrick Paszula, de l’association Scaphandre et histoire. Le musée des Saintes-Maries consacre une exposition temporaire à l’histoire de la plongée et de l’archéologie sous-marine.

On trouve au musée des Saintes des vestiges contemporains échoués dans la mer. Cette paire de mitrailleuses Browning provient d'une épave d'avion américain, le quadrimoteur B24 J "Liberator". Touché par les Allemands, il coule le 24 juillet 1944 au large de Port-de-Bouc.  • © Sabrina Ranvier

Une soixantaine d’épaves antiques

Giorgio Spada n’est pas seulement directeur de musée. Il est aussi archéologue-plongeur. C’est lui qui donne des cours d’archéologie subaquatique aux étudiants de l’université de Nîmes. Sur une table au rez-de-chaussée du musée, une carte détaille le littoral de la commune. Elle est couverte de carrés et de losanges avec des codes : SM21, SM47… Ce sont des épaves. SM correspond aux initiales du lieu de leur découverte : Saintes-Maries. « On en est à SM58. Il y a une soixantaine d’épaves antiques aux Saintes-Maries-de-la-Mer », pointe du doigt Giorgio Spada. Mais la carte ne montre pas la position des épaves ESM, celles situées à l’Est des Saintes-Maries. « Entre le phare de Gachole et le Grau-du-Roi, il y a une centaine d’épaves allant de l’époque antique à l’époque moderne, détaille-t-il. Il y a des bateaux chargés de canons du XVIIe siècle. » Un fusil et le canon de l’épave Camargue 6 du Grau-du-Roi sont d’ailleurs installés à l’étage du musée. Dans une vitrine voisine, on peut voir un train d’atterrissage et la mitrailleuse d’un avion américain abattu en 1944 par les Allemands.

Toutes ces épaves se situent au large des Saintes-Maries-de-la-Mer. • © Sabrina Ranvier

Les Saintes-Maries, avant-port d’Arles

Ces vestiges contemporains sont moins nombreux que les épaves antiques. Pourquoi ? « Les Saintes-Maries-de-la-Mer étaient l’avant-port d’Arles », explique Giorgio Spada. Le Rhône transporte des sédiments et des bancs de sable sous-marins se forment du côté de ce village du littoral. C’est sur ses bancs que se sont échoués de nombreux navires.

Les syllabes montent et descendent. Il y a une légère trace d’accent italien dans la voix de Giorgio Spada. Dans son bureau, des diplômes sont affichés : il y en a plusieurs de l’université de Rome, mais aussi celui du baccalauréat français. Il l’a passé au consulat de Turin en 2000. Un sourire s’élargit : « J'ai appris les bases du français en Italie, mais le reste c’est ici, en venant plonger en France. » Il a commencé à explorer le Rhône en 2008. Son enseignante italienne l’avait aiguillé vers Luc Long. Giorgio revient chaque été puis finit par s’installer en France en janvier 2020.

23 épaves ont été identifiées dans le Rhône. Toutes ont été trouvées du côté de Trinquetaille, sur la rive droite du Rhône. En 2018, l’équipe de l’association 2ASM fait des relevés sur des tuyauteries de plomb antiques. Les plongeurs sont côté rive gauche, c’est-à-dire vers la ville d’Arles. « À un moment, on a trouvé des plots avec des sortes de lingots de format A4 d’une épaisseur de 4 cm », se remémore Giorgio Spada. Elles sont en alliage de bronze et de plomb, celui qui est utilisé pour faire des pièces de monnaie. « On en déplace et on grattouille à la main pour voir ce qu’il y avait », relate-t-il, joignant le geste à la parole. Pièces de monnaie, lingots d’argent, une boucle de ceinture, un bracelet torque… Des objets surgissent. « Tout a été donné à la Drac », précise Giorgio Spada. Les pièces datent de Constantin II, c’est-à-dire du IVe siècle. « À côté, on a trouvé une épave, mais on n’a pas pu rentrer dans le détail, résume Giorgio. On n’était pas loin de l’atelier monétaire d’Arles. » L’épave est baptisée Arles-Rhône 24. C’est la valeur historique des objets qui importe pour les archéologues, ce qu’ils peuvent leur apprendre sur le passé. « L’or, ce n’est pas ce qui me frappe le plus », avoue Giogio Spada. En plus de 15 ans de fouille, la découverte qui l’a le plus touché est une Calligae, une sandale « parfaitement conservée ».

Quelque part aux larges des Saintes - Cargaison de lingots de plombs du XIXe siècle. • © Musée des Saintes Maries de la Mer ©G. Spad

Visibilité et silures

L’an dernier, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, les fouilles ont permis d’explorer SM55 une épave « chargée de lingots de plomb. » Où y a-t-il le plus de visibilité : en mer ou dans le fleuve ? « Aux Saintes, la vase reste en suspension. On peut avoir un mètre de visibilité », répond Giorgio Spada. Pour s’engouffrer dans le Rhône, il ne faut pas seulement savoir plonger, « il ne faut pas être angoissé par l’inconnu ». On y voit généralement à 50 cm. « La visibilité est très réduite, car il y a beaucoup de sédiments en suspension, de la vase, décrit-il. Il y a parfois du courant. » Le carré de fouille est bien matérialisé. Une ligne de vie relie cette zone au quai. Un plongeur assure la sécurité en surface. Le Rhône abrite certains habitants au gabarit impressionnant, les silures. Ils peuvent mesurer jusqu’à 2,50 m. Giorgio Spada les a croisés « rarement », mais grimace à leur souvenir : « Ils sont visqueux. Ils n’ont pas d’écailles, mais une sorte de bave autour. Ils n’ont pas de dents, mais une sorte de râpe. » Il se souvient très bien du jour où un de ses poissons a attrapé la palme d’un pompier qui faisait une plongée d’entraînement avec eux. « Il est sorti blanc comme un fantôme, sans la palme. » la mésaventure, vite oubliée, est aujourd'hui un sujet de plaisanterie.

Campagne 2011 aux Saintes-Maries-de-la-mer. Giorgio Spada explore une épave moderne. • Credit 2ASM ©K. Savon

Giorgio Spada va avoir l’occasion de faire de nouvelles plongées archéologiques. Il va codiriger cette année une campagne de fouilles avec Luc Long. Avec l’association 2ASM, ils iront notamment fouiller aux Saintes-Maries-de-la-Mer, à Marseille, et du côté de la rive gauche du Rhône, cette rive où le puissant courant exerce un effet abrasif sur la berge.

Infos pratiques

C’est Jean-Patrick Paszula, ancien démineur, membre de l’association Scaphandre et histoire, qui a prêté le scaphandrier. Il animera une conférence gratuite au musée le 8 août à 18h30. L’exposition « Sous les vagues, l’histoire » dure jusqu’au 9 novembre. Musée des Saintes-Maries-de-la-Mer, ouvert tous les jours de 10h à 12h30 et de 13h30 à 18h sur la période estivale. Tarifs entre 4 et 7 euros. Gratuit moins de 6 ans. Tarif famille 16 euros. O4 65 07 66 26.

Une option sur l’archéologie subaquatique à l’université de Nîmes

Les élèves inscrits en licence d'Histoire à Nîmes peuvent suivre, dès leur deuxième année, une option sur l’archéologie sous-marine. En 2006, l’université avait créé un diplôme d’université dédié à cette pratique. « Je connaissais les travaux de Luc Long. Il avait son bateau amarré dans le Rhône et j’y suis monté pour lui parler de mon projet de DU, se souvient Éric Teyssier, professeur d’histoire à Nîmes université. Il m’a dit « Bienvenue à bord ». Éric Teyssier n’est pas seulement enseignant-chercheur, il est aussi plongeur. « Je suis tombé la grande année de la découverte de César. On trouvait des choses tous les jours. C’était intéressant de comprendre pourquoi elles étaient là ». Au musée des Saintes-Marie, on le voit en photo, en combinaison de plongée, les cheveux mouillés, une petite tête de Vénus dans la main. « César avait des tâches brunâtres du fleuve, mais cette tête était blanc immaculé », se remémore-t-il. La pièce avait été protégée par une couche de graviers. Même si « l’ambiance était très turbide, sombre » dans le fleuve, il assure que ces plongées sont « un des très beaux souvenirs » de sa vie d’historien, « une aventure humaine ». Le DU de l’université n’existe plus. Aujourd'hui, les étudiants qui veulent devenir archéologues sous-marins peuvent suivre un master spécialisé à Aix-Marseille Université monté avec le Drassm.

© Sabrina Ranvier

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