L'INTERVIEW Christophe Nicolas, lauréat du Cabri Jeunes : "Ce prix, c’est celui des vraies gens"

C'est seulement le second prix remporté par Christophe Nicolas depuis le début de sa carrière d'écrivain.
- Romain FioreChristophe Nicolas a remporté le prix Cabri Jeunes 2025, décerné par les lycéens d’Alès, pour son roman Et les gens qui ne sont rien. Un polar social ancré dans les Cévennes, qui interroge notre rapport à la réussite, à la justice et aux oubliés du système. Rencontre avec un auteur aussi sincère que passionné.
Objectif Gard : Que représente pour vous ce prix Cabri Jeunes ?
Christophe Nicolas : Franchement, ça fait super plaisir. C’est un prix de lecteurs, pas un prix de jury. Et les lycéens, ben… ce sont des vraies gens ! Ce ne sont pas des critiques, des pros de la littérature. Ce sont des gens à qui on impose un peu les livres en classe, qui ne lisent pas forcément de base, donc quand ils accrochent, c’est encore plus fort. C’est ça qui est beau dans ce prix : on vote pour son préféré, point. Y’a pas de stratégie, pas de calcul. Et puis, dans ma carrière, ce n'est que le deuxième prix que je gagne depuis 2010… et à chaque fois, c’était un prix des lecteurs.
Et vous, vous étiez un gros lecteur quand vous étiez adolescent ?
Pas du tout ! Dans ma famille, on ne lisait pas trop. Le déclic pour moi, ça a été Stephen King. Je crois que le premier, c’était Simetierre, avec les Indiens, les gens qui ressuscitent… Bref, j’ai adoré. C’est simple, direct, sans effet de manche. Du coup, quand j’écris, je pense à l’ado que j’étais : est-ce que moi, à 17 ans, j’aurais aimé ce livre ? Si la réponse est non, je recommence. Mon objectif, c’est que même ceux qui ne lisent pas beaucoup puissent accrocher.
Être accessible à la lecture et toucher les jeunes, c'est une volonté pour vous ?
Oui, j’essaie d’écrire simple, sans être simpliste. Ce n'est pas une honte de mettre un mot compliqué si c’est le mot juste, mais faut pas en abuser. Si t’as dix mots que tu ne comprends pas par page, tu fermes le livre, c’est tout. Et puis y’a le rythme, il faut que ça avance, que ça s’essouffle pas. Le pire, c’est quand tu décroches et que tu te dis : « Je pourrais être en train de faire autre chose là ». Moi, je veux éviter ça.
Votre titre, Et les gens qui ne sont rien, interpelle et a des mots forts. Pourquoi ce choix et à qui s'adresse-t-il ?
Ça vient d'une phrase d'Emmanuel Macron en 2017, quand il venait d’être élu président, à une inauguration de start-up : « Dans une gare, on croise ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien. » Il a dit ça comme ça, peut-être pour faire joli, mais la violence du truc… ça m’est resté. On voit très bien ce qu’il veut dire et qui il parle. Et c’est là que ça a résonné avec mon histoire. Parce que dans mon roman, y’a justement un gars qu’on considère comme un "rien", mais sans lui, y’a pas d’histoire.
C'est donc en lien direct avec ce personnage ?
Au début, on pense que c’est juste une voix off, puis on comprend que c’est un des personnages interrogés par un gendarme. C’est le frère d’une femme disparue vingt ans plus tôt. Il a signalé sa disparition à l’époque, mais on ne l'a pas pris au sérieux. Et dans l’enquête actuelle, il revient. C’est un mec un peu effacé, pas considéré… mais en fait, c’est lui le cœur du roman. Sans lui, rien ne se passe. Et c’est ça le truc : les gens qui « ne sont rien », ce sont eux qui tiennent le monde.
L’histoire se déroule dans les Cévennes, et plus précisément à Génolhac. Pourquoi ce choix ?
J'ai passé tous mes étés là-bas, vers Chambo, donc ça me parlait. Je voulais un petit village paumé, alors autant que ce soit un vrai. Et pour rendre le truc crédible, je suis allé voir les gendarmes de Génolhac. Je leur ai posé plein de questions : combien de voitures vous avez ? Combien vous êtes ? Est-ce que vous pouvez sortir seul ? Et là, j’ai découvert un monde ! Ils sont cinq, mais y’en a toujours deux en congé, donc en fait, ils sont trois. Et ils doivent être deux par voiture… Du coup, si y’a plus de voiture, faut attendre ou fermer la gendarmerie. C’est fou. Et ça a nourri le roman, ça m’a donné un rythme particulier, presque lent, avec des contraintes logistiques très réelles. Ça aurait pu faire peur aux jeunes lecteurs, mais justement, ça rend l’histoire plus vraie.
Le roman semble aussi aborder la question des inégalités avec ce titre ?
Oui, c’est ça. Selon que tu es puissant ou misérable, tu n’es pas jugé de la même manière. D’ailleurs, en ouverture du livre, j’ai mis la citation de Macron et juste en dessous celle de La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », pour critiquer la justice française et son apparence en cette fin de XXe siècle. Tout est dit. Un mari violent, mais c'est le fils de l'entrepreneur, donc on va dire au personnage de se calmer et pas chercher plus. Une femme battue va bien, elle porte pas plainte donc faut pas chercher plus loin. Et pendant ce temps, un écrivain a disparu, mais ça n’intéresse personne. On décourage ce gendarme de Génolhac et on lui demande de juste faire son boulot dans cette petite commune. Mon roman parle de ça : les gens qu’on n’écoute pas, qu’on ne croit pas, et pourtant ce sont eux qui détiennent la vérité.
Avez-vous régulièrement des retours de vos jeunes lecteurs ?
C’est un métier très solitaire. T’écris pendant deux ans, enfermé chez toi, sans retour. Heureusement, y’a Internet, quelques lecteurs qui envoient des messages, des fois positifs, des fois négatifs. Mais sinon, t’as peu de retour. C’est pour ça que ce genre de prix, où des gens rejouent une scène de ton livre sur scène, te disent qu’ils ont été touchés… Ben là, t’as un vrai retour de voir comment les gens s'emparent de ton titre. Tu te rends compte que ce que t’as écrit, ça a résonné chez quelqu’un. C’est rare.
Et la suite ? Vous travaillez sur un nouveau roman ?
Oui, j’en suis à la relecture. Je croyais l’avoir fini, mais en fait non, j’étais un peu à côté de la plaque… Donc je reprends tout. Ça sortira l’an prochain. Ce sera encore dans les Cévennes, mais dans un futur proche, un peu post-apocalyptique. Y’a un virus fictif, la « calude », qui pousse les gens à péter un câble et à devenir violents. L’idée, c’est qu’on est obligé de se comporter correctement avec les autres… Sinon, eux ou toi, tu dégoupilles. C’est une fausse solidarité forcée, mais très révélatrice. Ça m’intéresse beaucoup, ce rapport entre contrainte et entraide.