Publié il y a 5 jours - Mise à jour le 30.10.2024 - Propos recueillis par François Desmeures - 9 min  - vu 878 fois

L'INTERVIEW Régis Bayle, président du Pays viganais : "L'extrême-droite n'aime pas qu'on lui rappelle son passé"

Régis Bayle, loirs de la foire de la pomme et de l'oignon doux, entre le président d'Origine Cévennes, Philippe Boisson, et le conseiller régional Jean-Luc Gibelin

- François Desmeures

L'année électorale 2024 aura bousculé les habitudes du territoire. Depuis l'élection du député RN Alexandre Allégret-Pilot sur la 5e circonscription, Régis Bayle, président du Pays viganais, est souvent pris à partie par le nouvel élu, le rendant même indirectement responsable de son enfarinage, lors de la foire de la pomme et de l'oignon doux. Le président du Pays viganais réagit à cet épisode et à cette année électorale, qui change beaucoup de choses. Entretien. 

Régis Bayle, loirs de la foire de la pomme et de l'oignon doux, entre le président d'Origine Cévennes, Philippe Boisson, et le conseiller régional Jean-Luc Gibelin • François Desmeures

Objectif Gard : L'année 2024 a été très agitée électoralement et a rebattu une partie des cartes sur le territoire. Comment sortez-vous de cette année et quelles leçons en tirez-vous ?

Régis Bayle : Pour un Cévenol féru d'histoire comme je le suis, que cette 5e circonscription ait pu atterir entre les mains d'un député dont la formation politique est clairement affiliée à l'extrême-droite, c'est un choc et une immense tristesse au regard des valeurs qui ont toujours été celles des Cévennes. Cependant, les Cévennes viganaises ou grand-combiennes n'ont pas basculé. C'est le reste : une partie du bassin d'Alès - ce qui doit nous interroger sur le rôle local que jouent certains élus de Droite - ; le Piémont cévenol ; et quelque chose de plus ancien, les morceaux de Vaunage qui votaient déjà extrême-droite. Donc, les Cévennes se sentent, aujourd'hui, terriblement cernées et sont obligées de composer avec ce député qui, en plus, est une caricature de ce que "l'Énarchie" peut produire d'arrogance et de mépris. 

"Le député a une véritable agressivité à l'égard des élus et maires qui ne partagent pas ses opinions"

Il vous a notamment taxé d'élu anti-démocratique dans un courrier, bien avant son enfarinade du 20 octobre, lors la foire de la pomme et de l'oignon doux. Qu'est-ce que ça vous inspire ?

Avant la foire, il avait déjà été agressif sur Facebook parce que je le mettais face à ses contradictions. La réponse a été caricaturale, celle d'un homme méprisant et arrogant, qui me qualifie de "petit Régis"... Moi aussi, je suis chrétien comme lui, mais de Gauche. Être un petit parmi les petits, c'est un honneur. Mais ça traduit beaucoup d'arrogance et de mépris. Et puis, ce qui est nouveau, c'est une véritable agressivité à l'égard des élus et maires qui ne partagent pas ses opinions. Laurence Baldit, à La Grand'Combe, en a aussi fait les frais. Apparemment, cet homme ne se remet pas en question et considère que c'est nous qui le "cherchons". Évidemment - et j'avais pu le constater à la Région - l'extrême-droite n'aime pas qu'on lui rappelle son passé. Ce que je fais parce que je suis prof d'histoire, et ce que j'ai fait pendant la campagne. Quand j'entends qu'on ne les jamais essayés, eh bien si, en fait : entre 1940 et 1944, c'était eux qui étaient au pouvoir. Les rares fois où l'extrême-droite a gouverné ce pays, ç'a été la guerre civile, la mise à bas de la République et des libertés fondamentales. Ça leur fait mal quand on leur rappelle, notamment à la Région, ils ont maintenant de la haine, et M. Allégret-Pilot en a à mon égard. 

Vous avez condamné, sur Facebook, l'enfarinade dont il a été victime. Il vous a répondu en vous considérant comme indirectement responsable. Le dialogue est-il impossible ?

Il me reproche notamment le temps que j'aurais mis à condamner, c'est faux. Au cours de la nuit était mort mon prédécesseur au Pays viganais, Roland Canayer, et ma priorité a été de lui rendre hommage quand je suis rentré de la foire. Puis, j'ai publié un communiqué regrettant l'enfarinade. On voit d'ailleurs le résultat : il a développé et exploité la victimisation sur les réseaux sociaux. Ce qui prouve, une nouvelle fois, qu'utiliser les méthodes de l'extrême-droite contre eux (la violence et l'humiliation), cela ne fait que les renforcer. C'est contre-productif. Mais il faut aussi rappeler que le député avait annoncé de façon tonitruante sa venue à la foire, avec une nouvelle pique à mon encontre. Je me demande dans quelle mesure ce n'était pas une provocation pour aboutir à cette situation. 

Régis Bayle, à gauche, à Alès, lors de la venue de Clémentine Autain pour soutenir le député sortant Michel Sala, le 2 juillet • François Desmeures

Ne pas avoir de relation saine avec un député de sa circonscription, n'est-ce pas un handicap ?

Cela peut évidemment aider, à porter une parole, faire avancer un projet. Mais, désormais, on ne compte plus que sur les sénateurs. On peut déplorer la situation, il faut aussi voir comment on en est arrivés là. Je ne partage pas du tout l'analyse qui dit que ce n'est pas la Gauche qui a perdu, mais Michel Sala. Pas du tout. Michel Sala - moi-même j'ai pu exprimer des réserves pour dire qu'il n'était pas assez dans le relationnel avec les élus locaux - était plutôt un brave type. Pour moi, c'est la France insoumise qui a été battue. J'ai fait la campagne pour Michel Sala, avec force et conviction face à la menace. Si je comptais le nombre de fois où des gens nous ont dit : "Si c'était un socialiste, on voterait pour. Mais on ne veut plus entendre parler de Mélenchon." Pour moi, ce n'est pas Michel Sala qui a été battu. Si on a des législatives anticipées l'an prochain, ou en 2027, il faudra vraiment que la Gauche ait une réflexion pour savoir si on veut gagner, et présenter au bon endroit les meilleures étiquettes politiques. Présenter des Insoumis ou des écolos en milieu rural, c'est suicidaire. Parce qu'il y a un divorce profond entre ces sensibilités de la Gauche et le peuple rural. Il faut le corriger ce divorce, parce que les enjeux sont forts sur l'écologie et on ne peut pas l'ignorer. Mais il y a peut-être une manière de le dire. Cette circonscription, elle était de centre-gauche auparavant, radicale socialiste avant la Seconde Guerre mondiale... Il faut un candidat de centre-gauche. 

"Pour les stades et la piscine, les premiers devis, à 6 ou 7 millions d'euros, nous ont fait hurler"

Côté projets, où en est la rénovation de la halle aux sports ?

La première tranche des travaux va se terminer pour la rentrée des vacances de la Toussaint. On a fait toute la rénovation énergétique, les façades extérieures, le système d'éclairage et de chauffage. Pour la deuxième tranche, nous allons refaire toute la toiture en photovoltaïque, ce qui nous permettra de couvrir une part importante de notre consommation en électricité. Pour cela, on a fait le choix de la participation citoyenne. On a créé une SAS (société par actions simplifiés) où le Pays viganais a des parts, la Région aussi via l'AREC (agence régionale énergie climat, NDLR) et deux coopératives citoyennes. Et ça nous évite de faire un emprunt. Même si la loi ne nous y contraignait pas, sous forme de SAS, on a décidé de faire un consultation d'entreprise pour la réalisation du chantier. Dès qu'une entreprise sera désignée, la deuxième tranche sera déclenchée. C'est l'affaire de quelques semaines. 

Et l'état des stades, est-il en voie d'amélioration ? (relire ici)

Un bureau d'études a travaillé dessus, on soupèse différents scénarios. En sachant qu'on est, malheureusement, sur des budgets bien pires que ceux qu'on avait imaginé... Avec le stade principal et sa piste d'athlétisme, le stade secondaire du rugby, les vestiaires du foot et pour la piscine, les premiers devis, à 6 ou 7 millions d'euros, nous ont fait hurler... On recalibre un peu les choses et se projeter dans une logique de tranches et de priorisation. Ce n'est pas encore tranché, certains voudraient terminer les petits travaux que nous avons entamés à la piscine, et donc les vestiaires. Moi, je pense qu'il faut penser aux classes populaires. Et - je le déplore- elles ne vont pas majoritairement à la piscine, sauf quand elle est gratuite, en canicule. Au foot, on a 120 licenciés, on voit toute une jeunesse du territoire, plutôt issue des classes populaires, qu'on ne voit pas beaucoup ailleurs que là. Et ce serait bien, selon moi, que la collectivité priorise vers ces gens-là. 

Régis Bayle, à l'automne 2023 • François Desmeures

Le pôle d'échanges multimodal, dont vous attendiez beaucoup l'an dernier (relire ici), est-il sur les rails ?

C'est parti : on a délibéré, pour le dernier plan de financement, fin septembre. On espère une réalisation en 2025 et ça s'inclut dans une politique globale des mobilités, à l'échelle du PETR (1). Le pôle central sera au Vigan. Mais des pôles d'échange secondaires seront sur des petites centralités de l'ensemble du territoire : Alzon, Valleraugue, Lasalle, etc. C'est essentiel, les transports en commun prennent une place de plus en plus importante : la ligne entre Le Vigan et Montpellier, en 2019, ce sont 14 000 tickets vendus. Et 20 000 en 2023. Vers Nîmes, en 2019, 9 800 tickets vendus. Et 14 000 en 2023. Au départ du Vigan. On est sur des tendances fortes, alors que nous n'avons aucun quai d'embarquement aux normes pour les personnes âgées. Et le Département travaille enfin sur les voies vertes Molières - Le Vigan et Sumène - Le Vigan (relire ici), avec un aboutissement en 2026-2027. 

Vers une solution pour le centre médico-psychologique de l'enfant et de l'adolescent

Le centre de santé a ouvert le 1er octobre. Donne-t-il déjà satisfaction ?

Il est avant tout très innovant et abrite à la fois une activité libérale, avec deux médecins, et un activité salariée, avec deux jeunes médecins. Auxquels vient de s'ajouter un jeune retraité, qui a repris à mi-temps, en tant que salarié. C'est grâce à la Région, mais aussi grâce aux médecins du territoire. Au Vigan, on n'a pas non plus de problème sur les kinés. En revanche, on a un gros souci sur les dentistes. Ce sera notre prochaine recherche. On mène une politique d'attractivité en organisant, chaque année, une découverte du territoire à destination des internes de la faculté de médecine de Montpellier. On a eu 17 internes en juin 2023, et 35 en juin 2024. 

Fin septembre, le nouveau directeur de l'hôpital d'Alès, Christian Cataldo, confiait à Objectif Gard sa volonté de participer à la relance de la psychiatrie au Vigan. L'avez-vous évoqué avec lui ?

Il faut encore que ce soit validé par l'Agence régionale de santé (ARS) au niveau régional, mais ça l'a déjà été au niveau départemental. Le CMPEA (centre médico-psychologique de l'enfant et de l'adolescent) devrait rouvrir ses portes : un accord a été trouvé entre l'AEMC (association éducative Mas Cavaillac), qui le portait jusqu'à l'an dernier, et le nouveau directeur de l'hôpital d'Alès pour une délégation de service public. On va vers une solution. Il y a un débat sur le territoire, autour de ça, je ne vous le cache pas. On a même eu des courriers envoyés aux élus, à la sous-préfète, de la part d'un collectif qui s'était créé après la disparition du CMPEA - et dont la finalité était parfaitement fondée au départ - qui commence à jeter en pâture des noms d'anciens médecins et qui souhaiterait que ce CMPEA soit porté par l'hôpital. Je suis très attaché au public. S'il y avait un plan B avec le public, je serais ouvert. Mais il n'y en a pas. Qu'on n'aille donc pas nous casser, aujourd'hui, la solution qui a été trouvée, pour rien à la place. 

La direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) a produit de nouvelles cartes d'un aléa Chutes de pierre, après l'aléa Feux de forêt qui avait tant fait jaser. Craignez-vous que ce soit un obstace en plus dans le développement des Cévennes, alors que la loi instaurant le Zéro artificialisation nette est encore en cours d'ajustement au sénat ?

Encore une fois, c'est fait sans aucune concertation. Encore une fois, on aboutit à des aberrations. À Arrigas, on porte, avec les communes d'Arre et de Bez, un projet de groupe scolaire. Et la DDTM nous met déjà des bâtons dans les roues, alors qu'ils sont censés nous aider. On a été lauréat de "Village d'avenir" sur ce projet. Mais la DDTM a décrété qu'on était désormais en zone feux de forêt élevé, alors que le projet, à Arre, est entre la salle des fêtes et le terrain de tennis, au milieu des espaces urbanisés... Il faut qu'on m'explique par où le feu va arriver. En dessous, c'est le cimetière, on y trouve peut-être des feux follets. Et il n'y a rien à faire, si ce n'est une étude de défendabilité, et malgré un directeur de la DDTM que j'apprécie beaucoup, et qui essaie d'arranger les choses. Et avant même que le document ne soit sorti, on nous parle de risque de chutes de pierre. Je sens quand même une inflexion : sur le nouveau PPRI (plan de protection du risque inondation, NDLR), nous sommes consultés. 

"Quelles que soient les activités de quatre saisons qu'on développera à Alti Aigoual, la manne financière ne remplacera jamais ce qu'était la neige"

Même si la station n'est pas sur votre territoire, j'imagine que vous suivez attentivement le devenir d'Alti Aigoual, qui pourrait bien ouvrir pour sa dernière année, ou pas. Qu'est-ce que vous pensez de la situation ?

Je ne porterai pas de jugement sur les choix et décisions faites par Causse-Aigoual-Cévennes, que ce soit la gouvernance actuelle ou la précédente. Je trouve d'ailleurs étonnants les élus qui se désolidarisent de décisions qu'ils ont prises à l'époque... C'est un sujet compliqué et la vérité n'est pas entièrement d'un côté ou de l'autre. On peut reprocher, à la délégation de service public actuelle, d'avoir réalisé trop tard que la neige, là-haut, c'était fini. Mais quelles que soient les activités de quatre saisons développées là-haut, la manne financière ne remplacera jamais ce qu'était la neige. Il faut arrêter de raconter des conneries aux gens. On est vraiment victimes du changement climatique. On pourra faire des manifestations et des discours, ça ne changera pas à court terme. Mais il faut quand même un modèle économique à l'arrivée. Je n'ai rien contre le Parc national des Cévennes, dont l'image de marque est une richesse pour le territoire. Mais je pense qu'il faudra avoir une discussion sérieuse avec eux sur le modèle économique à créer là-haut, qui permette aux gens de vivre. Il ne s'agit pas non plus de tourisme de masse, il n'y en a jamais eu à l'Aigoual... Et en même temps, on ne peut pas développer des activités qui soient la négation de ce qui est enseigné au Climatographe, trois kilomètres plus haut. Tout en entendant les gens qui ont risqué leur argent. 

(1) Le PETR (pôle d'équilibre territorial et rural) Causse et Cévennes réunit les communautés de communes du Pays viganais et de Causse-Aigoual-Cévennes

Propos recueillis par François Desmeures

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