Publié il y a 4 h - Mise à jour le 22.05.2025 - Propos recueillis par Corentin Corger - 4 min  - vu 2551 fois

NÎMES Mohed Altrad : « Nîmes est une terre de rugby, pas Montpellier »

mohed altrad

Mohed Altrad

- Photo Abdel Samari

L’entrepreneur milliardaire qui compte 60 000 salariés dans le monde entier et président du Montpellier Hérault Rugby a été invité par le Nîmes Gard Business Club pour évoquer son parcours. Interview.

Objectif Gard : Quels sont vos liens aujourd'hui avec la Syrie, votre pays d’origine ?

Mohed Altrad : Je suis né dans le désert syrien où il n’y avait pas d’électricité et pas d’endroit où on déclare l’état civil de son enfant, donc je ne connais pas ma date de naissance. Après tout, j'ai toujours 40 ans (rires). J’ai eu une enfance compliquée, triste, douloureuse et je m’en suis sorti. Je suis arabe et je tiens à le rester. Je suis également Français, je n’ai que le passeport français. En Syrie, on ne peut pas avoir deux nationalités. De toute façon, le pays est assez détérioré par les guerres et les dictatures. C’est douloureux aussi. Mes origines sont abîmées. D’être parmi vous alors que des gens souffrent, c’est pénible à supporter.

Quel a été votre premier métier ?

Ingénieur informaticien, j’ai été l’un des premiers créateurs d’ordinateur portable, pas très portable à l’époque, car ça pesait 30 kilos. Cela servait à alimenter les tableaux dans les aéroports avec les heures d’arrivées et de départs des vols. Puis l’opportunité de racheter Mefran s’est présentée en 1985. C’était un saut dans l’inconnu qui consistait à reprendre une entreprise alors en faillite, je n’avais aucune notion de management. J’ai visité l’usine et le produit, plutôt banal, m’a plu. Il est très facile à fabriquer et à vendre. L’échafaudage est un produit nécessaire à la vie.

« Je déteste l’argent »

Comment s’est passée la reprise ?

J’ai présenté un projet au tribunal de commerce. C’était intimidant, j’étais jeune. J’ai vu dès le départ que ça ne collait pas. Un informaticien, arabe, qui n’a pas d’argent et qui ne comprend rien aux échafaudages, admettez que c’est un cocktail particulier. Il y avait un climat sceptique, méfiant. J’avais tout prévu, j’ai montré une photocopie de mon relevé de compte bancaire. J’avais toutes mes économies, soit 150 000 francs. J’étais le seul repreneur et j’avais de quoi payer les salaires de 400 personnes pendant deux mois. Ça a marché. Dès la première année, l’entreprise a gagné de l’argent. La partie échafaudage d’Altrad ne fait aujourd’hui que 5 % de 6 milliards. On fait aussi les bétonnières, serre-joints, plateformes de levage… cela remporte un milliard d’euros par an. Le reste provient de la fabrication de centrales nucléaires de A à Z, plateformes de gaz et pétrole, sur terre et en mer. On fait aussi de l’énergie renouvelable. Depuis 40 ans, le groupe n’a jamais perdu d’argent avec une indépendance importante auprès de ses banques.

Comment expliquez-vous votre succès ?

Nous avons cinq valeurs affichées dans notre siège : solidarité, convivialité, humilité, courage et respect. Vous n’allez pas me croire, mais je déteste l’argent. Il faut chercher la réussite et l’argent est une conséquence. Si tu cherches l’argent en premier, tu n’auras pas la réussite, c’est une certitude.

« S’il m’arrive quelque chose, il n’y a plus de rugby à Montpellier »

Qu’est-ce qui vous a amené au rugby ?

Tout a commencé en 2011 où un soir, à minuit, le téléphone sonne : « Allô ! M. Altrad, j'espère que je ne vous dérange pas, c’est Mme Mandroux, maire de Montpellier, on a un gros problème ! Il nous faut 2,5 millions d’euros rapidement, sinon on ne peut pas payer les salaires des joueurs et on doit déposer le bilan. » Je n’étais jamais allé voir un match de rugby. J’étais surpris par la demande, mais malgré tout, j'ai repris le club. En 14 ans, on a été 10 fois en play-offs, on a gagné le Challenge européen deux fois, on a fait trois finales de Top 14 et on a été champion en 2022. En parallèle, je me suis mis à aimer le rugby et je suis devenu fan de sport. On a aussi été 14 fois championnes de France chez les femmes, elles constituent l’ossature de l’équipe de France. C’est une fierté ! J’ai été amené à être sponsor de l’équipe de France. J’ai aussi un club en Australie qui s’appelle Western Force et Altrad est sponsor des All Blacks, la plus belle équipe au monde. Cela représente un investissement annuel de 50 millions d’euros dans le rugby.

Pensez-vous que seuls des investisseurs privés peuvent faire vivre le sport professionnel ?

On dit Montpellier la surdouée, la plus grande ville sportive de France, mais ce n’est pas le cas. La faute à qui ? Aux politiques. Historiquement, le sport dépendait des mairies. À Montpellier, le club de rugby était l’annexe de la mairie. Ça s’est fini. Le club est à 100 % une filiale du groupe Altrad et heureusement, car c’est un trou chaque année de 10 millions d’euros qu’il faut combler. Sinon, vous disparaissez. C’est une force, mais c’est une fragilité extrême. S’il m’arrive quelque chose, il n’y a plus de rugby à Montpellier. Nîmes est une terre de rugby, pas Montpellier. C’est le plus jeune club de Top 14 créé en 1986. Cette fragilité est accentuée par les élus qui n’ont aucun droit au club, car c’est une société privée. Ils mettent des bâtons dans les roues pour que l’on ne puisse pas développer nos idées et les mettre en place.

Vous avez aussi la casquette d’écrivain…

J’ai commencé à écrire deux livres d’économie, très vite, j'ai été limité. Je me suis essayé à faire des romans. C’est un terrain où vous pouvez écrire ce que vous voulez. J’ai fait un premier roman autobiographique et il a eu un succès énorme avec un million d’exemplaires vendus à travers le monde, notamment en Amérique, car il a été traduit en plusieurs langues. La culture américaine est fascinée par la réussite. Mon dernier roman « Le désert en partage » est sorti en février dernier et a été retenu dans la short list du prix Renaudot. Pour moi, c’est déjà une reconnaissance.

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Propos recueillis par Corentin Corger

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