La scie est canadienne, construite en Pologne et distribuée en France par une boîte en cours de dépôt de bilan. Mais on dirait qu'elle a été pensée pour les Cévennes, tant elle entre facilement dans les chemins pour une découpe au plus près des troncs, si besoin. "Ça, c'est du douglas local, entame Philippe Granier, casque sur la tête, pour expliquer ce qu'il tranche. En fait, il vient de 6 kilomètres d'ici. Je n'ai que des bois de la région."
Éducateur spécialisé de formation, Phlippe Granier a vrillé en revenant dans sa région d'origine, entouré des bois plantés par son père dont, justement, quelques belles parcelles de douglas visibles de la départementale 999, au bord de l'Hérault. "Au début, c'était pour m'amuser. Mais en 2018, la scierie est devenue mon activité permanente. Le soir, quand je rentre, je suis cuit. Mais ce n'est pas la même fatigue."
"En fait, une fois, je suis parti acheter du bois à Nîmes, assez minable. Je suis revenu ici, il y avait tout ce bois autour de moi... Je me suis dit qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, rembobine Philippe Granier. Je suis allé voir sur Internet, j'ai acheté une petite machine et j'ai commencé comme ça. Je ne scie que des choses locales et ne les vends que localement." Douglas, donc, mais aussi cèdre, frêne et châtaignier passent en priorité par sa scie. "Enfin, pour le châtaignier, uniquement pour la charpenterie. Pas pour du parquet, parce qu'il faut que ce soit beau." Et l'état sanitaire des châtaigniers cévenols, plantés avant tout pour leurs fruits, laisse à désirer depuis de nombreuses années... Pour le parquet, Philippe a innové avec du robinier, qu'il traite. Une véritable alternative aux bois durs exotiques, "avec la même densité".
"Je ne fais que des trucs qu'on ne trouve presque pas chez les professionnels du commerce, résume Philippe Granier en souriant. J'ai pris une scie mobile pour pouvoir la déplacer dans des endroits impossibles où les forêts sont limitées pour les camions. Ici, à Roquedur par exemple, la route est limitée à 13 tonnes. Et un grumier en fait 37... Mécaniser, ici, c'est impossible."
Et l'outil est adapté à son marché. "Là où va le tracteur, la scie y va. Ce sont surtout les particuliers qui m'appellent : ils font venir un bûcheron, un débardeur, et moi. Ce qui leur coûte la moitié du prix et, en plus, ils ont du bois de chauffage." Et ce, même s'il devient de plus en plus difficile de trouver des bûcherons de détail. "Mais pas moi, sourit Philippe Granier, parce que je les rémunère bien."
Les premières requêtes qui lui parviennent portent sur "du bois de construction, principalement. En châtaignier, un mètre cube de bois donnera 0,4 m³ de construction. Et les parquets, je les vends surtout dans les métropoles, à Montpellier ou Nîmes. Ici, je vends aussi des plateaux pour faire des tables." De la forêt, "je ne sors presque rien, calcule Philippe Granier. 50 m³ de bois, c'est beaucoup pour moi. J'achète de petites quantités qui n'intéressent pas les grandes scieries. Je travaille, aussi, uniquement avec des bois coupés en hiver, de fin novembre à mi-janvier. Mes bois n'ont donc pas de sève dedans."
Au quotidien, y compris dans les bois plantés dans les années 50 par son père, il assiste à la dégradation de la forêt cévenole. "Du fait des coups de chaud, des maladies dues au changement climatique, au stress hydrique et au manque d'entretien. Petit à petit, les conifères s'installent, constate-t-il, mais aussi quelques feuillus".
Philippe avoue sans problème qu'il vit plutôt bien de son activité. "Mais si quelqu'un veut faire ce que je fais sans apport, c'est impossible", se désole-t-il, sans comprendre pourquoi les banques refusent tout type d'emprunt à une entreprise pourtant rentable comme la sienne, "alors que c'est rentable à tous les coups". En plus de l'apport, Philippe conseille fortement de savoir bricoler. "Mon premier budget, c'est la ferraille, résume-t-il. Et il vaut mieux tout savoir faire : mécanique, électricité, etc."
Autour de lui, il ne se voit pas de concurrent direct. "Qu'il n'y ait pas plus de petits scieurs, je ne comprends pas", confesse-t-il. Ce qui pourrait devenir un problème au moment de transmettre l'activité, d'ici quelques années. Même si le délai n'est pas très éloigné, Philippe Granier y pense de façon lointaine. Ce dimanche, il fera des démonstrations de sciage au parc des Châtaigniers dans le cadre de la fête de la forêt, "pour faire voir le principe et son efficacité". Et, éventuellement, convaincre des jeunes hésitants...