ALÈS Unique en France, le Centre de littérature orale joue sa survie devant le tribunal
Le CMLO (centre méditerranéen de littérature orale) - à la fois lieu de formation et fonds documentaire - ne connaît aucun équivalent dans l'Hexagone. Après de difficiles années covid, le Centre a vu ses formations se réduire et connaît une importante baisse de subventions qui l'amène, ce jeudi, à passer devant le tribunal d'Alès pour y jouer sa survie. Les bénévoles qui s'en occupent espèrent une mesure de redressement et quelques mois de répit, pour avoir le temps de mettre en place leurs nouvelles pistes de recettes. Sinon, c'est un outil unique en son genre qui serait voué à disparaître, ainsi que le vivier essentiel de conteurs à la recherche de nouvelles histoires à assembler.
Ils viennent de toute la France - et même du Québec - pour avoir accès aux ressources documentaires logées au 3e étage de l'espace André-Chamson. Unique en France, le Centre méditerranéen de littérature orale (CMLO) n'a de méditerranéen que la position géographique, à Alès. "Mais sinon, on recouvre le monde entier, c'est un lieu unique en France", enfonce sa présidente, Catherine Caillaud. Mais qui pourrait bien devoir fermer ses portes.
"La littérature orale est aux fondements mêmes de l'humanité"
Catherine Caillaud, présidente du CMLO (centre méditerranéen de littérature orale)
Un lieu qui doit avant tout à son fondateur, Marc Aubaret, ethnologue qui travailla notamment avec Jean-Pierre Chabrol sur le festival Paroles d'Alès. "Notre approche est fondée sur son travail d'ethnologue, poursuit Catherine Caillaud. La littérature orale est aux fondements mêmes de l'humanité, à la croisée de la construction de l'être humain." Cette vision attribue au conte, au sens large, des valeurs ethnologiques, voire psychanalytiques. "Pédagogues, thérapeutes, tout le monde peut être intéressé", assure Catherine Caillaud.
"Pourquoi la littérature orale est-elle là ? Quelles sont ses fonctions ?, interroge la présidente du CMLO. Elle permet avant tout à l'être humain de se construire et de transmettre une langue, des codes, des valeurs ou des symboles. Un conte merveilleux, c'est une plongée dans l'antériorité. Et cela peut être utilisé en séance thérapeutique." On sait, par exemple, l'importance des monstres dans les contes, qui viennent contrebalancer ceux que nous possédons et déplaçons tous. Raison pour laquelle "il ne faut jamais édulcorer les sorcières affreuses, il vaut mieux qu'elles soient plus terribles que nos monstres".
Ce "croisement de regards artistiques et ethnologiques" que permet le CMLO est aussi accessible via le "centre de documentation de littérature orale", poursuit sa présidente. Qui ne regroupe pas que des contes : livres de sociologie, d'ethnologie ou d'histoire y sont disponibles, aux côtés des recueils de contes. "Ce n'est pas juste une banque de bons récits libres de droit. C'est une banque de données incroyable." Qui offre aussi les contextes des contes selon les pays dont ils sont originaires. Pour savoir, par exemple, que chez les inuits, la présence d'un squelette n'a aucune vocation à effrayer car selon leur tradition, les os contiennent la force vitale de la personne.
"Il s'agit de transmettre l'Histoire, et pas forcément d'utiliser l'histoire."
"Il s'agit de transmettre l'Histoire, et pas forcément d'utiliser l'histoire." Une Histoire qui se heurte désormais aux réalités économiques conjoncturelles, dans un temps où l'association se réinventait. "On était construit autour de Marc Aubaret. Quand il est parti à la retraite, il y a dix ans, on s'est cherché pour repenser le fonctionnement. Puis, il y a eu le covid." Soit une baisse substantielle de recettes. Qui s'est poursuivie car, la structure n'étant pas certifiée Qualiopi, elle a perdu le statut d'organisme de formation, avec pour conséquence que les personnes intéressées devenaient seuls financeurs de leur formation, sans aide possible. Une autre source importante de recettes s'est donc fortement réduite, pour laquelle la présidente se sent aujourd'hui responsable. De ce côté-ci, dans trois semaines, le mal sera réparé, avec un label en bonne et due forme. Un argument qui sera plaidé, ce jeudi, devant le tribunal d'Alès.
Avec des recettes propres en berne, les aides ont commencé à représenter une part trop importante du budget général de l'association. La subvention avait baissé de 26 % en 2022, elle a été réduite de 10 000 € en 2023, par la DRAC (direction régionale des affaires culturelles) sur les plus de 56 000 € que recevait le CMLO. "Nous sommes en redressement judiciaire depuis octobre 2023. On a dû licencier nos deux employés, qui étaient cadre." Ceux qui permettaient les "actions culturelles, sociales et éducatives. On ne tourne plus que sur du bénévolat."
Des formations prêtes à repartir
Huit personnes font encore fonctionner la structure. Avec une épée de Damoclès sur leur passion commune, mais aussi la joie de voir abonder les soutiens "de toute la France. Des soirées de dons ont été organisées (*), des adhérentes nous appellent de toute la France. Max Roustan nous a envoyé un courrier de soutien..."
"Ce jeudi, soit on arrête, soit on continue, avec une échéance au mois d'octobre, résume la présidente du CMLO. En cas de certification Qualiopi, 150 personnes m'ont répondu qu'elles étaient prêtes à venir se former. Jeudi, je défendrai bec et ongles le CMLO." Catherine Caillaud est raisonnablement optimiste. "Si la confiance de l'État perdure, on pourra traverser la tempête et réembaucher quelqu'un." Et, ainsi, conserver ce fonds documentaire unique, à la croisée de ces histoires qui tapissent le fond inconscient de l'âme humaine.
(*) La cave Papilles au Nez, 186 Grand-Rue à Alès, organise d'ailleurs une soirée de soutien au CMLO, jeudi 4 avril.
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