La pluie était inquiétante depuis quelques heures au moment du premier paseo de la courte feria du Riz 2025. Il pleut encore, la bâche couvre le sable, le décor est en place mais il pleut. Il pleut. Il pleut. 500 kg de rafia, un bon millier d’hortensias et trois fois plus de tiges de tournesols ? Il y avait de quoi suer…
Un paseo légèrement retardé, un ciel taquin mais joyeux sous des airs de grisailles, sacré contraste avec les tournesols.
Quand l’artiste accepte de se plier au jeu, le décorum est fabuleux. Cette année, c’est Aurélien Guintoli, fleuriste-artiste-arlésien dont la carrière a éclos l’année de la première goyesque se prête au jeu avec le dessinateur Fabien Seignobos.
Inventée pour Arles par Luc Jalabert, la goyesque a été reprise par ses enfants Lola et Jean-Baptiste depuis qu’ils gèrent les arènes arlésiennes. Nous en sommes à la vingtième édition et son succès n’est plus à démontrer.
À eux deux, ils devaient assurer la scénographie d’un moment qui devait entrer dans les mémoires collectives. Mais ils n’étaient pas seuls dans cette aventure, car toutes les arènes, lors d’une goyesque encore plus, sont prêtes à revenir plus de 100 ans en arrière pour vivre à l’ancienne, au temps de Goya, la tête dans les nuages. Un funambule minotaure, un piano au centre du ruedo, des « coins » ornés de statues mais pas de peinture sur le sable, juste la sciure pour éponger les résidus d’eau.
Ceux qui sont sûrs d’avoir les pieds sur terre sont les toros. C’est la ganaderia d’Alvaro Nuñez (Nuñez del Cuvillo) qui s’est présenté dans l’amphithéâtre. Un lot avec un premier et un dernier exemplaires un peu au-dessus du reste et un deuxième manso con casta. Et les toreros ?
Premier, l’habitué Alejandro Talavante. Il apprécie particulièrement cette corrida et il a tenu à y faire son retour arlésien. Un bon retour, en douceur, en finesse et sans vulgarité. Talavante, quand il torée ainsi, est un pur plaisir pour les yeux. Chaque série a du sens ou en prend rapidement, ses placements sont millimétrés, les terrains sur lesquels se déroule la lidia sont systématiquement les bons… Talavante s’engage tout en offrant un toreo de sensibilité. Une oreille, logique.
Sur son second, le natif de Badajoz, aurait eu du mal à faire mieux que ce qu’il a fait ! Il écoutera un silence assez injuste après, il est vrai, plusieurs envois à la mort et avant ça un toro qui ne transmettait pas grand-chose… Pourtant, l’Espagnol a essayé de mettre un rythme, de jouer le jeu et de grappiller d’hypothétiques trophées. Il use de nombreuses stratégies, plus spectaculaires pour son premier, mais ne coupera rien. Même un clin d’œil à Luque avec quelques luquecinas n’y fera rien.
Daniel Luque a également souhaité s’habiller de goyesque à nouveau après son grand triomphe de 2023. Celui qui est né à Gerena et qui était apodéré par Jean-Baptiste Jalabert, directeur des arènes arlésiennes, a une voix à faire entendre. Une voix qui porte et qui montrera la voie à Marco Pérez. Daniel Luque tombe sur un toro encasté mais manso qui transmet et qui permet. Comment le laisser passer ? Un torero comme lui en est peut-être incapable… Luque règle l’affaire en quelques minutes et montre sa toute-puissance une muleta dans ses mains. Une petite leçon de toreo en public, deux oreilles et une belle énergie dans les tendidos.
Avec son deuxième Alvaro Nuñez, Daniel Luque ne pourra que saluer les étagères. Si son premier était manso con casta, son second ira volontiers titiller le fer du piquero. Hélas pour le maestro, son toro s’éteint peu à peu et se met sur la réserve. Daniel Luque le comprend, continue son devoir mais ne s’entête pas, la sortie en triomphe est déjà assurée. Salut.
Pour compléter le cartel, un pitchounet que l’on connaît depuis toujours, un jeune prodige de la tauromachie, Marco Pérez. Il se présente de matador de toros à Arles, il est apodéré par celui qui l’a découverte et formé, encore Jean-Baptiste Jalabert et vient d’accomplir une saison dense et plus qu’honnête. Pour cette course vraiment spéciale, Marco défile tête nue et fera une belle vuelta à l’issue de son duel. Une vuelta fêtée avec l’oreille de son opposant dans les mains. Mais avant cela, Marco a été ovationné avant même d’entrer en piste, les tendidos l’attendaient. Il a su embarquer ses soutiens, sans tricher, dans la recherche d’un certain plaisir. Son Alvaro Nuñez n’était sans doute pas le plus tonique de la camada mais le jeune maestro a pu en tirer quelque chose en se mettant dans les cornes assez rapidement. Une oreille.
Dernier toro de la goyesque et dernière possibilité pour le jeune maestro Marco Perez de sortir en triomphe de « ses » arènes devant « son » public. Le toro sera à la hauteur de l’événement et Marco ne rompra jamais, usant de sa technique pour faire avec un cornu qui demandait bien plus que les papiers ! C’est sur ce genre de duel que l’on voit le torero et Marco Perez en est un, n’en doutez pas. Il coupera l’oreille de la vaillance tout en coupant aussi cette oreille pour une maîtrise technique peut-être invisible pour les gradins, mais d’une profondeur rare pour un jeune matador de toros. Pour un premier paseo à Arles en corrida, Marco Perez coupera une oreille et pourra sortir en triomphe aux côtés d’un Daniel Luque qu’il connaît bien et qu’il apprécie beaucoup, mais avec qui il n’avait encore jamais toréé.