"C’est quelque chose qui n’avait jamais été fait", se réjouit Chantal Desort, responsable des maraudes au Secours populaire d’Arles. Si habituellement, les repas de Noël offerts aux sans-abri par le Secours Pop’ se déroulaient au kiosque à musique, et dans une salle de l’Archevêché en 2024, cette année, ce repas prend une toute autre dimension. Pour le plus grand bonheur de ceux qui en bénéficient et de ceux qui, toute l’année, les aident et les accompagnent.
"En cette période de Noël, c’est toujours plus compliqué"
"Les SDF sont, chaque année, toujours plus nombreux à venir à la maraude. Actuellement, ils sont une soixantaine, dont une quarantaine dort dans la rue. Et en cette période de Noël, c’est toujours plus compliqué. Leur offrir ce repas d’exception, c’est super ! " Et les mots ne sont pas galvaudés. C’est bien d’un repas d’exception dont il s’agit puisque c’est le chef de la Cabro d’Or aux Baux-de-Provence - l'une des deux tables du domaine Baumanière, Relais & Châteaux 5* - Michel Hulin, qui s’est proposé de le confectionner. Pour l’occasion, le Secours populaire a obtenu de la Région Sud un car pour transporter une vingtaine de bénéficiaires depuis la place Lamartine jusqu’au lycée professionnel Montmajour. C’est là, accueillies et servies par les étudiants de la filière professionnelle que les personnes en situation de précarité inscrites à l’événement ont pu déguster ce repas signé Michel Hulin.
Dans les cuisines du lycée professionnel Montmajour, une quinzaine d'élèves en bac pro Cuisine s'affairent autour du chef, d'une partie de sa brigade et de la cheffe pâtissière Alaïs Vaubour. Il est 16h30, ce mardi 16 décembre. "C'est une première pour moi, explique Michel Hulin. On joue à l'extérieur, il faut prendre ses marques." Sans aucune hésitation, il a accepté de relever le défi, "parce que c'est un moment de plaisir et de partage qui rassemble."
Au menu, des plats déjà inscrits à la carte du restaurant gastronomique : un velouté de cèpes aux éclats de noisettes torréfiées avec son écume aux herbes et ail frais en entrée, suivi d'un dos de cabillaud à la vapeur douce, accompagné de carottes aux condiments d'agrumes. Et enfin, un chocolat Grand Cru et huile d'olive de la Vallée des Baux. Ethan, 17 ans, scrute chaque geste du chef lors du dressage du plat. Une assiette à laquelle il a contribué après avoir taillé 1,5 kg de carottes en brunoise. "C'est beaucoup, s'amuse-t-il. Mais c'est vraiment gratifiant de participer à ce repas aux côtés du chef Hulin, d'aider ces personnes qui sont dans le besoin, de leur apporter un peu de baume au cœur. Pour moi, un plat réconforte toujours." Ses camarades, Manelle et Serena, partagent ce même élan et envisagent même de prolonger cette solidarité avec leur classe, évoquant par exemple la préparation et la distribution de repas dans la rue.
19 heures. Les convives franchissent la porte du restaurant, précédés du proviseur Hubert Baudoin et du proviseur adjoint de la section professionnelle, Fabrice Menne, ravis de les accueillir dans leur établissement. Une collecte de jouets et de vêtements a d’ailleurs été organisée durant la première quinzaine de décembre au profit des bénéficiaires du Secours populaire. De quoi réchauffer les cœurs, encore une fois, en cette période de fin d'année. "Cette année encore, je passerai Noël seul. Alors ce soir, c’est un moment de bonheur que je partage, même avec des inconnus parce qu'on ne se connait pas tous", témoigne Olivier, 69 ans. Lui a trouvé un toit depuis 2021, son voisin, Rémi, 74 ans, vit dans un camping-car. Les invités profitent d'un instant privilégié, savourant avec plaisir et gourmandise les plats dont les intitulés peuvent paraître énigmatiques. "C'est quasi scientifique", s'exclame le sexagénaire dans un éclat de rire.
Autour des invités, un ballet de serveurs, un peu maladroits parfois mais attentionnés. Là encore, il s'agit d'élèves du lycée Montmajour, cette fois-ci des terminales Bac pro Service. "Des bénévoles de la maraude sont venus rencontrer ces jeunes avant cette soirée, afin de les sensibiliser aux différentes situations vécues par les invités. Forcément, ça change l'approche de la table, marquée par une empathie et une bienveillance accrues. Ce soir, le service se veut peut-être moins technique, mais davantage tourné vers l'humain", précise Bruno Forget, professeur de Commercialisation et Service. Kader ne manque pas de les encourager. L'homme, âgé de 55 ans, vit dans la rue depuis son divorce en 2016. "C'est douloureux, mais on accepte", confie-t-il. Ce mardi soir, il ressent à nouveau la chaleur dans son corps, dans son cœur. Certes, il déguste les délicieuses recettes du chef et s'en réjouit. Mais ce qu'il retient, c'est l'ambiance, la convivialité, les rires et cela aussi, il n'en perd pas une miette. Un appétit partagé par Michel Hulin, lequel se porte déjà volontaire pour l'année prochaine.