Été 1999. Un enfant de neuf ans disparaît dans la torpeur estivale en allant chercher un pot de confiture. Un mois plus tard, son corps est retrouvé au pied de la montagne de charbon du mont Ricateau. 26 ans plus tard, les autorités judiciaires alésiennes viennent de lancer un appel à témoins. Elles veulent essayer de relancer ce cold case insondable qui hante la ville d’Alès, mais qui est inconnu au niveau national.
La juge d’instruction, avec un office central de la police judiciaire, a repris l’intégralité du dossier et ne cesse, depuis 4 ans qu’elle est en poste, de le faire vivre en sollicitant notamment des expertises génétiques nouvelles ou en étudiant des profils d’individus. Pourquoi un appel à témoins 26 ans après les faits ? Pour quelle raison ce crime d’enfant est totalement oublié et peu médiatisé ? Comment imaginer qu’une disparition ou un crime d’enfant soit à ce point passé inaperçu ?
« Regardez l’affaire du petit Émile, les moyens d’enquête qui ont été déployés et le battage médiatique autour. Hocine, c’est le contraire. Mais c’est vrai que plus de deux décennies séparent ces deux affaires et que la puissance des médias était peut-être moins importante à l’époque. Si l’affaire se déroulait aujourd’hui, je suis persuadé que les choses seraient différentes avec les médias », souligne un enquêteur aujourd’hui retraité, qui a travaillé sur le crime non élucidé des Cévennes. « À aucun moment, lors des premiers mois, nous n’avons eu l’impression d’approcher la vérité. C'est dur de dire ça mais, avec le recul, nous n’avons jamais eu une piste sérieuse, se souvient-il. Pourtant nous avons travaillé sur ce dossier, nous sommes même partis à l’étranger. Mais, dans certaines affaires, tu as l’impression de pédaler dans le vide », poursuit-il, en se remémorant les lieux du crime et les photos du corps en état de décomposition à cause de la chaleur et du mois passé entre la disparition et la découverte du cadavre.
« Une affaire tragique, longtemps restée ignorée au niveau national : celle d'Hocine Batouche, un enfant de 9 ans, enlevé puis tué en juillet 1999 à Alès. 26 ans après la tragédie, nous n’avons jamais cessé de nous battre », se remémore maître Nordine Tria, l’avocat historique de la famille de la petite victime. « Aujourd’hui, alors que les enquêteurs multiplient les investigations, l’affaire reste dramatiquement absente du débat public national. Aucune émission, aucun traitement médiatique à la hauteur. Et surtout : aucune reconnaissance nationale pour cet enfant oublié », insiste l’avocat alésien sur les réseaux sociaux.
Certes les Alésiens et les habitants des Cévennes se souviennent encore de ce terrible été 1999. Alors qu’une chaleur accablante envahit le sud de la France, une disparition d’enfant va passer totalement inaperçue.
Pourtant l’actualité n’est pas chargée au cœur de cet été, mais la disparition du garçonnet, le 10 juillet 1999, va passer au second plan, voire au troisième plan. Pire, les recherches de la police ou de l’armée pendant près d’un mois ne seront que très peu médiatisées. Et la découverte de son corps n’intéressera pas la presse nationale à quelques exceptions près. L’AFP a pourtant livré sa dépêche, mais le dossier criminel va ensuite s’enliser au bout de quelques heures dans l’indifférence générale. Si les médias ont peu couvert cette effroyable mort d’un enfant, tué à coups d’objets contondants au niveau de la tête, l’enquête elle aussi n’est pas exempte de reproches.
Une enquête trop légère au départ
La police judiciaire ne se déplacera que 48h après le signalement de la disparition. Certes, elle était en alerte, mais aucun policier spécialiste de l’investigation ne fera le déplacement dans la cité minière pour prendre le pouls, pour savoir ce qui se passe réellement. C’est le commissariat d’Alès, débordé par des évènements festifs ce week-end-là, qui va se charger du début de l’enquête. Un retard à l’allumage préjudiciable lorsque l’on sait que les premières heures sont capitales dans les crimes. « C’est en 2005 que le critère de disparition inquiétante est apparu. Avant le procureur faisait selon ses choix », souligne une source judiciaire, en nuançant le défaut d’enquête du début.
Il s’évapore sur un trajet de 900 mètres en allant au supermarché
Pour se replonger dans le contexte de ce dramatique samedi de juillet 1999, il est un peu plus de 15h, lorsque Hocine, 9 ans, part, avec 15 francs en poche, à la superette en contrebas du domicile familial du quartier populaire de la Royale. Il est vêtu d’un short, d’un tee-shirt et de claquettes. Il a dû passer près de la piscine du quartier de Cauvel grouillant de monde, puis a probablement longé le Gardon d’Alès où les voitures sont à l’arrêt, en ce jour de grand départ estival. L’autoroute est saturée à l’est du département et Alès voit défiler une cohorte de vacanciers en transit vers leurs lieux de villégiatures. Ce jour-là, c’est aussi jour de fête dans le centre-ville avec des spectacles de rues qui attirent la foule des grands jours… Des milliers de fêtards ont pris possession des rues alésiennes mobilisant les policiers qui ne s’attendaient pas à une telle effervescence pour cette première édition de Cratère Surface. Et, dans ce brouhaha généré par ce festival de plein air, personne ne va voir la silhouette du petit Hocine. Cet enfant parle peu, il est en France depuis un an à peine.
On sait qu’il a effectué ses achats à la superette : un pot de confiture à l’abricot et une plaquette de chocolat. Des caméras de vidéosurveillance sont installées dans le magasin et juste à l’extérieur... Mais, manque de chance, elles ne fonctionnent pas ce jour-là... Dommage, car avec des images, les enquêteurs auraient pu voir le comportement anormal d’un adulte, un suspect suivre l’enfant ou être proche de lui ou même l’aborder. Aujourd’hui encore, personne n’est capable de dire si l’enfant a été suivi, surveillé au supermarché ou sur le chemin du retour. Le dossier rebondira un mois plus tard à mi-chemin entre le commerce et la maison de l’enfant. Au pied « du crassier » ou terril pour les nordistes, le corps d’Hocine est retrouvé. Un corps en état de décomposition avec seulement le tee-shirt de l’enfant qui est découvert dans la zone du crime.
Son slip, son short, ses chaussures et les achats du supermarché ne seront jamais retrouvés. Des éléments qui laissent à penser que l’enfant a été déposé là et qu’il aurait pu être abusé sexuellement bien que l’état du corps ne permette pas de le dire. Autre interrogation : les militaires sont passés à proximité, quelques jours auparavant, sans rien trouver. Sont-ils passés à côté du corps sans le voir ou bien n’était-il pas là au moment des recherches de l’armée ?
« Il y a plusieurs possibilités mais ce qui est intéressant c’est que l’affaire n’est pas enterrée. Bien au contraire l’office central parisien est mobilisé avec cette envie de la justice de donner une réponse. Et puis ce ne serait pas la première affaire à sortir, à être élucidée un quart de siècle plus tard. Avec l’évolution des analyses, des technologies, les juges essaient de ne jamais faire mourir un dossier. Ils font tout pour repousser le délai de prescription », estime un vieux briscard de la PJ. Il ajoute qu’ « il y a peut-être des nouveaux éléments, un témoignage partiel ».
« Et puis, pour un tueur d’enfant il y a aussi le poids du geste, c’est très lourd à porter un tel secret criminel, poursuit notre limier. Et souvent, pour évacuer, il va donner, à un moment ou à un autre, des bribes d’éléments, à un proche, un ami, une femme. Les enquêteurs et la juge cherchent peut-être celui qui permettra de relancer l’affaire, ce témoin indirect qui a reçu des confidences. »
Une maman morte de chagrin
Et puis une image revient : celle du combat de la maman du petit Hocine qui croyait en la Justice et qui voulait connaître la vérité sur la mort de son fils. « Sa mère s’est battue seule pendant plus de vingt ans. Elle est décédée en 2021, sans vérité, sans justice, sans lumière. Hocine a droit à la vérité. Sa famille a droit à la justice. Et la nation a le devoir de ne pas oublier. Nous espérons aujourd’hui que des médias nationaux pourront briser le silence autour de cette affaire », poursuit avec émotion, l’avocat de la maman, Me Nordine Tria.
Nous avions rencontré cette mère de famille, il y a quelques années. C’était en juillet 2016. Elle n’habitait plus dans le logement du secteur de la Royale, mais avait déménagé dans le quartier des Près-Saint-Jean. De sa fenêtre, elle avait tenu à nous montrer le terrible mont Ricateau, cette montagne de charbon qui lui renvoyait une ombre terrible, celle de son fils de 9 ans enlevé et tué par un inconnu. Avec une voix brisée et un chagrin de tous les instants, elle voulait « que l’on retrouve celui qui a tué mon fils ». Elle confiait : « Depuis 17 ans, à chaque sonnerie de téléphone, je me dis que les policiers vont m’annoncer qu’ils ont arrêté le tueur. Mon mari est décédé de chagrin, deux ans après la mort de notre fils. Aujourd’hui encore, lorsque quelqu’un frappe à ma porte, j’ai l’espoir de voir Hocine même si je sais que ce n’est pas possible. Je l’imagine avec sa tête d’enfant et un corps d’homme. » Une maman obligée d’arrêter son récit alors que des larmes coulaient de ses yeux.
« J’ai l’impression que tout le monde a oublié le visage de mon enfant. Il y a beaucoup d’émissions de télévision ou de reportages consacrés à des disparitions d’enfants ou des meurtres de gamin. Mais pour mon fils, même à Alès, plus personne ne se souvient qu’il y a 17 ans mon petit garçon a été tué et que son assassin n’a jamais été retrouvé », insistait la maman en nous demandant de publier des articles pour ne pas oublier son « petit Hocine ».
*Si vous avez la moindre information ou le moindre renseignement même ancien ou indirect, vous pouvez contacter les enquêteurs :
Email : dnpj-ocrvp-temoignages@interieur.gouv.fr
Numéro vert : 0800 358 335
« Je suis revenu de bretagne où j’étais en vacances »
Si un homme n’a jamais oublié Hocine, c’est Christian Chambon, directeur de l’école maternelle et primaire du quartier de la Royale. Avant de devenir principal de collège, il a été pendant 9 ans directeur de cette école populaire où était scolarisé Hocine Batouche. « Lorsque j’ai appris qu’un enfant avait disparu à Alès et qu’il s’agissait d’un petit de mon école, je suis revenu de Bretagne immédiatement. » Il précise avoir « modestement » participé aux recherches. « Il s’agissait d’un enfant très gentil, j’ai été très marqué, bouleversé par cette affaire. Mais au début, lorsqu’on le recherchait, il s’agissait d’une disparition, on ne savait pas encore qu’il avait été tué. » Un directeur d’école qui, à la rentrée de ce mois de septembre 1999, raccompagnait les enfants qui étaient seuls à la sortie des classes. « J’avais peur qu’ils se fassent enlever », témoigne-t-il aujourd’hui en se souvenant avec émotion de cet enfant de 9 ans qu’il a quitté un soir d’été et qu'il n'a pas retrouvé à la rentrée.