Publié il y a 14 jours -
Mise à jour le 04.02.2025 - Sabrina Ranvier - 6 min - vu 207 fois
LE DOSSIER Les grandes surfaces sont-elles en perte de vitesse ?
L'enseigne Casino a été démontée sur le supermarché de La Calmette le 31 octobre 2024. Elle a été remplacée par celle du discounter Mon marché et Supéco.
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Les projets d’ouverture de magasins de 1 000 m2 se raréfient dans le Gard. Casino a vendu son hypermarché et tous ses supermarchés gardois. S’agit-il d’une crise passagère ou ce modèle est-il à bout de souffle ?
Un magasin d’équipement de la maison à Saint-Ambroix de 1 300 m2, un drive de 16 pistes pour Leroy Merlin à Nîmes. Et c’est tout. En 2024, la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC)* a donné son aval à seulement deux projets. Elle en a rejeté un. En tout, elle a eu trois projets à examiner en 2024. On est bien loin de la dizaine de projets qu’elle analysait en moyenne chaque année entre 2020 et 2022.
La question du foncier
Comment expliquer cet effondrement ? Est-ce dû à la hausse des coûts de la construction ? Les porteurs de projets craignent-ils que les consommateurs meurtris par l’inflation, ne soient pas au rendez-vous ? La préfecture du Gard n’a pas d'éléments concrets de réponse. Elle précise, que « sans doute », « notamment les politiques de sobriété foncières pèsent dans la balance ». La loi climat-résilience oblige notamment les communes à diviser par deux leur consommation foncière dans les dix prochaines années**.
« Notre zone artisanale fonctionne énormément et si on avait deux fois plus de terrains, on les vendrait », constate Jack Dentel, premier adjoint de la Calmette. La commune a accordé un permis de construire pour un magasin de bricolage de 1 600 m2. Un KFC devrait aussi s’installer. Si tout va bien, les travaux devraient débuter courant 2025. En septembre, c’est un Super U de 3 500 m2 qui va ouvrir dans ce village de 2 516 habitants. Le projet est ancien. L’ouverture avait été autorisée en 2019 par la CDAC. Il a pris du retard à cause de recours devant la commission d’appel nationale, CNAC.
Casino abandonne ses supermarchés pour la proximité
Ce village du nord de Nîmes possède déjà un Lidl de 1 600 m2 et une grande surface discount Marché & Supeco. Ce bâtiment accueillait auparavant un supermarché Casino. Mais, le 31 octobre, la marguerite qui ornait sa façade a été désossée. Le logo de Casino s’est effacé. Le groupe Casino, en grandes difficultés financières, a vendu toutes ses grandes surfaces. L’hypermarché Géant Casino de Cap Costières à Nîmes est tombé dans le portefeuille d’Auchan. Il s’en sort mieux que son voisin, l’hypermarché du centre commercial montpelliérain Odysseum. Depuis le 1er octobre, ses 12 000 m2 sont vides. Casino s’est recentré sur ses plus petites surfaces : Vival, Franprix, Monoprix. Sa nouvelle stratégie ? « Réinventer le commerce de proximité » en mettant l’accent sur les courses alimentaires du quotidien, la restauration à emporter ou de nouveaux services comme de la conciergerie…
Auchan, autre géant du secteur, a annoncé en novembre dernier des restructurations avec la suppression potentielle de 2 300 postes. Le Gard sera-t-il impacté ? La CGT Commerce gardoise indique que rien n’a pour l’instant été annoncé localement mais les syndicalistes restent « attentifs ».
Un modèle démodé ?
« Globalement, les centres commerciaux ont atteint leur maximum », observe Lyazid Ait Ammar, responsable de la CGT Commerce dans le Gard. Lui a travaillé de 2003 à 2011, dans la galerie d’un centre commercial nîmois : « C’était la queue tous les week-end. Ce n’est plus le cas. » Pierre***, employé depuis 23 ans par une très grande surface gardoise, estime que le modèle des hypermarchés marche « moins qu’avant » : « Les gens ne vont plus traverser toute la ville pour aller dans les hypers. » Il le reconnaît, même si « on trouve de tout comme produits » dans les hypermarchés, les gens se concentrent désormais davantage « sur ce dont ils ont besoin ».
• Sabrina Ranvier
Marée basse
Une, deux, trois… Dans la galerie de Carrefour Nîmes Étoile, les devantures fermées se succèdent. Au total, 12 cellules commerciales sur 48 sont couvertes de palissades. Les murs de la galerie ont été rachetés en 2021 par la société des grands magasins. « Neuf sont déjà louées », assure Freddy Drode, responsable du centre commercial pour cette société. Les contrats ont été signés en 2024 et les commerces devraient ouvrir en 2025. Lui estime que les hypermarchés traversent simplement une mauvaise passe : « Ce sont d’énormes bateaux qui fluctuent en fonction des marées économiques et là, la marée est très basse. Mais vous ne pouvez pas nourrir une famille de cinq en étant ouvrier en allant dans les enseignes bio et local. »
Sushis et réparation de téléphone
L’hypermarché Cora d’Alès s’est transformé en Carrefour mi-novembre. L’effectif n’a pas bougé. Le personnel et le directeur, Philippe Jeannin, ont été conservés. Lui dirige Cora depuis plus de 5 ans et aligne 38 ans de grande distribution. « On a connu plein d’épisodes de transformation. Il faut tout le temps se réinventer, analyse-t-il. Il y a des évolutions et il ne faut pas les rater. Dans le temps, il n’y avait pas de rayon sushi, on ne remplissait pas les cartouches d’encre, on ne réparait pas les téléphones ». Ses chiffres ne sont pas dans le rouge : « En termes de volume on ne perd pas, mais en termes de chiffre d’affaires, cela stagne car il y a eu une baisse des prix et un mix produits. » Il observe que la demande a changé : « Aujourd’hui, le client est très appétent à la promotion. C’est monté en puissance par rapport à la conjoncture. » Il l’avoue, son hypermarché « s’est remis en question ». « On a créé des coins bonnes affaires pour répondre à des discounters, explique Philippe Jeannin. Notre force, c’est un nombre de références important qui peut plaire à tout le monde. » En battant pavillon Carrefour, il peut proposer 7 000 produits de marque distributeur. Carrefour compte 230 hypers contre 60 pour Cora, de quoi acheter de plus gros volumes et négocier plus facilement des prix.
• Sabrina Ranvier
Jessica Cloux, charcutier-traiteur aux Halles de Nîmes, estime au contraire que les gens « ne veulent plus surconsommer » : « Ils ne veulent plus acheter un rôti de 1 kg à 28 euros. Ils nous demandent exactement ce qu’ils vont manger. » Depuis la pandémie, elle voit augmenter la fréquentation des commerces de proximité : « Les gens savaient que l’on était là pendant le Covid et ils se sont accrochés à nous. Ils ont besoin de proximité. Ici, ils ont une personne en face d’eux. On peut parler, leur donner des conseils, des astuces pour cuisiner. » Sa clientèle a tous les âges. Depuis la crise, elle voit même arriver des « petits jeunes » qui ne veulent pas surconsommer et jeter.
Les maires d’Alès et de Nîmes misent sur ces commerces de proximité. Ils ont appliqué des moratoires sur l’installation de grandes surfaces en périphérie et ont lancé des projets de rénovation de leurs halles. Celles d’Alès doivent être inaugurées en juin. Elles proposeront un nouveau concept des stands traversants où les commerçants pourront aussi ouvrir leur commerce en dehors des heures d’ouverture des halles. À Nîmes, une équipe de maîtrise d’œuvre sera désignée courant 2025 pour travailler notamment avec les étaliers. La rénovation est prévue à la fin de l’occupation des baux actuels, en 2030.
Freddy Drode, responsable du centre commercial Nîmes Étoile pour la société des grands magasins.
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De la « street food » pour la galerie Nîmes étoile
L’ambiance est plus que calme, en ce mercredi 15 janvier, dans la galerie commerciale du Carrefour Nîmes Étoile. C’est morne partout sauf devant le tabac-presse où des papis s’agglutinent. La galerie a été rachetée par la société des grands magasins. « On a rouvert la presse avec la Française des jeux, indique Freddy Drode, responsable du centre commercial. On adore prouver que les sites ne sont pas morts, qu’il suffit de remanier. » Il assure que sur les douze cellules commerciales fermées, neuf sont déjà louées. Tahiti Sun, centre de bronzage et de bien-être, est en cours d’installation. Au printemps, une enseigne de sushi devrait s’installer. Il projette l’ouverture l’été prochain d’un commerce de tacos et de J’ai la dalle. « C’est une enseigne parisienne qui explose dans la street food halal, décrit-il. Il y aura des terrasses et des jeux pour enfants. ». Face à un marché du textile en berne, il mise sur l’alimentaire et les services : « Notre idée est de devenir une référence de la street food où vous pouvez manger en famille. »
*Pour ouvrir une surface de vente supérieure à 1 000 m2, il faut obtenir l’autorisation administrative de la Commission départementale d’aménagement commercial. Ses décisions peuvent être contestées devant la Commission nationale d’aménagement commercial.
** L’objectif de cette loi est notamment de réduire de moitié la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers dans les dix prochaines années (2021-2031) par rapport à la décennie 2011-2021.