C’est l’accomplissement d’un projet un peu fou, qui a été célébré ce dimanche. Le monument en hommage à Bernard Lazare a retrouvé sa place dans les jardins de la Fontaine. Le monolithe de cinq mètres de haut avait été inauguré en 1908 avant d’être dégradé à plusieurs reprises puis d’être enlevé en 1942, pendant l’Occupation. Il aura fallu attendre 83 ans pour que l’illustre Nîmois soit de retour. Si ce monument a suscité autant de passion, c’est parce que Bernard Lazare était le premier défenseur d’Alfred Dreyfus. L’une des plus célèbres affaires judiciaires du XXᵉ siècle qui a divisé les Français.
« À Nîmes, la haine n’a pas gagné et la République est debout »
Du fait de son engagement, Lazare n’avait pas que des amis et l’inauguration du premier monument avait généré des tensions avec l’Action française (mouvement nationaliste et royaliste né en France au moment de l'affaire Dreyfus autour du journal du même nom). Alors depuis plusieurs années, le collectif Histoire et Mémoire s’est lancé dans ce projet qui ressemble aussi à une aventure. Son président David Storper a voulu sortir le Nîmois de l’oubli : « Bernard Lazare était le premier Dreyfusard. Il a eu le courage de dire non à l’injustice, non à l’antisémitisme quand beaucoup se taisaient. En 1942, ce monument a disparu. Ce n’était pas un dommage de guerre, c’était une volonté d’effacer un homme, un combat, les valeurs républicaines. Le reconstruire à l’identique en 2025 relevait d’un projet que beaucoup disaient impossible. Pourtant, nous l’avons fait ensemble. À Nîmes, la haine n’a pas gagné et la République est debout ».
Un monument de 22 tonnes et cinq mètres de haut
C’est à partir de documents anciens, notamment des cartes postales d’époque, qu’une première maquette en terre cuite puis un modèle en plâtre ont été réalisés. Ils ont servi de base à la sculpture finale taillée dans la pierre de Lens par l’Atelier Bouvier basé aux Angles. Quatre artisans ont été mobilisés plusieurs mois pour recréer le buste, l’allégorie et l’appareillage, constituant un monument de 22 tonnes. « Cette figure intellectuelle fait partie du patrimoine nîmois et je suis heureux que la ville de Nîmes soit associée à cette démarche », souligne Jean-Paul Fournier, le maire de Nîmes.
Bientôt une réplique dans le cœur de Paris ?
« La statue de Bernard Lazare va à nouveau mettre en exergue la défense de la liberté et de la lutte contre les injustices », s’est félicité Pierre-Olivier Perl, l’arrière-petit-fils d’Alfred Dreyfus. Enfin, l’initiative nîmoise va faire écho dans la capitale. Patrick Bloche est premier adjoint à la Ville de Paris en charge de l’Éducation mais il est aussi un descendant de Paul-Roger Bloche, un des sculpteurs du monument original. « C’est un incroyable miracle républicain. Dans les deux ans à venir, nous projetons d’installer une réplique du monument nîmois, mais en plus petit format, place Bernard-Lazare qui se trouve au cœur de Paris ».
Bernard Lazare est de retour dans sa ville natale aux côtés d’Antoine Bigot et Jean Reboul dans les Jardins de la Fontaine. Avec lui, ses combats contre l’injustice et l’antisémitisme sont aussi mis à l’honneur.
Bernard Lazare
Né à Nîmes le 14 juin 1865, rue de Bernis, il étudie au lycée de garçons (actuel lycée Daudet) avant de rejoindre la Société littéraire et artistique de Nîmes.
À 21 ans, il s’installe à Paris et devient l’une des plumes les plus incisives de son époque. Engagé sur tous les fronts – anarchisme, sionisme, défense des Arméniens, liberté de la presse – il s’impose comme une figure incontournable de l’indépendance d’esprit. Dès 1894, deux ans avant le célèbre J’accuse de Zola, Bernard Lazare devient le premier défenseur d’Alfred Dreyfus. Il meurt en 1903, à 38 ans, sans voir la réhabilitation de Dreyfus en 1906. La même année, la Ville de Nîmes renomme la rue Saint-Bernard en rue Bernard-Lazare et crée un comité chargé d’ériger un monument en son honneur. Une souscription est lancée en 1908 et le monument, réalisé par les sculpteurs Hippolyte Lefebvre et Paul Roger-Bloche avec l’architecte Max Raphel, est installé aux Jardins de la Fontaine, où il est inauguré le 4 octobre 1908. L’événement est marqué par des tensions avec l’Action Française, mais aucun incident majeur n’a lieu.
Ils ont participé au projet
La délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine LGBT, le fonds de développement à la vie associative, le conseil régional d’Occitanie, le conseil départemental du Gard, la ville de Nîmes, Nîmes-Métropole, la ville de Paris, SAS le Prince Albert II de Monaco, la Fondation de la Mémoire de la Shoah, la Fondation du Judaïsme français, la Fondation Crédit Agricole – Pays de France-Languedoc, la Fondation du Patrimoine, le Souvenir Français, l’Ordre des Avocats de Nîmes, l’A.C.I.N.G – Diocèse de Nîmes – Église Protestante Unie de Nîmes – E.L.I.M, l’Amitié Judéo-Chrétienne – Nîmes-France. Joël Rochard président de Cercle Bernard Lazare, François et Hubert Heilbronn vice-présidents de Mémorial de la Shoah, Gérard Kupfer Nîmois et commerçant, et Ariel Riouah citoyen français.
L’affaire Dreyfus
Dans cette crise politique majeure sous la IIIᵉ République, un officier français (Alfred Dreyfus) de confession juive dans une histoire d'espionnage. Alimentant divers rebondissements, "l'Affaire" va scinder la France entre "dreyfusards" et "antidreyfusards" pendant plusieurs années (entre 1894 et 1906). D’abord dégradé, le capitaine Dreyfus est reconnu coupable de haute trahison par le premier conseil de guerre du gouvernement militaire de Paris, qui le condamne à la dégradation et à la déportation dans l'île du Diable au large de la Guyane. Le 12 juillet 1906, la Cour de cassation casse le jugement. Dreyfus est alors réhabilité et réintégré dans l'armée, promu chef de bataillon et officier de la Légion d'honneur. Puis il décède en 1935 à l’âge de 75 ans.