Publié il y a 1 an - Mise à jour le 15.02.2023 - Anthony Maurin  - 5 min  - vu 359 fois

NÎMES Amphithéâtre, les particularités d'un antique chantier

L'assemblée de la conférence qui réunissait Marc Célié et Richard Pellé au Musée de la Romanité (Photo Anthony Maurin).

Quatre articles pour rendre compte d’une conférence de presse organisée au Musée de la romanité avec Marc Célié et Richard Pellé, deux archéologues spécialistes de l’amphithéâtre de Nîmes. (3/4)

Aucun bloc n’est identique, c’est normal pour ce genre d’édifice, quand on va d’une travée rayonnante à une autre. Chaque mur a sa dimension de blocs parallélépipédiques.

L'assemblée de la conférence qui réunissait Marc Célié et Richard Pellé au Musée de la Romanité (Photo Anthony Maurin).

Comme tout chantier qui se respecte dans l’Antiquité romaine, il est difficile de ne pas trouver quelques spécificités aux travaux nîmois de l’époque. "Comme chaque amphithéâtre est différent, celui de Nîmes ne déroge pas à la règle. Nous nous sommes rendus compte que deux équipes différentes avaient commencé par le sud et que le chantier a évolué, de manière quasi simultanée, pour s’achever par le Nord, côté ville." Des outils de construction sont concernés par ces nouvelles découvertes. Les archéologues ont cherché à comprendre le système des pinces à crochet. "Ces grandes barres à mine permettaient de déplacer le bloc en le frottant avec celui du dessous afin de l’user et d’avoir le joint le plus fin possible. Avec cela, impossible de glisser une feuille de papier entre les deux !" Les archéologues ont aussi constaté un certain nombre de remploi de blocs existants déjà lors de l’édification de l’amphithéâtre.

Marc Célié et Richard Pellé de l'Inrap (Photo Anthony Maurin).

Il en va de même pour l’outil dénommé "taillant droit" dont la lame n’a rien à voir avec ses amis dits en grains d’orge ou brettés. Disons que les piliers du rez-de-chaussée de l’amphithéâtre, jusqu’aux arches du premier niveau, sont taillés avec le taillant droit. Les deux autres outils prennent ensuite la relève. Pourquoi ? "Il y a soit deux équipes soit deux étapes de chantier. Mais les deux se sont rencontrées à la travée n°1."

Géométrie imparfaite et sismologie

"Comme tout chantier il y a des anomalies, des imperfections, des erreurs et des loupés ! On peut les voir. On des réparations antiques que l’on observe. Sur la tranche actuelle du chantier, on en voit deux ou trois sans trop détailler encore. Cela peut être lié à un choc au moment de la pose. On mettait des greffes comme le fait l’entreprise Selle qui restaure le monument actuellement."

Le chantier antique selon Jean-Claude Golvin, à découvrir au Musée de la Romanité jusqu'au 5 mars (Photo Archives Anthony Maurin).

Un crampon coupé en deux au ciseau, car en bois, a été trouvé. Coupé de la sorte, il ne servait plus à rien mais cette coupure indiquait quelque chose. Laissé à sa place pour ajuster le bloc, les ouvriers romains ont masqué leur erreur. Il devait donc y avoir des contrôles et donc des sanctions !

Pour les tremblements de terre, rien à dire, l’amphithéâtre est encore debout donc pas grand-chose à fouiller de ce côté. Enfin presque. Un défaut saute aux yeux. Mais à quoi est-il dû ?

Les arènes en majesté et restaurée... Enfin ce côté ! (Photo Archives Anthony Maurin).

"Quelques blocs ont bougé, on a un dévers de la façade à certains endroits. Rien qui pourrait mettre en danger l’édifice mais c’est à noter. Dans les phases précédentes du chantier nous avons mis quelques tirants pour ramener les blocs vers l’intérieur et stopper l’ouverture. Cela pourrait être lié à un séisme mais je pense que le problème en était un depuis le début du chantier. C’est un problème d’instabilité du sol sur quelques piliers."

Le chantier selon Golvin (Photo Archives Anthony Maurin).

On sait qu’au Temple de Diane, sur un seul élément de la porte du bâtiment, un bloc a bougé sur lui-même et on ne s’explique pas cette rotation. De là à penser que cela a pu se reproduire aux arènes, non. Les archéologues misent plutôt sur un affaissement. On varie souvent entre du rocher très dur et du sable ce qui peut déstabiliser le monument. "Mais les arènes ont quand même bien résisté pendant deux mille ans et à mon sens c’est l’amphithéâtre le mieux conservé du monde romain avec celui de Leptis Magna, mais c’est dur d’aller sur place et il n'a jamais été restauré. Il y a encore, malgré tout, de nombreux blocs d’origine à Nîmes même si les voûtes, fragiles, ont souvent été reprises. Les murs radiants sont beaux, le grand appareil a été restauré mais peu de choses ont été changées. Les travaux anciens de restauration ont impacté l’édifice mais il reste encore beaucoup de blocs antiques !"

Gradins orientés et financement

On a aussi des picots ou des tenons, clairement visibles sur les blocs à l’intérieur de l’amphithéâtre. À quoi correspondent-ils ? Ils sont aux angles ou en bas des blocs. Un ou deux par bloc, parfois ils sont érodés, ou rabattus. "Avec l’entreprise Selle qui restaure actuellement les arènes nous avons fait des tests. Ces picots devaient servir à orienter la surface des blocs vers le bas pour le ruissellement des eaux. Le mettre à l’horizontale n’est pas un problème mais pour les mettre légèrement à l’oblique, c’est autre chose et ces picots devaient servir à manipuler et ajuster les blocs. Ça a très bien fonctionné !"

Pour le financement, les indices sont ténus. Une belle inscription qui ne veut hélas pas dire grand-chose. "Elle se trouve dans la salle cruciforme. C’est un Titus ou un Tiberius, en tout cas une grande famille. A-t-il fait l’ensemble de l’édifice, juste la salle cruciforme ? Il a forcément participé en financement de l’amphithéâtre. Peut-être en était-il le principal financeur ! On sait que c’est une famille nîmoise grâce aux inscriptions funéraires que l’on a retrouvé mais on n’en sait pas plus."

La plaque ornant la salle cruciforme. Titus ou Tiberius Cripius Reburrus Fecit (Photo Archives Anthony Maurin).

C’est sans aucun doute de riches sénateurs ou commerçants de la cité. L’empereur a-t-il aidé ? Il y a peu de chances car pour Trajan ou Hadrien, Nîmes n’est finalement que peu de choses. Antonin, lui, mais plus tardivement, a doté la ville d’autres grands monuments.

Grues, linteaux et ellipse

La découverte d’un bloc particulier, un tirant, a laissé entrevoir un gros trou de louve non centré sur le bloc. Sorte de gros linteau de 5,4 mètres, parmi les plus gros blocs de l’amphithéâtre car ils vont d’un pilier à l’autre, ce tirant est intriguant. "On a eu la surprise de découvrir ça et on a compris qu’il y avait plusieurs louves ! Quatre ou cinq sur une sorte de palonnier."

Ainsi, on soulevait le bloc en répartissant la charge. Comment monter de tels blocs sans les casser et sans déquiller l’échafaudage ? "On y a réfléchit avec Jean-Claude Golvin ! Il existe encore des blocs antiques sans trous de louve. Comment les a-t-on soulevés ? Avec des élingues, des cordes." On nouait l’échafaudage aux piliers mais il existait des espaces vides entre chaque pile pour monter ce genre de bloc. "Les grues devaient elles aussi pivoter sur leur axe !"

Richard Pellé commentant l'exposition de Jean-Claude Golvin (Photo Archives Anthony Maurin).

Le tracé de l’ellipse, l’ovale qui donne sa forme à l’amphithéâtre a aussi été étudié par Golvin et les archéologues. C’est pour cela que l’exposition en montre les coulisses. Faire une ellipse n’est pas compliqué en soi, mais la faire monter et défier les règles de la nature c’est une autre sauce.

"Des foyers permettent de construire à partir d’un centre défini deux triangles équilatéraux dont on choisit scrupuleusement les dimensions. On a donc quatre points qui se forment. C’est à partir de là qu’on fait le tracé. Mais c’est plus compliqué que ça car il faut trouver des foyers… et il y a plein de possibilités de tracer les amphithéâtres."

Anthony Maurin

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