NÎMES L’amère fermeture de la cordonnerie Ulmer
Cela fait près de quatre décennies que la façade bleue de ce commerce colore la rue des Greffes. Mais ce souvenir azur fera bientôt partie du passé. Le cordonnier arrête son activité, mais pas dans les conditions qu’il aurait aimé.
« C’était le meilleur cordonnier de Nîmes et je suis triste que la boutique ferme définitivement. Il y avait la qualité du travail bien fait et des bons conseils ». Sophie est cliente de longue date et apprend avec stupeur la triste nouvelle. Jacques Ulmer, le cordonnier qui occupait cet emplacement, est en invalidité depuis le mois de mars. Il quitte sa boutique, amer, car la fin de cette histoire est un peu triste. L’aventure commence en 1978. « C’est ma sœur qui a installé la cordonnerie et je l’ai rapidement rejoint », se souvient le commerçant, qui au départ se destinait à une carrière de paysagiste : il ne se voyait pas travailler en intérieur !
« J’étais trop méticuleux, trop consciencieux »
Dans les années 1980, il rachète les parts de l’associé de sa sœur et se lance pleinement dans le travail de la chaussure. « On ne gagnait pas des mille et des cents, mais c’était plaisant », se souvient Jacques. Seulement, au fil des années, les rentrées d’argent se font moins importantes. La sœur de Jacques, partie à la retraite, est remplacée par sa compagne et le couple gagne à peine le smic. « On faisait des réparations qui prenaient beaucoup de temps et nous ne prenions pas assez cher de l’heure. J’étais trop méticuleux, trop consciencieux. Le prix des fournitures a énormément augmenté. À une époque, je vendais des produits comme du cirage mais ça aussi c’est devenu difficile car c’était trop cher ».
Des douleurs dans tout le corps et des migraines
Perfectionniste, le cordonnier n’hésite pas à travailler sur son temps libre, le week-end, au détriment de sa vie privée. « J’avais un cheval et un chien et j’aimais faire de la randonnée mais je n’avais plus les moyens ni le temps pour tout ça ». Quarante années de dur labeur laissent des traces sur le corps. Jacques a désormais des douleurs aux mains, dans les bras, dans le dos et des migraines à cause des colles respirées pendant des années.
« Je m’en veux d’être aussi con »
Comme un souci n’arrive jamais seul, Jacques investit dans un smartphone qu’il paie 1 000 € pour gérer les numéros de ses clients. Malheureusement, il se fait voler le précieux téléphone. Puis, il est victime d’un indélicat vendeur de voiture. Le véhicule avait des défauts cachés et le vendeur a disparu dans le nature. En revanche, le crédit est toujours là. « J’ai eu des galères », analyse le cordonnier qui est loin de rouler sur l’or. Il y a quelques mois, il trouve un jeune cordonnier pour racheter le fond de commerce, mais l’opération tombe à l’eau pour des raisons administratives. « Je m’en veux d’être aussi con. De n’avoir pas mis d’argent de côté, ou de ne pas avoir changé de profession quand il était encore temps ».
« C'est un mélange de soulagement et de déchirement »
Alors que Jacques range ses affaires, les clients passent régulièrement lui témoigner leur affection. Des ondes positives qui sont les bienvenues dans la vie du commerçant : « Je discutais avec les gens et ça m’a permis d’avoir une grosse clientèle que j’estime à 2 000 personnes. Ils m’aimaient beaucoup. On se sent utile et c’est agréable d’être apprécié. » Jacques va fermer la porte d’un commerce qu’il a tenu pendant presque 40 ans : « C'est un mélange de soulagement et de déchirement. »
À 60 ans, et dans une période difficile de sa vie, le cordonnier doit relever la tête et rebondir. Pour vivre des jours meilleurs, il envisage sérieusement de rentrer à Saint-Étienne, sa ville de naissance, pour retrouver sa famille et voir grandir les enfants. Une page se tourne tout doucement dans la rue des greffes. C’est encore un vieux commerce du centre-ville qui disparaît et la petit boutique bleue ne sera désormais qu’une coquille vide.
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