Publié il y a 5 ans - Mise à jour le 08.05.2018 - coralie-mollaret - 3 min  - vu 1070 fois

LE 7H50 de Nathalie Argenson : « l’hôpital public n’est pas une entreprise privée ! »

Responsable syndicale CGT à l'hôpital de Nîmes, Nathalie Argenson tire la sonnette d'alarme sur la marchandisation du soin qui impacte agents et patients.
Agent hospitalier depuis 31 ans, Nathalie Argenson s’est reconvertie dans l’analyse des situations au travail. Elle est également secrétaire CGT du CHU de Nîmes (Photo : Coralie Mollaret)

Objectif Gard : Le président du Conseil de l’ordre des médecins sort aujourd'hui un livre choc (*) sur l’état des hôpitaux publics en France. Selon lui l’égalité des patients face aux soins n’est plus assurée. Qu’en pensez-vous ?

Nathalie Argenson : C’est un constat partagé. Nous, ça fait 20 ans que l’on dénonce les situations que d'autres constatent aujourd’hui ! Certains professionnels osent même parler de maltraitance institutionnelle… On est loin de l’hôpital public tel que le Comité national de la résistance l’imaginait au sortir de la seconde guerre mondiale. 

Quelles en sont les raisons ?

Le financement des hôpitaux, c’est le problème. On est désormais sur une marchandisation du soin. Regardez : la mise en place de la T2A (Tarification à l'activité) dans les hôpitaux en 2004. Les hôpitaux doivent justifier d’une activité pour créer une ligne budgétaire dans un cadre très normé où chaque activité à un code… Tout ce qui relève du relationnel et qui fait partie intégrante du soin n’est pas codifié.

Comment cela s’illustre-t-il dans les faits ?

On s’intéresse à notre système de santé lorsque nous y sommes confrontés. Nîmes est l’un des rares hôpitaux publics à ne pas être en déficit. Pour arriver à cela, la direction a dû ralentir les embauches. La première victime de l’hôpital, ce sont les urgences : manque de personnel, de lits... On hospitalise les patients dans les couloirs !

Aux urgences, il y a aussi souvent des patients qui ne relèvent pas de l’urgence…

Ça, c’est la petite musique que l’on veut nous faire entendre. Sauf qu’en réalité, il faut attendre longtemps pour prendre rendez-vous chez le médecin. Il y a un peu plus d’une vingtaine d’années, plus de 8 000 professionnels étaient diplômés. Aujourd’hui, il y en a seulement 4 000 ! Les responsables politiques se sont dits qu’en réduisant l’offre, ils allaient réduire la demande. C’est le problème quand le soin est vu comme une marchandise ! Regardez l’ancien directeur de l’hôpital de Nîmes qui se félicitait d’avoir 14% de cancer en plus… C’est une logique de chiffre et d’entreprise !

Quelles sont les conséquences sur le travail des agents ?

Avec la mise en place des 35 heures, l’intensification de l’activité a explosé.Tout doit aller très vite. Les agents ne peuvent plus prendre le temps et deviennent des techniciens du soin. Une infirmière aujourd’hui passe 40% de son temps sur l’informatique à tracer les soins. Alors certes, c’est important en terme de traçabilité. Mais être infirmière est une vraie vocation où le relationnel avec le patient est important. 

Certaines familles de patients dénoncent une déshumanisation du personnel soignant... 

On n'a plus le temps. Les médecins sont fuyants. Vous n’arrivez jamais à s'entretenir avec eux. Ils font 50 milliards de choses à la fois. Quand vous pensez qu’il y a des endroits où l’on fait la toilette des gens alors que l’on pourrait les accompagner dans une démarche… Dans ces conditions, comment les agents réagissent-ils ? : ils prennent du recul. Si on veut faire fonctionner l’hôpital public de façon taylorienne, il faut s’attendre à ce que les salariés développent des stratégies pour s’en sortir, sinon ils en crèvent : maladies psychosomatiques, antidépresseurs… L’hôpital d’aujourd’hui fait les soignants d’aujourd’hui. 

Avant l’été, le gouvernement doit annoncer des mesures en faveur des hôpitaux publics. Qu’en attendez-vous ?

Il faudrait une remise à plat : qu’est-ce que la santé aujourd’hui ? L’accès et l’égalité aux soins est inscrit dans la Constitution. Il nous faut plus d’établissements de proximité. Par ailleurs, les hôpitaux paient une taxe à l'État sur les salaires des agents. C’est la seule administration de la fonction publique qui procède ainsi. C’est scandaleux ! À l’échelle nationale, ça représente quatre milliards d’euros, soit le montant de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) supprimé par Emmanuel Macron. Si les hôpitaux en étaient exonérées, ça permettrait de recruter 100 000 emplois dans la fonction publique hospitalière. Ça nous permettra de travailler un peu mieux et d’améliorer les soins offerts aux patients.

Propos recueillis par Coralie Mollaret

coralie.mollaret@objectifgard.com

Et aussi : En France, c’est la Sécurité sociale qui finance les hôpitaux publics grâce aux cotisations sociales payées par les travailleurs. Ce modèle n’est pas en vigueur dans tous les pays. Au Royaume-Uni, c’est l’État qui débloque une enveloppe sur son budget propre, soumise parfois aux coupes budgétaires. « On pourrait prendre la cotisation sur la plus-value des entreprises et non sur les salaires. Ça permettrait de ne plus taxer l’embauche mais les richesses produites. On aurait un traitement plus égalitaire ! Rappelons que si des entreprises s’installent en France, c’est bien parce que nos équipements publics sont performants », propose Nathalie Argenson. 

*Santé : Explosion programmée, écrit par le président du Conseil national de l'ordre des médecins, Patrick Bouet (éditions de l'Observatoire).

Coralie Mollaret

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