Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 25.12.2020 - anthony-maurin - 5 min  - vu 12704 fois

FAIT DU SOIR Mais qui était la princesse Dhuoda ?

Le lycée Dhuoda à Nîmes (Photo Anthony Maurin).

C'est l'histoire d'un gars qui trouve un manuscrit, le Manuscrit de Nîmes. Nous sommes au XIXè siècle et le Conseil municipal d'alors décide de donner le nom de Dhuoda à une rue nîmoise au coeur du quartier des rois capétiens et mérovingiens. Qui était la princesse Dhuoda qui a écrit son " Liber manualis ", le " manuel pour mon fils "' ?

Dhuoda est bel et bien un prénom. D'origine germanique, certes, mais c'est un prénom qui est largement usité à cette époque dans les contrées nordiques. Mais quelle époque ? À la grande charnière de l'empire carolingien et de l'Histoire de France.

En juin 824, le duc Bernard de Septimanie (petite dédicace à Georges Frêche) petit cousin de Charlemagne himself, épouse une princesse nommée Dhuoda Aix-la-Chapelle. Un peu plus d'un an plus tard, Dhuoda donne naissance à son premier enfant, Guillaume. D'accord, jusqu'ici, rien de très Gardois me direz-vous. Pas tout à fait car Dhuoda ne va pas tarder à entrer dans l'histoire et avec elle une partie de notre département. D'ailleurs, sa famille est certainement en partie gardoise avant tout ce qui va se passer...

Son fils est le premier uzétien de naissance

Installée de force voire carrément exilée à Uzès qui était sur les terres de son marquis de mari et dont elle gérait les intérêts, Dhuoda se retrouve rapidement seule et Bernard reste en quête de magouilles et d'intrigues loin d'elle. C'est  probablement en raison de sa mauvaise santé mais aussi de certains dangers qu'elle se trouve séparée de son époux et de ses enfants.

L'épitaphe de Dhuoda (Photo DR). • Jacky Darne

Car oui, peu après la naissance de son second enfant, Bernard, qui voit le jour en mars 841, Dhuoda a plus de quarante ans. Ce fameux Bernard est bizarrement natif d'Uzès et il serait le premier uzétien dont nous sommes sûr de sa date et de son lieu de naissance. Mais nous n'allons pourtant pas trop nous approcher de Bernard en lui préférant l'histoire de son frère aîné, Guillaume. En effet, Bernard suivra plutôt les traces de son belliqueux de père quand Guillaume, quasi enlevé à Dhuoda pour être envoyé à la cour du roi Charles de Chauve certainement comme otage. D'ailleurs, Bernard, natif de la cité uzétienne, n'a été baptisé que plus tard et Dhuoda ne connaîtra peut-être jamais son prénom. Sans mari et sans fils, Dhuoda n'est plus la même.

Séparée de son mari elle gère commence à écrire. Elle écrit ce qu'elle sait et confectionne son " Manuel d'éducation à l'adresse de mon fils Guillaume. " Un ouvrage comprenant 120 feuillets écris en latin et divisés en une soixantaine de chapitres. Et là, nous avons les dates de sa rédaction... Dhuoda se met à écrire le 30 novembre 841 pour n'achever son oeuvre qu'en février 843, le 2 pour être précis. Si vous comptez bien, Guillaume a alors 16 ans et ce manuel est fait pour l'éduquer en toute simplicité.

Des mots qui touchent

Ce petit livre est le premier, à notre connaissance, à avoir été écrit par une femme et marque un tournant au Moyen-Âge. Enfin écrit par une femme pas tout à fait car Dhuoda aurait elle-même dicté ses propos à un clerc nommé Wislabert. Un tournant ? Pardi ! Il fut l'un des meilleurs livres de son époque, une référence connue et reconnue. Évidemment tous les grands thèmes religieux y passaient, un must pour l'époque car les idéaux de la Bible et des saintes écritures y transpirent. Tout ça dans le but que son enfant puisse enrichir sa culture religieuse.

Elle débute son manuel avec des mots mélancoliques et amers. " La plupart des parents ont la joie de vivre avec leurs enfants. Mais moi, ô mon fils Guillaume, je me vois éloigné de toi. L'anxiété que j'en éprouve et le désir de ton bien m'ont porté à faire écrire pour toi cet opuscule. Il est fait en mon nom et je serais heureuse qu'il t'apprenne ce que tut dois être d-pour ta mère absente [...] J'ai fait écrire pour toi ce petit livre selon ma faible intelligence. Quoique mille obstacles s'opposent à ce que je te vois, tu e voir est le premier de mes soucis, le seul devant Dieu. "

Un lycée nîmois porte le nom de l'illustre gardoise (Photo Anthony Maurin).

Plusieurs de ces livres ont été conservé. Si le manuscrit de Nîmes est le plus frêle car ne comportant plus que 32 feuilles, les manuscrit de Paris (90 feuilles) et de Barcelone (mais réalisé au XIVè siècle) sont bien plus complets. Celui de Nîmes, découvert en 1885 dans les papiers de Germer-Durand, est un manuscrit écrit en une minuscule caroline. Les titres sont en capitales rustiques, les initiales et les titres sont de manière générale écrits à l'encre rouge et, en comparant l'écriture de ce manuscrit à celle de manuscrits datés, on peut penser que celui-ci a été écrit à la fin du Xème siècle ou au début du XIème siècle. Avec ce petit manuel des bonnes manières était jointe une épigramme de 90 vers en latin. Dans le même style et à la fin de sa vie, Dhuoda prépare la suite et commence à travailler sur son épitaphe.

Pour continuer à parler à son fils à travers son livre, Dhuoda n'hésite pas à oser l'avenir. " Dhuoda doit t'être toujours présente, mon fils. Si je viens à manquer, il te restera mon livre où tu pourras me retrouver comme dans un miroir. Lis-le, comprends-le, applique-le [...] Moi Dhuoda, votre mère, je vous avertis tous deux d'élever vos coeurs quand vous souffrirez des épreuves du monde. Regardez alors. "

Morte à Uzès

Oui et en plus de ces quelques paroles, Dhuoda demande à son aîné d'aimer son cadet, d'être loyal envers son père et son roi et de vivre sa vie dans la sérénité religieuse. Guillaume devra aussi être secourable aux pauvres, avoir des bonnes moeurs et se garder de la colère et de l'orgueil. " Voilà, voilà terminées les paroles de ce livre que j'ai dictées avec joie et que j'ai ordonné de transcrire par ton utilité. Je pleure en faisant un retour sur moi-même. [...] La douleur de mon grand amour et le regret de ta beauté m'ont fait presque oublier le moi-même et maintenant que les portes de ce livres sont closes, il me prend le désir d'y rentrer. Ne cesse pas, je t'en conjure, de prier pour le salut de mon âme. "

On ne va pas tout traduire mais voici quelques vers. " En ce tombeau est enterré le corps de Dhuoda, créé de la Terre. Roi infini, accueille-la ! Vous, de tout âge et de tout sexe, qui ici là allez et venez, dites, je vous en prie : Dieu Saint, Dieu grand, délie ses chaines ! Que personne ne s'éloigne d'ici sans avoir lu ! Je vous conjure de tous faire cette prière : Dieu de bonté, donne-lui le repos ! Qu'après sa mort la reçoive le Christ ! "

Tel un doigt montrant le ciel, la Tour Fenestrelle s'élève vers le divin Et Dhuoda reste aussi Uzétienne dans le coeur des Gardois (Photo archives Anthony Maurin).

Un an après l'écriture de son manuel, Bernard (père) devenu duc, tombait victime de ses trahisons et fut condamné à mort pour félonie. Pour Guillaume qui n'a jamais eu le livre entre les mains, les choses ne sont guère meilleures... Il fut parjure, prisonnier, condamné à mort et exécuté en 850. Enfin, l'autre Bernard, le fils meurt à Barcelone en 886. Les amoureux de la tendresse de Dhuoda espèreront qu'elle n'aura pas eu le temps de connaître les affres subis par sa descendance car de ses voeux pieux, Guillaume n'a rien suivi.

La princesse Dhuoda est morte à Uzès, forcément après la rédaction de son manuel, donc après 843. Nul ne sait quand exactement, ni ou précisément. Comme elle le disait à la fin de son petit guide pratique, " Frêle et souffrante je suis brisée par le choc des vagues... La mort approche de moi et la détresse épuise mon corps. Mon constant état de souffrance, les événements et l'obstacle de ma faiblesse ont livré mon frêle corps à des périls de toute sorte. "

Ce " manuel " n'est pas seulement le dialogue intime entre Dhuoda et son fils. C'est aussi et surtout la voix du cœur d'une mère angoissée et meurtrie que l'on entend à travers cette littérature carolingienne de haute volée.

Anthony Maurin

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