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Mise à jour le 10.07.2025 - Yannick Pons - 6 min - vu 103 fois
CULTURE LUMA Arles : trois expositions fascinantes invitent à voir le monde autrement
Ho Tzu Nyen, Phantoms of Endless Day
- @Kiang Malingue
Alors que le célèbre festival de photographie des Rencontres d’Arles s’empare de la ville cet été, des artistes comme Peter Fischli et Ho Tzu Nyen mais aussi Wael Shawky, invitent, eux aussi, à regarder le monde sous un autre angle de façon inédite.
Plus de 40 expositions dans des lieux historiques à travers Arles, des amphithéâtres romains antiques aux entrepôts industriels, accueillent la 56ᵉ édition des Rencontres de la photographie d’Arles, jusqu'au 28 septembre.
Maturité
La grande tour à la façade irrégulière et miroitante, signée Frank Gehry, plantée en lisière du centre-ville arlésien, déploie tout l’été et jusqu’au 11 janvier 2026, un ambitieux programme d’expositions réunissant des artistes de renommée mondiale qui invitent à repenser notre rapport au monde.
« C'est vraiment incroyable ce qui se passe ici. Je suis très contente de finalement arriver à un tel résultat, après toutes ses étapes traversées. Et je suis de plus en plus enthousiaste quant à notre programmation cette année », confie Maja Hoffmann, présidente du conseil d’administration de la Fondation Vincent van Gogh et fondatrice et présidente exécutive de LUMA Foundation et LUMA Arles.
La grande tour à la façade irrégulière et miroitante, signée Frank Gehry
• Photo Yannick Pons
De Wael Shawky revisitant les mythes antiques dans Je suis les hymnes des nouveaux temples à Peter Fischli questionnant l’esthétique du capitalisme avec People Planet Profit, ou encore Ho Tzu Nyen brouillant les frontières entre histoire et fiction avec Jour spectral et contes étranges, les artistes présentés explorent les imaginaires collectifs et l'histoire sous un regard résolument contemporain, de la romantique Pompéi aux feux tricolores urbains modernes.
Les commissaires de l’exposition soulignent combien ce projet illustre l’engagement de la Fondation LUMA à soutenir la production de nouvelles œuvres, plutôt qu’à se contenter de montrer des pièces existantes.
Le film au bout de la rue de Pompéi
• @Victor Picon
1. Wael Shawky Je suis les hymnes des nouveaux temples
LUMA Arles propose dans la Grande Halle une expérience monumentale signée Wael Shawky, figure majeure de l’art contemporain égyptien. Son exposition Je suis les hymnes des nouveaux temples, présentée du 5 juillet au 2 novembre 2025, transforme cet espace d'une hauteur vertigineuse en un décor immersif dans lequel la ville antique de Pompéi sert de théâtre à une méditation sur la transmission des mythes et la création.
Dans cette version, Gaïa, déesse primordiale de la Terre et mère des Titans selon la mythologie grecque, croise des personnages masqués, des créatures divines et des dieux illustres en traversant les rues de Pompéi, avant d’atteindre un temple romain, suggérant le brassage des mythes à travers cultures et époques. Des sculptures en verre et en bronze prolongent cette réflexion sur la création fragile, accompagnée de dessins, peintures et masques exposés dans une rue de Pompeï recrée pour l’occasion.
Artiste multiforme égyptien, Wael Shawky (né à Alexandrie en 1971) propose une relecture contemporaine du mythe de Gaïa, déesse primordiale de la Terre dans la mythologie grecque. Son film central, pièce maîtresse de l’installation, met en scène la déesse arpentant les rues de Pompéi, croisant des personnages masqués, des créatures divines et des prêtres, jusqu’à un temple romain.
Wael Shawky Je suis les hymnes des nouveaux temples
• Photo Yannick Pons
L’artiste y interroge la porosité des mythes antiques et leur circulation entre cultures : il tisse ainsi des liens entre la tradition grecque et la mythologie égyptienne, évoquant par exemple la figure d’Isis. « C’est l’histoire de la création humaine, mais aussi celle de la création de l’univers », explique Shawky. Il insiste sur l’importance des étapes successives qui structurent ces mythologies, et sur leur capacité à se métamorphoser en se confrontant à d’autres traditions.
Ce dialogue des mythes est au cœur de l’installation : sculptures en verre et en bronze, masques, dessins et peintures prolongent la réflexion d’un artiste qui revendique une fidélité profonde aux sources tout en se permettant de les réécrire.
Avec Je suis les hymnes des nouveaux temples, Shawky livre ainsi à Arles une proposition dense et spectaculaire, à la fois cinématographique et physique, particulièrement esthétique qui nous rappelle que les mythes ne sont pas figés. Le film, tourné dans les ruines de Pompeï et planté au milieu de l’exposition en face d’un Vésuve de plastique, est un véritable chef-d'œuvre, dont l'esthétique et la musique rappellent les derviches tourneurs de Khan el-Khalili. À voir absolument.
Informations pratiques
Je suis les hymnes des nouveaux temples – Wael Shawky
Du 5 juillet au 2 novembre 2025
LUMA Arles – La Grande Halle
Commissaires
Vassilis Oikonomopoulos, directeur artistique
Tom Eccles, conseiller général
Martin Guinard, curateur
Ho Tzu Nyen, Phantoms of Endless Day
• @Kiang Malingue
2. Ho Tzu Nyen, Jour spectral et contes étranges
Arles accueille aussi Jour spectral et contes étranges, une exposition proposée par l’artiste et cinéaste singapourien Ho Tzu Nyen. Figure importante de la scène contemporaine asiatique, Ho Tzu Nyen qui dirigera la Biennale de Gwangju l’an prochain. Avec le tigre malais en voie de disparition, il développe ici une œuvre complexe et singulière, ancrée dans le passé colonial britannique et dans l’impérialisme japonais en l’Asie du Sud-Est tout en dialoguant avec les outils numériques les plus récents, notamment avec l’utilisation de l’IA.
Il recycle pour l’occasion un de ses films inachevés, Endless Day. De l’usage de la caméra et de la lentille et l’intégration d’archives visuelles, à l’utilisation de l’animation, de systèmes de montage algorithmique jusqu'à un processus d’intelligence artificielle, ses créations sont sans cesse imaginées et performées. Ho Tzu Nyen produit un univers dans lequel la fumée passe au travers des corps et semble les diriger.
Ho Tzu Nyen
• Photo Yannick Pons
Aux côtés de cette nouvelle production, l’exposition rassemble plusieurs œuvres : The Nameless (2015), The Name (2015), One or Several Tigers (2017), Hotel Aporia (2019) et T for Time (2023 - en cours). Ces pièces témoignent de la capacité de Ho Tzu Nyen à inventer des récits non linéaires et des formes hybrides, mêlant film, animation, théâtre d’ombres et archives.
L’installation Phantoms of Endless Day puise ainsi sa matière dans Endless Day, un film qu’il a commencé en 2011 et longtemps resté inachevé. « J’ai finalement complété ce film commencé en 2011, il s’est transformé en quelque chose de nouveau grâce à ces processus algorithmiques », indique l'artiste.
Grâce à l’intelligence artificielle, lui et son équipe ont développé des outils capables de monter, re-séquencer et recréer des images et des sons à partir de ce matériau ancien, générant de nouvelles séquences et de nouveaux récits. Il ouvre ici la voie à la nouvelle création vidéo.
Le visiteur est encouragé à s’attarder devant ces œuvres évolutives : certaines fonctionnent en boucle sur plusieurs heures, laissant apparaître des détails et des transformations imprévues.
Informations pratiques
Ho Tzu Nyen/ Du 5 juillet 2025 au 11 janvier 2026 / LUMA Arles, Parc des Ateliers
Le petit train des Forges
• @Grégoire d'Ablon pour Victor&Simon
3. Peter Fischli, People Planet Profit
Peter Fischli – People Planet Profit marque la première exposition monographique de Peter Fischli en France. Artiste suisse, Fischli est surtout connu pour ses quatre décennies de collaboration avec David Weiss (1946–2012) au sein du duo conceptuel novateur Fischli/Weiss. Aujourd’hui, il poursuit en solo un engagement critique vis-à-vis de l’esthétique du quotidien et des systèmes de signification, à travers des œuvres qui bousculent la frontière entre art et vie.
L’image est au cœur de People Planet Profit. Au seuil de l’exposition, des images exposées, collées au sol, ont été captées par le téléphone portable de l’artiste, révélant la banalité apparente de scènes ordinaires tout en soulignant leur pouvoir d’organisation sociale. Un arbre, un chien… « On a tous les mêmes photos dans notre smartphone », explique Peter Fischli. Et puis un flash, des feux de circulation (traffic lights) ! Rouge, il faut s’arrêter, vert, il faut avancer, incarnent cette langue universelle et contraignante : « Être actif ou passif, mort ou vivant, si vous allez vraiment loin », explique l'artiste suisse. Il s’intéresse à la banalité inévitable qui façonne nos comportements. Il veut ralentir le réflexe d’interprétation immédiate qui nous anime lorsqu'on s'arrête sur une image.
Peter Fischli, People Planet Profit
• Photo Yannick Pons
En utilisant les espaces d’exposition des Forges, Fischli évoque l’idée d’une « ville augmentée ». Un lieu où objets, images, citoyens-utilisateurs et flux numériques s’enchevêtrent. Il symbolise le passage de la production matérielle vers les flux immatériels de données, d’écrans et de services qui caractérisent l’ère postindustrielle. Ici un « petit train » touristique libre, sans rails, jusque sur les rampes de l’escalier, photographié en Chine, locomotive en queue de file. Là, des photos de unes de magazines ou de livres qui inondent les têtes de gondoles des tabac-presse, qui parlent toujours d’argent, arborant les titres les plus absurdes : « Comment vendre quand personne n’achète ? ».
Le lieu d’accueil, les anciennes forges du parc des Ateliers, incarne cette évolution, d’un site industriel dédié à la production et à la réparation de locomotives à un espace culturel consacré aux flux des images. People Planet Profit ne se contente pas de montrer des images : l’exposition nous renvoie le monde sous des formes nouvelles, décalées, révélant l’architecture d’un monde en perpétuelle transformation.
Informations pratiques
Artiste : Peter Fischli Dates : du 5 juillet 2025 au 11 janvier 2026 Lieu : Les Forges, LUMA Arles Commissaires :Directeur artistique : Vassilis Oikonomopoulos /Curatrice : Eimear Martin / Assistante curatrice : Zoé Crouzat