Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 05.09.2021 - anthony-maurin - 7 min  - vu 705 fois

FAIT DU JOUR Des fouilles au musée, la maison de la harpiste est une rareté

La Verrerie à Arles lors des fouille de la domus aux enduits peints. Ici un amoncellement de tegulae a été observé au centre de la pièce fouillée en 2015 (Photo Marie-Pierre Rothé).

Le Musée de l'Arles Antique (Photo Anthony Maurin).

En 2026 seront exposés et mis en valeur les travaux des fouilles de la Verrerie. De très rares peintures murales antiques ont été trouvées et sont en train d'être analysées. Point d'étape.

Un triangle bleu sur un triangle vert entouré d’eau. Les vestiges d’un cirque romain et le musée de l’Arles antique pour veiller sur l’histoire de la cité abritée par les rives du Rhône. Arles fait rayonner sa romanité à sa manière, simple, efficace. La preuve avec le sort réservé aux découvertes réalisées de l’autre côté du Rhône, sur la rive droite, certains Gardois diront « chez nous ». Car Trinquetaille est un quartier d’Arles qui était habité par de riches romains dès leur venue dans la région.

Travail toïchograghologue (on y reviendra) de Julien Boislève sur des parois peintes et effondrées dans les remblais (Photo Marie-Pierre Rothé)

Le musée compte 1 700 pièces archéologiques mais ce chiffre ne cesse de croître grâce aux découvertes réalisées sur le site de la Verrerie. Au Musée, on n’expose que du local, ultra local, du circuit court pour l’Histoire. Le leitmotiv ? De la fouille au musée ! Pour cela il faut une chaine opérationnelle de qualité à tous les échelons. De la fouille de prospection à celle définitive en passant par la restauration, la conservation, la médiation sans oublier la finalité, le rendu au public. Tout ce dont nous allons parler ici sera exposé au musée dès 2026, une fois les études achevées.

D'incroyables découvertes

Marie-Pierre Rothé, archéologue au musée de l’Arles antique et responsable de l’opération nous l’explique en profondeur. « La découverte du site date des années 1980. On savait que ce quartier était composé de riches domus, des maisons qui dataient de 200 après JC, car nous avions fouillé sur un hectare. On y a d’ailleurs prélevé des mosaïques qui sont exposées dans nos collections. » Puis, les lieux furent abandonnés, laissés en friche après avoir été rebouchés. « Mais 1,8m plus bas se cachaient d’autres vestiges ! C’est là que nous avons vu des peintures merveilleusement conservées au potentiel énorme car elles étaient bien plus antérieures à tout ce que nous connaissions. »

Marie-Pierre Rothé, archéologue et Jean-Marc Perrin conseiller départemental des Bouches-du-Rhône (Photo Anthony Maurin).

Voilà la grande surprise, les peintures et surtout la technique employée. Le tout, sur un espace réduit. « Cette maison a été détruite volontairement, certainement pour en reconstruire une plus haute. Sur le petit échantillon que nous avons fouillé, 105m² (10 % de la superficie de la maison en question NDLR), nous avons un énorme échantillon de ce qui existait, y compris de l’architecture des lieux ! Tout a été étudié par des spécialistes et nous continuons nos études. »

On ne lui rend pas hommage ainsi mais sans les reflets imaginez la zone fouillée, en couleurs, comparée à l'ensemble de la maison (Photo Anthony Maurin).

C’est alors que l’on se pose des questions sur la datation et sur la vie arlésienne de l’époque. « Cette maison est datée entre 70 et 50 avant notre ère. Si c’est le cas, cette maison est antérieure à la création de la colonie romaine qui a eu lieu en 46 avant notre ère. C’est très intéressant et d’autant plus intéressant que cette maison a toutes les caractéristiques de la maison romaine et de la maison italienne. » Et alors ? C’est logique non d’avoir une maison romaine, italienne quand les romains s’installent ! Eh bien figurez-vous que pas du tout. De plus, les archéologues pensaient la rive droite inoccupée à cette période. Marie-Pierre Rothé a « l’impression qu’un Italien est venu s’installer ici avec ses artisans et les matériaux de construction pour construire cette maison. » Quand même, le monsieur est venu avec sa maison en quasi-kit que les artisans ont assemblé et façonné sur place… Génial !

Comme une maison témoin ?

Et Marie-Pierre Rothé de poursuivre, « Le plan de cette maison se rapproche du plan type de la maison romaine du 1ersiècle avant notre ère. Cette maison ouvrait sur la rue et sur une cour partiellement couverte qu’on appelle un atrium puis, certainement, sur une deuxième cour. On a fouillé une partie de l’atrium qui avait en son centre un bassin que nous avons partiellement récupéré. On a aussi vu un puits juste à côté. »

Une idée du décorum (Photo Anthony Maurin).

D’accord, un atrium, des cours et des pièces… Mais comment sait-on qu’il s’agit d’une construction italienne et indigène ? Les matériaux et le mode de construction, pardi ! « Chose basique, les murs. Les murs porteurs, maçonnés, ont des fondations qui s’enfoncent jusqu’à 2,5m sous terre mais qui ne dépassent que d’un mètre du sol. Sur cette base était bâti un autre mur en brique de terre crue qui soutenait un étage et sur lequel étaient appliquées les parois peintes ! Tout cela arrive 30 ans plus tard en Gaule ! » La terre crue n’est en aucun cas un synonyme de pauvreté, bien au contraire, il s’agit d’une garantie de qualité et de savoir-faire durable. On a donc bien fait venir des artisans. Y compris pour les sols de l’étage.

Un pan de mur (Photo Anthony Maurin).

« Au-dessus de la galerie de l’atrium on a retrouvé l’effondrement d’un sol d’étage. On y a vu des briques disposées en épis, c’est un sol typique des thermes de Narbonne par exemple mais nous sommes quelques décennies avant ! » Même les briquettes pour constituer ce sol viendraient d’Italie. En fait et à part les pierres que l’on trouvait en local, le reste a été importé d’Italie, même les terres cuites architecturales comme une splendide gargouille surmoulée en forme de tête de chien. Il n’y avait pas encore de centre de production en Gaule pour ces affaires sophistiquées ! Il devait donc s'agir d'une personne d’un haut rang, habitant sur un site quasi inhabité avant elle, le tout avant même la création de la colonie arlésienne.

Description des lieux et suite des événements

La première pièce comportait une porte à deux battants, le sol était en béton et nous avons une paroi peinte et conservée sur 4,6m. C’est le décor d’enduits peints qui est étudié depuis le mois d’avril par Julien Boislève (toutes les photos que vous verrez ici à l’exception d’une). C’est une salle à manger car la pièce est divisée en deux espaces, un alloué au service et l’autre aux convives. Elle mesure 17m². Cette pièce était haute de 2,9m, sa porte allait du sol au plafond, tout comme sa fenêtre qui allait elle aussi jusqu’au dernier centimètre de la hauteur dont elle disposait.

Rassembler les fragments (Photo Anthony Maurin).

La deuxième pièce, qui sera étudiée très prochainement, serait affectée à des moments de vie publique. Elle se trouve dans l’axe du bassin qui est au centre de l’atrium, elle n’a pas de porte et devait servir à des réceptions car son décor peint est très important. On y retrouve les codes des lettrés italiens qui, inspirés par la Grèce, transposaient des décors d’inspiration grecque.

Entre 50 et 40 avant notre ère, un incendie est venu brouiller les pistes et a abimé les peintures de cette pièce plus fortement que celle d’à côté. Hélas, c’est ici que la fameuse harpiste régnait sur la maisonnée. Cette fresque sera étudiée l’an prochain mais c’est d’ores et déjà un ensemble unique en Gaule à cette époque ! D’autres études et analyses sont prévues jusqu’en 2023, le travail continue.

La perfection d'une frise rare et située à plus de 2m de haut, quasi invisible à l'oeil nu, l'amour du travail bien fait ! (Photo Anthony Maurin).

Il s’agit maintenant d’essayer de mettre en valeur ces deux pièces d’une trentaine de mètres carrés. Les peintures seront présentées non pas comme des tableaux mais dans leur contexte d’origine avec les sols, les seuils, les murs peints et les enduits qui vont avec ! Au cœur du musée, non loin d’une mosaïque d’une pièce de la maison qui est déjà exposées seront mise en valeur les dernières découvertes. De la fouille au musée on vous dit !

Des fouilles au musée

Julien Boislève spécialiste made in Inrap quand on parle toïchographologie, c’est-à-dire de l’étude des peintures murales, est aussi très clair. Arles a une sacrée chance mais cela nécessite du travail. « Il y a beaucoup de peintures, environ 1 300 fragments pour trois pièces et 800 pour la maison de la harpiste. Laver les fragments, simplement les laver, représente un quart du temps de l’étude ! Pour ce que vous avez sous les yeux, nous avons 1 800 heures de travail. Nous cherchons toutes les connexions entre les pièces, nous avons besoin d’étaler tout ça, c’est pour cette raison que ce musée et les conditions dans lesquelles nous travaillons est génial ! »

Être au coeur de la recherche impose tout naturellement un savoir-faire, une expertise qu'ont les équipes du musée. De quelle époque datent ces peintures murales ? « C’est du deuxième style pompéien. Disons qu’il débute au deuxième siècle avant notre ère pour s’achever quand Auguste prend le pouvoir à la fin du premier siècle avant notre ère. Cet artisanat est bien diffusé mais à cette époque, pas encore en Gaule du sud, il n’y a que l’élite qui en dispose. Cela représente une vingtaine de sites. »

Une rareté (Photo Anthony Maurin).

Mais là… Les vestiges sont des peintures ! « Dans cette maison on a six décors. On a des parois très bien conservées et grâce à l’effondrement de l’édifice, on a même son architecture. Nous pouvons tout reconstituer, même l’étage et le toit mais c’est la peinture qui meuble les pièces fouillées. L’impact chromatique du décor très riche est dû au cinabre. » Le cinabre est un pigment rouge fait de sulfure de mercure. À l’époque, c’est le luxe absolu car son rouge vermillon, qui vient d’Espagne, permet à la peinture d’être plus créative que le marbre ! C’est un trompe-l’œil et le reste du mur est lui aussi fait de peinture car c’est alors plus rapide (quand c’est bien fait) et moins onéreux que le stuc.

Avec les couleurs originales, Julien Boislevé (Photo Anthony Maurin).

« La harpiste, elle, a un léger strabisme divergent. On ne sait pas si c’est fait exprès mais cette pièce comportait une vraie galerie de personnages sur des piédestaux. Sur le mur enduit de terre, on gratte au chevron afin de faire mieux adhérer le futur enduit peint » conclut Julien Boislève.

La suite dans un autre épisode

Au fond de la salle de remontage de ces peintures sont rangées d’immenses armoires composées de tiroirs aussi anonymes les uns que les autres. Cela ne va pas durer bien longtemps car ce sont les fragments de décors d’autres pièces, celles de l’étage. Les études débutent dans quelques jours.

Petit problème tout de même. Ce fameux cinabre a tendance à noircir à la lumière. Les scientifiques du musée, aidés par des chercheurs et des étudiants d’Avignon doivent parer le souci. Oui, on ne peut pas se permettre de mettre en danger un tel patrimoine si, en l’exposant aux yeux de tous, on le détériore de manière irréversible. Tous les fragments sont suivis par photo. On devrait même retirer les sels minéraux qui pourraient leur nuire. Mais tout cela se fera non pas au musée mais en plein milieu de la Camargue sauvage, au Château d’Avignon qui est mis à disposition pour l’occasion par le Conseil départemental jusqu’en 2023.

Les boites qui seront très prochainement étudiées (Photo Anthony Maurin).

Cette découverte pose de nombreuses questions sur la famille qui habitait les lieux. Dignitaires, négociants, commerçants, peu importe, cette famille était importante, c’est une certitude. Cette élite faisait peut-être la promotion du mode de vie à la romaine. Dévolue à la sphère publique aussi bien qu’à celle privée, cette domus était sans doute une vitrine de la grande Rome. Voici la culture romaine et ce à quoi les autochtones pouvaient aspirer en développant cette culture romaine, en changeant de culture, en devenant une future colonie.

Cette mosaïque, déjà exposé au musée de l'Arles antique, sera voisine des futurs emplacements des peintures murales qu'elle recouvrait qui se trouveront à droite, à deux pas de l'escalier (Photo Anthony Maurin).

Anthony Maurin

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