Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 26.02.2021 - anthony-maurin - 6 min  - vu 703 fois

FAIT DU JOUR Jean-Claude Carrière, l'unanime amoureux de la vie

Jean-Claude Carrière en toute sérénité en 2018 chez Sophie Rigon avant une bonne petite sieste bien méritée (Photo Anthony Maurin).

Sophie Rigon, quelques ouvrages de Jean-Claude Carrière et le mimosa héraultais qu'il aimait tant (Photo Anthony Maurin)

Jean-Claude Carrière n'est plus et avec lui se sont envolés un sourire espiègle, des mots choisis et des sentiments dévoilés. Depuis la mort du poète, Nîmes pleure l'un de ses précieux artisans culturels. Rencontre avec Sophie Rigon, celle avec qui il a créé le festival Un Réalisateur dans la ville.

C'est avec Sophie Rigon, créatrice du festival Un Réalisateur dans la ville, que nous revenons sur tout ce que Jean-Claude Carrière a fait pour la cité des Antonin et le cinéma français. Il allait sur ses 90 ans mais c'est un enfant que nous avons perdu.

Dans le petit salon de la Maison de Sophie, un bouquet de mimosa est en beauté. " Il est du pays de Jean-Claude... ", lâche péniblement Sophie Rigon. Sur une table basse, un ouvrage de l'auteur, La Vallée du néant. Dans la bibliothèque, " Fragilité " un autre livre signé Jean-Claude Carrière. Les lieux sont imprégnés. Depuis son décès, même les nuits sont longues. " Je ferme les yeux et je vois Jean-Claude. " Jean-Claude est parti et laisse derrière lui un immense vide.

" Quand Iris, sa fille, m'a appelée pour me dire que Jean-Claude était mort, j'ai lâché le téléphone et mon mari a pris la relève, rejoue la Nîmoise. Je n'ai pas dormi et je suis partie à Paris où je suis restée une semaine pour veiller ce grand homme plein de sagesse, d'amour, de merveilles. Je l'ai connu alors que je n'avais que 16 ans, j'en ai 69. Il m'a donné sa confiance. C'était un conteur. " Une rencontre qui s'est opérée chez Jean Lafont, ami proche de Nicole, la femme de Jean-Claude. Sophie avait déjà arrêté l'école et cherchait sa voie.

Un fabricant de familles

Une voix pour une voie. Très proche de Carole Bouquet, Sophie vient de passer plus d'une heure avec l'actrice au bout du fil. " Elle me dit qu'il m'aimait énormément car pour lui j'étais intelligente. Je n'en suis pas sûre ! J'ai dit à Carole que c'était juste parce que j'étais belle mais elle m'a dit qu'elle était plus belle que moi et que Jean-Claude ne l'aimait pas autant ! "

C'est d'ailleurs monsieur Carrière qui a fait rencontrer Carole à Sophie. " Carole m'a dit que c'était le cadeau qu'il nous avait fait, notre rencontre. Grâce à lui, nous sommes devenues deux soeurs. Quand j'ai raconté mes rêves à Carole elle m'a dit que j'étais chanceuse d'y voir Jean-Claude... Elle m'a même demandé de l'embrasser pour elle si je le voyais ce soir ! "

Il faut dire que Jean-Claude Carrière prenait un place importante, toute sa place, quand il venait loger chez Sophie. " C'était une joie immense dans nos corps, nos sourires s'affichaient sur nos visages. Nous éclations comme des bouquets de fleurs. Il donnait tellement de joie et d'amour... Comme je le connaissais très bien, je laissais les invités se régaler avec lui. Il me disait "ma fille". Je le considérais comme un père ou un grand-frère. On se comprenait immédiatement. Pas besoin de mots, juste des regards. Jean-Claude fabriquait des familles. Il était fils unique mais je ne connais personne qui ne l'aimait pas. Il aidait, il partageait, il avait une voix, une intelligence. Il ne faisait pas de différence entre les gens mais je pense qu'il fallait le mériter. " Amateur de truffe et de brandade, Jean-Claude Carrière mangeait les petits plats de Sophie. Il n'aimait pas les pizzas mais, pour celles de Sophie, il faisait exception et s'en vantait dans de nombreux articles.

Sophie Rigon sur le perron de la Maison de Sophie. Ses trois enfants ont vécu chez Jean-Claude Carrière (Photo Anthony Maurin)

Jean-Claude était empreint d'une belle dose d'humanité. " Il ne critiquait jamais, il contait. Il a rencontré tous les personnages les plus importants et les moments passés avec lui étaient toujours fabuleux. Je ne me sentais pas privilégiée. Je ne le savais pas, le privilège ne me concernait pas. Il n'y avait que de l'amour. Depuis qu'il n'est plus là je me rends compte de la chance que j'ai pu avoir. J'ai reçu plus de 200 messages qui me le rappellent. "

Et dans toute cette histoire d'amour, pas une engueulade, que de la douceur et du soleil. Un regret ? " J'aurais aimé être là quand il a fermé les yeux. Pour qu'il puisse me voir, savoir que j'étais avec lui. Ça me manque et c'est peut-être pour cela qu'il vient me voir tous les soirs. "

Avec un sacré sourire enfantin, Jean-Claude Carrière a su garder tout au long de son existence un côté immortel. Lui qui a été scénariste, écrivain, metteur en scène ou encore parolier et acteur n'a jamais connu la routine de la vie. Passionné de tout, en tout et pour tout, l'homme laisse le sentiment d'un homme généreux et curieux.

Plus que des compliments, l'unanimité

Jean-Claude Carrière était un gros travailleur. Sa vie était dédiée au travail qui pour lui n'en était pas un. Il ne pouvait pas rester deux jours sans écrire. C'était un vrai conteur qui créait des histoires et qui les offrait. Il était simple, curieux, il aimait les gens, les voyages, et il était connu à l'international. " Il savait tout. C'était un savant de l'écriture ! Les réalisateurs l'aimaient tous. " Des réalisateurs mais pas seulement.

On ne citera pas tout le monde car hommes et femmes sont bien trop nombreux à en avoir parlé mais Juliette Gréco ou Milos Forman en étaient devenus fadas ! " Il avait le regard d'Omar Sharif. " Quel est le plus beau compliment qu'il a reçu tout au long de sa vie ? " Il y en a eu tellement... Chaque célébrités a dit des choses. Certains n'ont pas pu venir à ses obsèques à cause des conditions sanitaires ou tout simplement parce qu'ils sont étrangers mais tout le monde est unanime à son sujet, c'était un grand homme. " Quels mots Sophie aurait encore à lui dire ? " Merci. Merci pour Nîmes, merci de m'avoir aimée. Merci d'avoir tracé mon chemin et je continue dans une chose pour laquelle je n'étais pas faite, la culture. "

Mimosa de l'arrière pays héraultais et bonne littérature (Photo Anthony Maurin).

Jean-Claude était Héraultais mais ici, il ne venait pas forcément à Nîmes, il venait chez Sophie.  " Nous avions créé Nîmes à hautes voix à La Chapelle des Jésuites. Un festival de lecture qui a eu un réel succès. J'espère pouvoir remonter ce festival cette année pour célébrer sa mémoire. Tous les grands noms m'ont déjà dit oui mais j'espère que le maire de Nîmes, Jean-Paul Fournier, sera d'accord. Jean-Claude était aussi président fondateur d'Un réalisateur dans la ville. Il sait qu'il ne pourra jamais le remplacer mais c'est Philippe Le Guay qui jouera ce rôle difficile. Il invitera, lui aussi, ses amis réalisateurs qui se feront une joie de venir à Nîmes. "

Un hommage à Jean-Claude Carrière

Créé en 2004, Un Réalisateur dans la ville offre l'opportunité à un réalisateur de vivre en plein air, chaque soir durant une semaine, les projections de ses meilleurs films devant un parterre de spectateurs dans le merveilleux écrin des Jardins de la Fontaine. Et pour 2021, comment se présentent les choses ? C'est Alexandre Arcady qui a répondu par l'affirmative. "Je ne sais pas encore pour le reste. Je vais m'en occuper mi-mars mais les dates sont calées. Le festival aura lieu entre les 27 et 31 juillet prochains. Tout va aussi dépendre de la jauge et des conditions sanitaires. Je souhaiterais aussi, avec l'aide du maire, Jean-Paul Fournier, faire une grande rétrospective en hommage à Jean-Claude en amont du festival sur un ou deux jours. Acteurs et réalisateurs qui l'ont connu sont bien sûr partants ! Ça serait un bel hommage pour, comme il le disait, cette "belle ville de Nîmes" ."

Avec une si belle vie et un si beau coeur, on est forcément éternel. Jean-Claude est parti mais il laisse dans le coeur de celles et ceux qui l'ont rencontré quelques lignes écrites à l'encre indélébile. Une mission tient à coeur Sophie : " Il restera dans mon coeur. Je veux qu'il reste dans celui des autres. "

Ici en 2017 aux Jardins de la Fontaine, Un réalisateur dans la ville (Photo archives Anthony Maurin).

Sur Objectif Gard en 2018, Jean-Claude Carrière parlait.

Pour le Gard, un département qu'il aimait, il espérait moins de querelle avec son département de naissance. " Je veux passer un message de bon voisinage que je veux adresser aux Nîmois et aux Gardois. Le message d'un Héraultais. Le nationalisme le plus féroce commence toujours avec son voisin. L'ultra égoïsme, l'ultra centrisme... La frontière théorique entre deux départements ou deux pays n'est rien, nous sommes tous les mêmes.  Ma femme est de Marsillargues, pile entre Montpellier et Nîmes. La plage de ma jeunesse était celle du Grau-du-Roi, à 18 km à vélo. J'avais des cousins à Nîmes. J'y ai découvert les magasins d'antiquités alors que j'avais 17-18 ans. Essayons de nous aimer les uns les autres sans perdre nos particularités. "

Il sentait aussi le monde changer. Une précieuse lucidité. " J'ai l'impression que nous revenons à une sorte de féodalité. L'Europe se disloque. Plus on se divise, plus on se fait la guerre. Cultivons notre jardin et balayons devant nos portes sans envoyer la poussière chez le voisin. Il ne faut pas renoncer, nos armes sont les médias artistiques, nous devons en être conscients. Madame Macron me récite parfois des passage de la Controverse de Valladolid. Elle l'a enseignée pendant dix ans et nous pouvons y retrouver une continuité entre Bartolomé de Las Casas et l'Abbé Grégoire. On ne doit jamais voir un seul aspect des choses. Il faut constamment tourner le quartz ! "

Anthony Maurin

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