Chemise blanche, petit gilet, 73 ans dans deux mois, Gisèle Pelicot s’avance sans trembler. « Ces cinquante violeurs sont responsables de ma souffrance », dit-elle d’un ton ferme. Puis, se tournant vers l’accusé : « Les victimes sont toujours humiliées. Vous vous dites victime, monsieur D., victime de quoi ? La seule victime ici, c’est moi. J’ai honte pour vous. » Face à la cour, elle détaille les séquelles physiques et morales laissées par les viols. « J’ai contracté quatre MST. Toute ma vie je vais devoir vivre avec des séquelles. Désormais, tous les six mois, j’aurai des examens. Je vais bientôt subir une biopsie du col de l’utérus. On pense que c’est cancéreux. Aujourd’hui, je suis dans l’attente de ces examens-là. »
Cinq années d’épreuve et de reconstruction
Elle dit avoir « le sentiment d’être allée au bout de cette épreuve judiciaire qui a duré cinq ans ». Elle espère « ne plus jamais remettre les pieds dans un tribunal ». L’émotion la gagne, mais elle reste droite : « Le mal est fait, il va falloir me reconstruire. Je n’ai jamais regretté d’avoir pris cette décision. Qu’elles n’aient jamais honte de ce qu’on leur a fait. » Le président Christian Pasta lui demande si elle a jamais eu de contact avec l’accusé. Elle répond calmement : « Jamais de texto, jamais parlé. Je ne suis jamais allée dans un club échangiste. » Avant d’ajouter, plus dure : « Monsieur Pelicot est responsable de ma souffrance, mais Monsieur D. est un patent violeur. »
La voix se durcit. « Je ne veux pas qu’on dise qu’il a été manipulé. Il ne l’a pas été », affirme-t-elle. « Monsieur D., quand il dit “elle est morte”, il n’y a pas un moment où il se dit qu’il est en train de violer une femme inconsciente ? D’autres, à Avignon, ont eu l’honnêteté de le reconnaître et j’ai apprécié. Mais lui, jamais. Pas un instant, il n’a pensé à dénoncer ce crime. » Elle ne cherche pas à masquer sa colère. « Quand j’entends dire qu’il est victime, j’ai envie de hurler. Il m’a violée. Il m’a regardée, il a agi. Qu’il ait peur de Dominique Pelicot ou non, il savait ce qu’il faisait. »
Les absences
Elle revient sur les premiers signes d’alerte. « En 2017, j’avais des soucis de sommeil, j’ai pris du Temesta. Je consultais, mais chaque fois mon mari était avec moi. Quand j’ai eu mes premières absences, je ne me souvenais pas de ce que j’avais fait la veille, alors que j’ai une excellente mémoire. » Pensant souffrir d’Alzheimer ou d’une tumeur au cerveau, elle consulte un neurologue à Carpentras. « Il m’a fait des tests. Tout était parfait. Pour lui, c’était de l’anxiété. Il y avait de quoi ! » Elle raconte avoir oublié des conversations, salué deux fois les mêmes personnes. « Avant, j’étais tonique et en bonne santé. Je me suis dit que c’était le stress. » Puis la chute : « J’ai découvert l’horreur des faits le 2 novembre. J’ai eu beaucoup de chance d’être encore là aujourd’hui devant vous. »
Elle parle d’un « tsunami personnel », d’une « déflagration ». « Quand on est en état de choc, le cerveau se coupe. Je me suis dit : ce n’est pas moi. J’ai mis mes lunettes pour regarder cette femme et j’ai dit : ce n’est pas moi. » Elle se souvient d’une vie conjugale qu’elle croyait normale. « On avait une vie sexuelle normale pour notre âge, entre quatre et six fois par mois. Mais manifestement, pour monsieur P., ce n’était pas suffisant, alors il a trouvé la parade. » Elle se souvient d’un détail : « En 2013, j’ai acheté un pantalon jaune et j’ai vu des taches de javel dessus, alors que je ne manipule quasiment jamais l’eau de javel. Je lui ai dit : tu ne me droguerais pas par hasard ? Il s’est mis à pleurer, il a dit : tu te rends compte de ce que tu me dis ? Et j’ai dit : mais je blague. Et ça a été fini. »
« Je suis une femme ordinaire »
Elle évoque les dernières années, la froideur, les rapports imposés. « Quand on fait l’amour avec un homme qu’on aime, on a besoin de ce regard. Mais les derniers temps, c’était toujours par derrière. Je me suis dit que ça faisait partie de ses fantasmes. » Elle parle de sa famille, brisée. « Tout le monde a pris ça de plein fouet. C’est beaucoup plus difficile pour ma fille et je le comprends. J’espère qu’on se retrouvera tous comme avant. On était une famille très soudée. Comment oublier le mal qu’il a fait à moi et à toute la famille ? C’est une trahison. » Et elle rejette toute idée de consentement : « À aucun moment on ne m’a demandé si j’étais d’accord. Jamais je n’ai donné mon consentement. Ils sont totalement responsables de leurs actes. »
« Qu’il arrête de se faire passer pour une victime, insiste-t-elle. C’est un violeur. Il ne s’est jamais arrêté. Pas un instant il n’a douté, pas un instant il n’a pensé à moi. » Interrogée sur son mari, elle répond simplement : « Si j’avais soupçonné Dominique Pelicot, vous ne croyez pas que je serais allée porter plainte ? » Elle reprend son souffle, plus calme, presque apaisée. « Heureusement pour moi, je n’ai aucun flash, sinon je ne serais pas là aujourd’hui. Mon histoire va servir aux autres. Quand une femme se réveillera un jour sans se souvenir de ce qu’elle a fait, elle saura. » Et, avant de quitter la barre, elle conclut : « Arrêtez de me dire que je suis une icône. Je suis une femme ordinaire. Ce qui se passe tous les jours à la sortie du tribunal, c’est malgré moi. Le mal est fait. Il va falloir me reconstruire. »