Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 08.04.2022 - pierre-havez - 9 min  - vu 8459 fois

ASSISES Assassinat de l’entraîneur de football vauverdois : « Je regrette ce que j’ai fait. Mais c’est un tyran, un monstre »

La cour d'assises - tribunal de Nîmes. Photo Tony Duret / Objectif Gard

Le première journée du procès aux Assises de Salim Boudral, vendredi 8 avril 2022, a permis de dresser le portrait du jeune homme de 22 ans accusé d'avoir tué de sept coups de couteau son entraîneur de football, Redouane Abbaoui, le 24 mai 2019 au Bosquet, à Vauvert. Un garçon bien élevé et un excellent étudiant, dont le parcours a commencé à dévier à partir du mois de janvier 2019. Une dérive qui s'explique selon lui par le harcèlement dont il aurait été victime de la part de son entraîneur de football. Revivez cette journée en Live.

17h30 : Le maire de Vauvert comparaît comme témoin. L’occasion d’un petit moment de détente avec le président. « Si l’entraîneur a interdit de stade son joueur, c’est un abus de pouvoir ? », l’interroge d’abord Isabelle Mimran. « Vous pouvez l’appeler comme ça, si vous voulez. À Vauvert, les installations sportives sont ouvertes à tous, et n’importe qui peut rentrer taper dans un ballon de football, répond l’élu. J’ai été responsable de l’équipe de foot, vous savez il y a longtemps… » Le président le coupe. « Qu’est-ce que vous n’avez pas fait ! », l’interrompt-il, en souriant. L’édile ne relève pas immédiatement. « Vous avez qualifié la victime de grand frère », relance l’avocate de l’accusé. « Non, c’est le président qui a dit cela. Je n’ai pas osé le contredire… », lance le maire, faussement timide. « Pas ici en tout cas ! », s’amuse Eric Emmanuelidis. L’élu se reprend. « L’expression grand-frère peut être connotée, mais il avait une autorité naturelle », conclut Jean Denat.

16h30 : Cyril Malgra, qui représente l’épouse de la victime, Redouane Abbaoui, réagit à cette première journée d’audience centrée sur le portrait de l’accusé.

14h : c’est au tour de l’expert psychiatre de livrer ses conclusions, après avoir rencontré Salim à la maison d’arrêt de Mende, lui aussi. Devant le docteur Raphaël Nassim, le jeune a aussi réfuté l’assassinat, s’estimant en légitime défense. « Je regrette ce que j’ai fait. Mais je connais cet homme, c’est un tyran, un monstre. Une fois, il m’a demandé de voler des jantes, j’ai refusé. Il l’a pris comme une rébellion et m’a frappé. Il me demandait aussi de vendre de la drogue, s’est confié Salim devant l’expert. J’étais devenu un bouc émissaire, il me rabaissait : tout le monde faisait pareil, tout le monde avait peur. Vivre ça c’est dur. J’ai pensé mettre fin à mes jours. »

Au psychiatre, le jeune a répété le récit de la journée fatale en ces termes : « Au stade, il me prend par les bras, et me demande de rentrer dans les vestiaires en me disant ‘on verra qui en ressortira’. Il me gifle, je suis sonné, et je finis par lui dire ‘pardon chef’, comme il le demandait. Il se droguait et quand il était en manque, c’était pire. Une fois rentré manger chez moi, il m’appelait sans cesse. J’étais terrorisé, j’avais peur qu’il vienne chez moi. Je suis donc sorti avec un couteau de cuisine pour le dissuader. Il me fallait quelque chose pour le ternir à distance. Je rejoins mes amis au moment où il arrive en voiture et pile à 5 mètres de moi. Il me dit de monter dans la voiture avec un regard terrifiant. Mon corps allait dans la voiture tandis que mon esprit allait ailleurs. Une fois entré, il me prend par le cou. J’ai eu peur : je prends le couteau et je le plante sans savoir ce que je fais, ni combien de coup je donne. Puis il sort, je lui donne un coup de pied, je vois ma vie défiler, on me chasse dans tout Vauvert. »

Le psychiatre relève également un état de stress post-traumatique chez l’accusé, à l’évocation de ce récit. L’expert estime aussi que Salim ne présente pas de pathologie mais des signes de dépression à cause de la culpabilité et des remords de ce qu’il a fait vivre avec la famille du défunt. Il observe personnalité anxieuse et de repli sur soi résultant d’une longue période de harcèlement, commencée par de l’intimidation individuelle, des passages à l’acte physique répétés, puis des menaces de mort. « Il a agi sous l’emprise d’une force à laquelle il n’a pas pu résister, mais sans altération ni abolition du discernement. Il ne présente pas de dangerosité. », conclut Raphaël Nassim.

La défense réfute tout harcèlement ou tentative d’humiliation de la part de l’entraîneur. Mais l’expert maintient ses conclusions. « Il l’invective lui personnellement, l’insulte lui et personne d’autre. Il lui prend la tête pour le frapper, c’est comme s’il était devenu un bouc émissaire, reprend le psychiatre. Il y a des critères de harcèlement moral : une désignation, la répétition et l’intentionnalité de le rabaisser devant ces camarades, provoquant un repli sur soi, un désintérêt envers ses études et un mal-être qui ont pu aboutir à l’acte. »

Khadija Aoudia et Luc Abratkiewicz, deux des avocats de la famille de l'entraîneur vauverdois (Photo PH)

Les avocats interrogent à leur tour l'expert. « S’il s’avère que ce harcèlement n’a jamais existé, avez-vous d’autres éléments pouvant expliquer l’état de névrose que l’accusé a développé ? », s’interroge Khadija Aoudia. « Non, je n'en ai pas d'autres », répond le psychiatre. La défense intervient à son tour. « Être exclu de l’équipe de foot, du stade, ou recevoir un message de son éducateur le menaçant ‘c’est la dernière fois, la prochaine fois, je te bombarde’ ou ‘tu te sens trop, je vais te niquer, wallah’ peuvent-ils être perçus comme du harcèlement ? », demande Isabelle Mimran. L’expert opine du chef. « Oui, tout comme l’accusé dit également avoir reçu des menaces à l’encontre de sa mère », ajoute-t-il.

« Le corps est là mais l’esprit est ailleurs »

12h00 : Adeline Paoli, l’expert psychologue a rencontré l’accusé le 3 février 2020 à la prison de Mende. Salim évoque alors des difficultés apparues en janvier 2019 avec ses professeurs ou ses surveillants. Il pointe les railleries de son coach. « Tu en as pas marre de lécher le cul des français, déjà que tu le fais toute la journée à l’école ? » le moquerait régulièrement celui-ci. « Mais je me suis entêté à rester, je ne suis pas une pute : je suis l’aîné de la famille », insiste l’accusé auprès de l’experte.

Le jour des faits, il explique avoir rejoint un ami au city-stade, où son coach le menace, lui assène une claque, et exige des excuses de son ancien joueur. Une fois rentré chez lui, il reçoit des insultes et des menaces de la part de son coach et de son frère sur Snaptchat. Le jeune finit par sortir de chez lui muni de deux couteaux « par peur et pour se défendre », selon lui. « Contre lui je ne faisais pas le poids. Je ne sais pas pourquoi mais je sentais que ça allait mal finir », explique-t-il. Dans la rue, la voiture de l’entraîneur pile soudain devant lui. L’entraineur lui intime de monter dans le véhicule et lui abaisse la tête vers le sol. « J’ai frappé comme par réflexe, c’est la première fois que mes sentiments prennent le pas sur tout le reste. Mais je ne suis pas un assassin, je n’ai rien prémédité », s’effondre-t-il devant la psychologue.

« Quand il évoque les faits, je note une distanciation physique : c’est comme un disjoncteur dans une maison :  le cerveau marque une petite pause, le corps est là mais l’esprit est ailleurs. Il dit aussi avoir l’impression au moment des faits que ses pieds marchent tout seuls, et plus tard, dans les fourrés, qu’il semble recouvrir ses esprits », décrit la psychologue, à la barre du tribunal. « Ce phénomène touche en général les victimes, mais aussi les auteurs, pointe le président Eric Emmanuelidis. Lui évoque un mélange de peur, de colère et de panique qui le submerge… »

« Il pensait que faire de bons matchs pourrait arranger les choses »

Les avocats des parties civiles interviennent. « On a évoqué un garçon enfermé, mais il a des amis, des relations sentimentales, il sort, qu’en pensez-vous ? », intervient Luc Abratkiewicz. « J’ai simplement relevé des relations superficielles, au même titre que la communication familiale, où on échange des banalités et où on ne parle que de ce qui va bien. Lui, il vit une forme de pression mais ne montre que la partie immergée de l’iceberg. »

« Que se passe-t-il quand il est submergé ? », veut comprendre Pierry Fumanal. L’experte psychologue reprend ses explications. « Il se retrouve sur pilote automatique, des structures cérébrales prennent le relai. », résume-t-elle. L’avocat enchaîne. « Comment vous explique-t-il ses changements de club ? » La psychologue reprend ses notes. « Il est d’abord parti à cause des moqueries de son coach, puis plus tard, des amis lui ont demandé de revenir » Pierry Fumanal se gratte le menton. « Il part parce qu’il est harcelé, d’accord, mais pourquoi revenir ? », insiste-t-il. « Il pensait que faire de bons matchs pour lui pourrait arranger les choses, mais il a constaté que cela n’avait pas marché… », explique Adeline Paoli.

L’avocate de l’accusé prend à son tour la parole. « Ce mécanisme de fuite de la persécution puis de retour vers son agresseur, ça s’appelle comment ? », demande Isabelle Mimran. « Ce sont des processus classiques dans les relations de harcèlement : on tente de s’adapter à la situation pour y mettre fin », décrit la psychologue. « Et cette distanciation physique, elle est due à quoi ? » « Cela intervient lorsqu’on est confronté à la peur de sa propre mort, c’est une effraction psychique à laquelle on ne peut se préparer… », conclut Adeline Paoli.

L'avocate de l'accusé, Me Isabelle Mimran

« Il a quand même failli me tuer »

11h25 : Le président évoque une autre facette de la personnalité de l'accusé. L’un de ses amis, qui s’est fâché avec lui, le décrit comme impulsif. Il raconte que Salim s’était acharné sur lui, en 2016, à la fête de Vauvert, à la suite d’une première altercation pour un téléphone. Une autre bagarre est évoquée par un jeune de Saint-Gilles, lors d’un enterrement de vie de garçon en Espagne, en 2017. Lors de la dispute Salim serait allé jusqu’à étrangler son adversaire. « Il est calme, mais il peut devenir violent et agressif, il a quand même failli me tuer. On était tous choqué ! », a raconté ce dernier aux policiers. « Vous êtes capables de débordement sous l’effet de l’alcool ? » Salim secoue la tête. « Non, pas du tout. Il ment. j'ai étranglé personne », répond-il sobrement, les main derrière le dos et le buste droit.

« Un soudain mal-être »

10h50 : L’enquêtrice de personnalité décrit un jeune au parcours sans-faute. Ainé d’une fratrie de cinq enfants, au sein d’une famille aimante et attentionnée, autour de valeurs de travail et d’éducation, Salim est un adolescent souriant, aimable et émotif. Son père, footballeur professionnel au Maroc, est venu travailler en France. Après un parcours scolaire exemplaire - mention Très bien au bac – l’étudiant en classe préparatoire de comptabilité-gestion à Hemingway à Nîmes s’apprête à passer ses examens, et des entretiens pour une école de comptabilité à Paris, au moment des faits. Ses ennuis judiciaires ont fortement surpris ses professeurs. « Contrairement à beaucoup de jeunes de son âge, c'est un élève volontaire, responsable et mature, soucieux de préparer son avenir professionnel, et dépeint unanimement comme gentil, serviable, posé et discret, à l’exception des réserves de son club de Vauvert, signe d’une possible omerta », pointe l’enquêtrice, à la barre.

Mais l’élève exemplaire, poli et investi, était devenu insolent et désagréable depuis le mois de janvier 2019, en raison d’un soudain mal-être et d’idées noires. Ses résultats scolaires et son comportement changent alors de façon sensible et soudaine, selon son entourage. « La famille s’était d’abord sentie rejetée dans le village, avant que la réputation de footballeur professionnel du père ne facilite son intégration. La famille avait ensuite changé de quartier pour éviter les mauvaises fréquentations. Leur fils aîné ne correspondait pas au profil classique des jeunes du village car il était exclusivement tourné vers ses études », développe Christine Perrot, interrogée par une des avocates de la famille, Khadija Aoudia. L'enquêtrice admet ensuite que le portrait de l'accusé « n'est pas celui d'un jeune homme avec une vie sociale épanouie. C'est un intello qui a du mal à s'intégrer comme souvent pour ce type de profil, et qui a subitement perdu sa joie de vivre en raisons de difficultés dans sa vie personnelle. »

« Il se sentait humilié par son coach »

10h00 : Le président Eric Emmanuelidis rappelle les faits. Le 24 mai 2019, à 22h27, le corps de l’entraineur est retrouvé par les forces de l’ordre atteint neuf plaies, dont une très importante au thorax, à la cité du Bosquet à Vauvert. Redouane Abbaoui décède de ses blessures peu après 23h. Un mouvement de foule se répand rapidement dans la cité, certaines personnes s’en prenant notamment à la voiture du père de l’accusé.

Salim se rend rapidement de lui-même au commissariat, du sang sur les mains, un cutter dans sa poche, et deux couteaux dans sa sacoche noire. Devant les enquêteurs, le jeune homme reconnait les coups de couteau et exprime ses regrets. Réinscrit au club de Vauvert, il se sentait humilié et rabaissé en public par son coach, qui se comportait, selon lui, comme « un caïd ». Cette situation aurait conduit le jeune à quitter le club, augmentant le ressentiment de l’entraîneur, privé de son joueur. L’après-midi des faits, une altercation entre les deux hommes aurait encore envenimée la situation. Le soir, un rendez-vous fixé entre les deux dans le quartier du Bosquet dégénère. Sous le coup de la colère, Salim poignarde son entraîneur dans la voiture de celui-ci, avant de prendre la fuite et de se cacher dans un bosquet.

L’enjeux de ce procès sera de déterminer si Salim a prémédité cet acte. Selon la chambre de l’Instruction, plusieurs éléments justifient l’accusation d’assassinat : l’intensité et la multiplicité des coups, les zones vitales visées, les échanges de messages véhéments dans l’après-midi, les préparatifs en se munissant de deux couteaux, dont un de secours dans un sacoche avant de rejoindre l’entraîneur, ou le fait que sa victime était désarmée et ceinturée dans sa voiture. Salim encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

9h00 : Chemise blanche impeccablement repassée, pantalon beige et lunettes foncées, Salim Boudral fait bonne figure lors de son entrée dans le box des accusés de la cour d’Assises du Gard, vendredi 8 avril 2022. L’ancien étudiant en comptabilité de 22 ans va tenter d’expliquer, pendant trois jours, ce qui l’a conduit à tuer de sept coups de couteau son entraîneur de football, Redouane Abbaoui, le 24 mai 2019 au Bosquet, à Vauvert. Écarté depuis plusieurs semaines de l’équipe première en raison de mauvais comportements, le jeune a reconnu les faits, mais nie avoir prémédité ces coups mortels.

Ce matin, l'enquêtrice de personnalité et la psychologue-expert vont se pencher sur la personnalité de Salim Boudral.

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Pierre Havez

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