FAIT DU SOIR Le gang des Benzine Cyprine est de retour au centre Negpos de Nîmes

Kamille Lévêque-Jégo
- Photo Yannick PonsVandalisée en avril, l’exposition Benzine Cyprine a rouvert au Centre d’art et de photographie NegPos à Nîmes. Entièrement restaurée, elle revendique le droit des femmes à occuper l’espace public de la même manière que les hommes, transformant cet acte de vandalisme en écho involontaire à son message.
Le gang des Benzine Cyprine est de retour, et il n’est pas content ! Après le saccage subi au mois d’avril, l’exposition du Centre d’art et de photographie NegPos a rouvert ses portes, photos réimprimées, murs lavés… De cet acte de vandalisme, il ne reste qu’un smiley obscène dessiné sur le mur du vestibule, non ouvert au public, comme une confirmation de la pertinence du message de l’artiste.
Docu fiction
« Évidemment, ça fait plaisir, ça fait beaucoup de bien de revoir ces visages et ces corps inclus à nouveau, de si belle qualité et dans toute leur dignité et leur force. » Kamille Lévêque-Jégo présente son exposition comme un hommage direct à celles qui ont accepté de poser pour elle, des femmes qui ont fait confiance à son propos, qui savaient pour quel projet elles s’engageaient et qui l'ont soutenue malgré les attaques subies au mois d'avril.
Car l’exposition Benzine Cyprine n’a pas échappé au vandalisme. « Tomber des nues et se dire, mais jusqu'où va la bêtise », l'artiste rappelle la dimension affective de son travail : « Il y a quelque chose d'affectif avec ces visages et dans le soutien de ces femmes, révoltées après les dégradations. »
Les circonstances de la réouverture
Le Centre d’art et de photographie NegPos rouvre aujourd’hui l’exposition « Benzine Cyprine » après plusieurs jours de fermeture et de réparations. Cette réouverture intervient dans un contexte tendu. Au mois d'avril, la galerie avait été violemment vandalisée. Des intrus avaient forcé une fenêtre pour entrer, saccageant les œuvres : tirages photo piétinés, visages de femmes tagués, meubles renversés et symboles phalliques peints sur les murs.
Pour le président de l’établissement, Patrice Loubon, cette attaque visait directement le message féministe et militant de l’exposition. Trois semaines après son vernissage, cette démarche artistique avait ainsi été brutalement interrompue.
Face au choc et à la colère suscités par ces dégradations, une plainte a été déposée contre X pour outrage sexiste, intrusion et destruction d’œuvres d’art. Malgré cette attaque, Patrice Loubon et Kamille Lévêque-Jégo ont décidé de ne pas céder à la peur, ni à la censure. Ils ont choisi de refaire l’exposition : réimprimer les tirages, réparer l’espace et prolonger la durée de présentation. Cette volonté de réaffirmer le projet artistique et son message se concrétise aujourd’hui par la réouverture officielle au public.
L’exposition sera à nouveau visible, pour plus longtemps que prévu, afin de continuer à porter la parole des femmes et à dénoncer les violences dont elles sont victimes.
C’est la féminité que l’artiste décrit, même si toutes les scènes de ces photographies sont composées, comme un film, un documentaire fiction. La Toulousaine de 35 ans revendique la construction minutieuse de ses images, qui cherchent à « jouer sur les faux-semblants » afin d’interroger « l’impact du figuratif, de la représentation, sur nos automatismes et déductions, sur nos goûts, sur les normes ». L’idée est d’« être pris au piège », de croire d’abord au réalisme avant de questionner le spectateur.
« Il y a des photos très composées, ça sert aussi à provoquer notre sens critique », précise-t-elle. Certaines images se moquent ouvertement de la publicité et de ses codes, comme cette photo où les femmes pissent sur le bord de la route, en montrant leurs fesses aux automobilistes, devant une affiche de publicité de parfum parfaitement féminisée.
Esthétique revendiquée
Son processus de création est long et exigeant. « Un projet, c'est toujours une masse de glaise à travailler. » Kamille Lévêque-Jégo commence par des croquis, un storyboard comme une réalisatrice, qui lui permettent de préparer les shootings tout en laissant place à l’improvisation. « C’est ce qui va créer aussi la spontanéité », tout en veillant à ce que chaque élément ait du sens et travaille « sur le symbolique ».
L’artiste parle d’images à plusieurs couches de lecture, qui cherchent et trouvent un premier effet instantané particulièrement esthétique, mais laissent ensuite place à l’ironie, au séduisant, et poussent à s'arrêter puis à se questionner. Ce n’est pas de la violence, « qu'est-ce qui est attractif et qui peut être soit dans l'esthétique ou dans le sensationnel ? », interroge l’artiste.
Les scènes qu’elle met en image décrivent aussi la violence systémique envers le genre féminin. « Le fait de traverser la ville, on va s'imposer des règles selon l'heure ou le vêtement pour avoir plus de sécurité. » Elle veut révéler ces réalités ordinaires, souvent invisibles, et dénoncer « la pression constante » subie dans l’espace public par les femmes.
Gang de filles
Kamille Lévêque-Jégo ne veut pourtant pas enfermer ses modèles dans le statut de victimes, le gang Benzine Cyprine répond à cette préoccupation. « Le but, c'est justement parler de ces choses sans appuyer constamment sur le fait d'associer femme et victime. C'est montrer que non, ce n'est pas une fatalité, on peut se défendre. Parlez à vos filles, mais surtout à vos fils. »
Le titre Benzine Cyprine fait référence à un groupe soudé : « Ce que je veux définir et rappeler derrière le mot gang, c'est justement par le groupe qu'on est davantage rassuré, qu'on peut échanger les mots et définir. » Pour l’artiste, trouver les mots pour décrire ce qui ne va pas est essentiel afin de tenter de le régler.
Cette dimension collective se retrouve dans les scènes, parfois inspirées de la réalité, comme ces photos montrant de vraies familles ou ces moments de sororité autour d’une piscine. Les hommes sont là également.
L’artiste utilise une mise en scène très cinématographique, un effet léché qui s’inspire de la publicité. C’est pour mieux en dénoncer les codes et la féminité mièvre et complaisante vendue par l’image médiatique. « Je suis plus proche de Tarantino que des pubs Chanel », sourit-elle, en racontant les rares films dans lesquels les femmes sont fortes, comme Sigourney Weaver dans Alien.
Laisse traîner ta fille
Elle revendique un art qui questionne, provoque, qui se veut un appel aux femmes de reprendre leur place dans la société qu’elles n’ont pas dans la rue. Pourquoi ne pourraient-elles pas traîner comme elles l'entendent dans la rue ?
Benzine Cyprine est une invitation à réfléchir sur le regard, sur la représentation, sur la place des femmes et leur droit à occuper l’espace, à se défendre et à se définir. Kamille Lévêque-Jégo célèbre une identité féminine.
Cette plongée satirique dans le quotidien et le style de vie des Benzine Cyprine est un prétexte qui met en évidence l'influence des symboles et des choix figuratifs sur la construction des identités de genre. Demain, l'artiste rencontre le public à 15h, une exposition à ne pas louper !
Infos pratiques
Rencontre avec l'artiste Kamille Lévêque Jégo et Patrice Loubon directeur artistique de NegPos le samedi 28 juin 2025 à 15h à la galerie NegPos FotoLoft, 1 cours Némausus 30 Nîmes – 2e étage.
Conférence le jeudi 10 juillet à 19h dans le cadre des Rencontres Internationales de la Photographie à Arles dans la cour de L’archevêché en présence de Sophie Auger-Grappin, coprésidente du CIPAC et directrice du centre d'art Le Creux de l'enfer.