FAIT DU JOUR À Monoblet sont élaborées les matières premières d'une homéopathie américaine

Jeanne Merlay et Damien Verrier, sur les terrasses de l'exploitation
- François DesmeuresBasée à Saint-Hippolyte-du-Fort, l'entreprise d'homéopathie Sevene produit la matière première qui lui est nécessaire au pied du hameau de Pailhès, à Monoblet. Dans une vallée humide des premières collines, elle gère quatre hectares de culture au sein d'un site préservé de 55 hectares, qui n'a connu qu'agriculture naturelle ou biologique depuis des décennies. Le récent partenariat avec Weleda donne lieu à un premier accroissement de production, sur des faïs où la directrice du développement agronomique mène des expérimentations. Visite d'un jardin extraordinaire.
À voir son sourire, Damien Verrier n'est pas si mécontent de la visite d'un journaliste sur les terres de production de son entreprise, Sevene, sur l'ancienne exploitation de Marie de Mazet, dans la vallée de Valestalière. Car pour lui - souvent vissé à son bureau ou survolant l'Atlantique entre la France et les États-Unis - cette sortie sur les terres de l'entreprise offre un moment de détente végétal dans un planning serré.
D'autant que, cet espace, c'est aussi lui qui l'a souhaité en rachetant Sevene, en 2019. "Notre idée, lors de la reprise, était de créer une société intégrée qui puisse gérer la matière première", expliquait-il en octobre dernier à Jalil Benabdillah, vice-président en charge de l'économie de la Région Occitanie (relire ici). Sur le terrain même de ces matières premières, Damien Verrier ne varie pas. "Nous sommes une société intégrée, qui commence par la culture de la plante, l'élaboration d'une teinture-mère et la fabrication de l'homéopathie. C'est d'ailleurs ce qui a plu à Weleda." Le leader suisse de la cosmétique bio a entamé un partenariat avec la société cigaloise, qui pousse l'entreprise à "doubler ses capacités de production".
Dans ce "secteur qui se développe" - et dont le taux de croissance est à deux chiffres aux États-Unis - "la matière première devient la clé", insiste Damien Verrier. Soit, la plante et son extrait, la teinture-mère. Une plante qui est directement traitée dans un laboratoire sur place, "dans un cadre réglementaire très strict : on a besoin de produire trois lots et d'effectuer des tests de stabilité pendant 5 ans". Avec quatre tests la première année, et quatre autres jusqu'aux 5 ans. "C'est souvent ce qui rebute les fabricants".
"L'avantage, sur ces terres d'un mas du XVIIe siècle, c'est qu'il n'y a aucun intrant", se réjouit Jeanne Merlay, directrice du développement agronomique chez Sevene et véritable responsable des quatre hectares de culture, des choix d'essence, de l'emplacement idoine des plantes et de leur bonne croissance. Sur les terres, un premier laboratoire a été implanté. "Le temps entre la récolte des plantes et le moment de la production est super important. Certaines plantes doivent être utilisées dans les deux heures", précise Damien Verrier. Déplacer le laboratoire à Saint-Hippolyte, à côté du siège, aurait donc amené plus de problèmes que de solutions.
"On récupère les plantes, puis on passe à la pharmacopée, détaille Jeanne Merlay. Soit plusieurs étapes qui permettent d'extraire le principe actif." Et la directrice agronomique insiste sur la qualité des matières premières. "On est plus que bio, on mène une agriculture totalement naturelle." Car, dans la plante, rien ne doit être extrait en dehors du principe actif qui peut se trouver dans les feuilles, la racine, ou encore la tige.
"Les plants arrivent, on les découpe et on pratique un premier test pour savoir quel degré d'alcool ajouter", poursuit Jeanne Merlay. Une macération de deux à trois semaines intervient, "qu'on agite régulièrement. À la fin, avec la pression des plantes, on extrait tous les principes actifs." Si une vingtaine de "plantes-clé" assure la majeure partie de la production homéopathique, "on a une centaine de plantes en culture disponibles. En matière médicale, il doit en exister 600 ou 700. Mais avec une centaine, on couvre déjà 90 % du marché." Et pour les quelques plantes exotiques, savoir-faire et production proviennent de Madagascar.
"Ici, poursuit Jeanne Merlay en faisant visiter les terrasses en culture, on cultive donc toutes les plantes des climats tempérés. Avec des zones plus ou moins ombragées, on travaille pour adapter le bon sol et l'ensoleillement. Ici, c'est vraiment un bon compromis." Sur les quatre hectares de culture, "1,5 ha sont des terres arables véritables. On a augmenté d'un hectare il y a deux ans, qu'on va mettre en culture à l'automne prochain." En essayant, toujours, de partir de la graine et non de plants achetés.
Car les quantités de matières premières nécessaires ne sont pas si importantes. "Il faut environ un kilo de plantes pour un litre de teinture-mère", définit Jeanne Merlay. Et on a besoin de quatre ou cinq litres pour fabriquer les médicaments. Pas plus, et parfois moins. On a des plantes vivaces, mais aussi quelques plantes annuelles avec lesquelles on fait des rotations de culture."
"Une année charnière, où on doit passer de start-up à entreprise"
Damien Verrier, PDG de Sevene
"On avait fait une analyse, pour comprendre la biologie du sol, sur deux mètres, poursuit Jeanne Merlay. On a vu qu'on avait deux types de sol. On dispose de trois types d'exposition différents sur les parcelles. On a aussi recréé une zone humide, dans le bas, alimentée par des sources naturelles." Pour l'arrosage, l'exploitation dispose d'un forage et de quelques bassins anciens. Mais la présence d'arbres et de paillage assurent le maintien d'une certaine humidité. "Qui dit agriculture humaine, dit intervention humaine", poursuit Jeanne Merlay, qui chapeaute, sur place, trois ouvriers agricoles. Et sans doute plus, bientôt, avec la production pour Weleda.
"Cette année est une année charnière, où on doit passer de start-up à entreprise, résume son PDG, Damien Verrier, dans un monde où tout le monde fait de la sous-traitance." Car en plus de Weleda et de l'homéopathie que l'entreprise envoie sur le marché américain, que ce soit pour les humains ou les animaux, "on mène un projet de recherche de travail sur de l'agro-homéopathie". Ou comment soigner délicatement d'éventuelles maladies ou traumatismes des plantes agricoles. Comme l'arnica, sous forme liquide, qui aiderait la plante à se reprendre plus rapidement après un épisode de grêle. L'arnica, justement, à la base de nombreuses préparations, notamment pour Weleda, Jeanne Merlay essaie actuellement de l'acclimater dans cette vallée humide de Monoblet, alors que la fleur préfère généralement des altitudes plus importantes.
Localement, c'est à la vigne que Damien Verrier espère vendre ses traitements d'agro-homéopathie. "On commence une expérimentation dans les vignes de la Maison Blanc Senthille. On travaille sur le dépérissement, un problème qui n'a pas de solution, même en agriculture conventionnelle. On espère offrir un éventail de solutions contre le stress hydrique." Et ainsi pouvoir, éventuellement, limiter l'irrigation à terme. Car si l'homéopathie de Sevene essaie de répondre aux enjeux de son époque, la production nécessaire à sa réalisation subit, elle aussi, les affres climatiques de son temps...