Publié il y a 7 mois - Mise à jour le 25.02.2024 - Camille Graizzaro - 5 min  - vu 764 fois

L’INTERVIEW "Il faut se concentrer sur le tourisme de niche", préconise Christophe Hagopian, directeur de l’office du tourisme Beaucaire Terre d’Argence

Christophe Hagopian a déjà eu mille vies. Skieur professionnel, directeur de résidences touristiques de luxe Relais et Châteaux, de stations de skis ou balnéaires… Et c’est à Beaucaire qu’il a décidé de poser ses valises en décembre dernier pour devenir le nouveau directeur de l’office de tourisme. Entre grands événements et tourisme individualisé, il explique sa stratégie pour mettre en valeur la destination Terre d’Argence.

Objectif Gard : Il n’y a ni plages, ni montagnes à Beaucaire, qu’est-ce qui vous a poussé à venir travailler en Terre d’Argence ?

Christophe Hagopian : J’ai habité vers Avignon un moment, alors je connais bien la région, et surtout je l’aime beaucoup. Je voulais sortir de la filière hôtelière dans laquelle j’exerçais, et j’ai eu l’opportunité de travailler à l’office de tourisme de Beaucaire Terre d’Argence, que j’ai saisie sans hésiter.

Vous dites que vous connaissez bien la région, mais Avignon ce n’est pas le Gard !

C’est marrant que vous disiez ça, ça me fait penser à la région savoyarde. Entre le pays savoyard et la Savoie, il y a la chaîne de l’Épine, que les gens ont du mal à franchir pour passer d’un département à un autre. C’est exactement la même chose ici. Les Gardois ont du mal à traverser le Rhône pour aller à Avignon, et inversement. Je trouve ça étonnant que les gens aient du mal à traverser ces frontières naturelles. Il est vrai que le Vaucluse et le Gard ne sont pas la même chose, mais ils sont tellement proches que lorsqu’on a un regard extérieur, on a moins cette notion de frontière entre départements. Pourtant je la traverse tous les jours, mais je n’ai pas l’impression d’être d’un côté ou de l’autre. Et puis, il faut être ouvert dans le tourisme.

Que pensez-vous du territoire de la Terre d’Argence ?

La Terre d’Argence est connue localement, par les natifs, les habitants ou les frontaliers immédiats… Mais c’est à peu près tout. Il y a sans doute quelques manques en termes de communication qui peuvent expliquer ce manque de visibilité extérieure. Aussi, l’attractivité du secteur n’est pas forcément une évidence. On est un peu enclavé entre trois sommets du tourisme : Avignon avec son Palais des Papes, Nîmes et ses arènes et même Arles. Nous on est plus dans la ruralité, la pastoralité, l’histoire et l’architecture dont Beaucaire est tout de même le fer de lance. Mais même si nous sommes entourés de gros poids lourds du tourisme, il ne faut pas en avoir peur et se sentir écrasés, au contraire ! Je compte bien m’en servir pour faire comprendre aux touristes qu’ils peuvent aussi venir chez nous découvrir d’autres activités plus natures et paisibles.

Le fait d’être entouré par ces trois grands sites touristiques n’a-t-il pas au contraire un effet vertueux sur la Terre d’Argence ?

On pourrait devenir une zone tampon, dans le bon sens du terme, par exemple en proposant des hébergements plus intimistes et soignés, et plus compétitifs financièrement que le centre-ville d’Avignon par exemple. On n’aura jamais d’attractivité marquée comme les villes du littoral ou des hauts massifs de montagne, on n’a pas vraiment d’élément particulier qui pourrait nous distinguer. Il n’empêche qu’il y a plein de choses à découvrir sur notre territoire ! C’est à partir de ça qu’il faut construire notre stratégie de communication, on peut être un point de départ pour rayonner aux alentours. Et puis d’un point de vue historique, Beaucaire n’a rien à envier à personne. Je pense même qu’il pourrait être intéressant de travailler sur un partenariat de territoires. Je suis le premier en Europe à l’avoir fait lorsque j’étais à la tête de la station balnéaire du Lavandou. En partenariat avec l’Isle-sur-Sorgue et Châteauneuf-du-Pape, nous avions créé la route du chocolat, qui reliait les trois villes. L’idée était que, sur un rayon de 100 kilomètres, plusieurs territoires pouvaient partager une clientèle sans pour autant se faire directement concurrence. Moi j’avais la mer et les bateaux, Châteauneuf avait les vignes et l’Isle sa beauté et la Sorgue elle-même. Il y avait une forme de complémentarité dans ce que nous avions à offrir, alors cet échange nous a paru logique. J’aimerais beaucoup réitérer cette expérience avec la Terre d’Argence.

Cette volonté d’ouverture vers l’extérieur est-elle exacerbée par le fait que vous-même ne soyez pas de la région ?

Oui, et j’ai déjà expliqué aux élus que j’ai déjà été dans une situation similaire, à St-Gervais-Mont-Blanc. C’est une station de ski qui se trouve entre Chamonix et Megève, qui sont internationalement reconnues. Stratégiquement, c’était très intéressant d’être là, j’ai pu me servir de ces deux géants pour mettre en valeur ma station et ses atouts. Je pense pouvoir appliquer une stratégie similaire ici, et je compte bien y parvenir notamment par une restructuration de l’offre touristique que l’on proposait jusqu’à présent. Je suis persuadé qu’il faut que nous nous tournions vers le tourisme individuel, plutôt que sur la clientèle de groupe. Notamment parce qu’on n’a pas la capacité d’hébergement ou de restauration d’accueillir beaucoup de gros groupes de touristes, comme on peut voir ailleurs, qui viennent par vagues d’autocaristes. Travailler là-dessus serait une perte de temps, d’argent et en plus quand on déçoit les gens c’est pire que de ne pas pouvoir les accueillir. Alors plus qu’un tourisme de masse, il faut se concentrer sur le tourisme de niche.

Y-a-t-il d’autres axes stratégiques sur lesquels vous voudriez mettre l’accent ?

On est en train de redéfinir notre identité visuelle, avec un nouveau logotype par exemple. On va également mettre en place un magazine prestige, avec peu de publicité, avec des témoignages d’habitants, des reportages sur le territoire, des interviews… L’idée est de proposer gratuitement aux voyageurs un guide qui est différent, qui raconte des histoires sur papier que le touriste pourra vivre en direct. Et quand il ne pourra pas consommer sur place, il emportera l’expérience avec lui sur le retour, et ça pourrait lui donner des idées pour revenir l’année suivante. J’en ai déjà fait ailleurs, et ça fonctionne très bien : chaque édition devient même un rendez-vous très attendu. En parlant de rendez-vous, j’aimerais aussi beaucoup développer le volet événementiel de la région. Il y a d’autres territoires qui aujourd’hui rayonnent à l’international grâce à leurs événements : je pense par exemple au Festival d’Angoulême ou aux Vieilles Charrues dans le Finistère. Sans ces événements majeurs, peu de gens auraient l’idée de partir là-bas en vacances. J’aimerais beaucoup créer un, ou deux grands événements récurrents de cette ampleur pour la Terre d’Argence, même si je ne sais pas encore quoi.

Avez-vous déjà des nouveautés prévues pour cet été ?

Vous connaissez peut-être l’escape game qui se tient depuis trois ans à la forteresse de Beaucaire ? Eh bien nous sommes en train d’en créer un second qui ouvrira début juin. Le premier restera encore actif pendant un an, pour accompagner, et compléter, le petit nouveau qui sera lui aussi sur un thème historique. Les joueurs partiront à la recherche du Drac, cette créature mythique de Beaucaire un peu similaire à la Tarasque à Tarascon. L’idée de cet escape game, à l’origine, c’était d’attirer un tourisme qui n’a pas l’habitude de venir à Beaucaire, ou qui n’a pas forcément visité le château. Et à ce jour c’est un véritable succès ! Les visiteurs viennent pour jouer, bien sûr, mais ils consomment aussi dans nos restaurants, dans nos bars, ils visitent la ville et sont par la suite susceptibles de revenir sur le territoire. C’est toujours bon à prendre, et puis notre forteresse est un cadre fabuleux pour une animation ludique comme celle-ci.

Comment voyez-vous l’avenir du tourisme en Terre d’Argence ?

Le meilleur est à venir ! Je fais toujours un audit quand j’arrive sur un territoire parce que j’aime traduire sur papier mes observations du territoire dans lequel je mets les pieds. J’expliquais tout à l’heure qu’on n’avait pas forcément de grandes capacités d’hébergement, parce qu’on n’a pas d’attractivité forcément évidente. Mais il y a des projets extrêmement intéressants qui vont voir le jour dans les mois et les années à venir. Je pense notamment au port de Fourques, un port de plaisance qui va permettre d’attirer un tourisme fluvial par exemple, ou la création d’hébergements insolites comme une barge ou des bateaux. On va aussi construire une grande salle de spectacle à Beaucaire, pour des concerts ou même des conférences. Le tourisme d’affaire est clairement un axe à ne pas négliger, parce qu’il a un taux de croissance à deux chiffres, ce qui est rare dans le secteur. C’est ce genre de projets qui permettent d’apporter de la diversité dans notre offre et d’attirer du monde sur le territoire.

Camille Graizzaro

Beaucaire

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