Publié il y a 9 mois - Mise à jour le 06.08.2023 - Anthony Maurin - 5 min  - vu 1131 fois

FAIT DU JOUR La folle histoire de Pierre Picaud

James O'Neil en Edmond Dantès en 1913

Tentons de nous souvenir de quelques Gardois oubliés. Avec Pierre Picaud, accrochez-vous !

Le Comte de Monte Cristo première partie en 1954

Il est des personnages historiques qui n’ont pas laissé leur nom dans l’histoire. Pourtant, ce Gardois est connu de tous… Grâce à Alexandre Dumas qui a fait de son histoire celle de l’un de ses plus grands héros.

Pierre Picaud, vous connaissez ? Ce nom vous dit-il seulement quelque chose ? Pourtant il devrait car vous le connaissez à coup sûr, parole ! Au cinéma il a été interprété par Jean Marais, Jacques Weber ou encore Gérard Depardieu et le sera par Pierre Niney en 2024.

Pierre Picaud est né à Nîmes en 1780. Il mourra à Paris en 1815. Entre Révolution française en Premier Empire. Né à Nîmes et donc mort à Paris, sa vie traverse quelques chamboulements sociétaux.

Une source d'inspiration et plus encore

Mais c’est bien grâce à un grand auteur ayant eu vent de ce personnage que Pierre Picaud sera connu plus tard et sous un autre nom.

La source principale, aisément consultable, semble être de la plume d'Alexandre Dumas, dans une notice titrée Pierre Picaud : Histoire contemporaine, publiée en annexe de l'édition du roman Le comte de Monte-Cristo, dans la première série des Œuvres complètes d'Alexandre Dumas, en dix-sept volumes, publiées par le quotidien Le Siècle à partir de 1846.

Selon les indications fournies dans ce texte, Alexandre Dumas se serait bel et bien inspiré des archives de la police recopiées par un archiviste, Jacques Peuchet. Cet ouvrage prend hélas une grande valeur lorsque ces archives sont brûlées lors de l’incendie de 1871.

James O'Neil en Edmond Dantès en 1913

Alexandre Dumas a lui-même écrit dans ses Œuvres complètes de M. Alexandre Dumas : Le Comte de Monte-Cristo, qu’il s’est inspiré de Pierre Picaud et de son histoire contemporaine. L'exemplaire numérisé par Google est celui de la Bibliothèque municipale de Lyon.

Mais revenons au personnage. Pierre Picaud, que l'on retrouve aussi sous le nom de François Picaud ou François-Pierre Picaud, est un « cordonnier en chambre » de Nîmes qui, victime d'une machination politico-judiciaire sous le premier Empire, est passé à la postérité en tant que modèle du personnage d'Edmond Dantès dans Le Comte de Monte Cristo d'Alexandre Dumas ! Rien que ça.

Certains n’y croient pas quand d’autres sont persuadés de la véracité du propos. Le personnage de Pierre Picaud peut cependant être remis en doute puisqu'il n'existe aucune trace de son existence dans les archives. Il a sans doute été inventé par Étienne-Léon Lamothe-Langon afin de romancer les archives de la police écrites par Jacques Peuchet mais publiées après sa mort. On pourrait croire à une belle blague, que nenni !

L'histoire tourne mal

Alors, des généalogistes ont effectué des recherches afin de retrouver celui qui avait inspiré le personnage de Pierre Picaud par Lamothe-Langon, et leurs recherches ont retrouvé la personne de Gaspard-Antoine (ou Gaspard-Étienne) Pastourel, connu pour avoir commis des vols sous de multiples identités et ayant passé plusieurs années en prison, il est aussi un champion de l’évasion. De nombreuses similitudes existent entre lui et le personnage de Pierre Picaud, et il semblerait qu'il soit la véritable inspiration de Lamothe-Langon qui a elle-même été l'inspiration d'Alexandre Dumas pour le Comte de Monte-Cristo.

Mais conservons notre Nîmois car qu’il s’appelle Pierre Picaud ou Gaspard-Antoine Pastourel, les deux larrons sont Nîmois (peut-être Marseillais ou natif de Pernes pour Pastourel) ! En tout cas les deux ont été incarcérés dans la même prison piémontaise. Pastourel a même été évoqué dans les mémoires du célèbre François Vidocq à qui il a menti sur sa vie.

Le Comte de Monte-Cristo en film ici en 1917

Tout se corse en 1807 quand Pierre Picaud est sur le point d'épouser une femme belle et très riche, Marguerite Vigoroux. Un de ses amis, Mathieu Loupian, tenancier d’un cabaret, veuf et qui a deux enfants, a des vues sur la dot de Marguerite. Jaloux de sa bonne fortune, tout va basculer.

Dans les archives on peut lire que lorsque Pierre vient le voir pour commander un repas de noces pour douze personnes, Loupian fait le pari qu'il retardera la fête. Sachant qu'un commissaire, client habituel, va bientôt arriver, Loupian, avec la complicité de deux clients du troquet (nommés Solari et Chaubard), accuse mensongèrement Pierre Picaud d'être un espion et un agent royaliste à la solde de l'Angleterre.

Évidemment, les choses se passent comme elles doivent se dérouler et un quatrième ami, un certain Antoine Allut, est mis au courant du mensonge et entre donc dans la danse macabre.

Edmond Dantès dans sa prison (Gravure d'Edmond Riou)

Le commissaire envoie logiquement son rapport au duc de Rovigo et celui-ci fait arrêter Picaud le jour de ses noces. Il est emmené en prison dans le plus grand secret. Simple, efficace.

Picaud passe alors sept ans à la forteresse alpine de fenestrelle qui est aujourd'hui dans le Piémont, en Italie. Il est embarqué là-bas sans même être informé du motif de son arrestation !

Durant son emprisonnement, il creuse un petit passage vers une cellule voisine et se lie d'amitié avec un prêtre italien qui y est détenu, le père Torri. Dans le roman on parlera de l’abbé Faria mais nous y reviendrons car lui aussi fut inspiré de la vie d’un Nîmois). Un an plus tard, Torri, mourant, lègue par testament à Picaud un trésor caché à Milan.

Le Comte de Monte-Cristo Robert Vernay en 1954-55, d'après le roman d'Alexandre Dumas père avec Jean Marais en Edmond Dantès (Prod DB 1955 FRA / ITA).

Picaud, à présent libre après la chute de l'Empire napoléonien en 1814, est naturellement plus âgé, malingre et décide de prendre le nom de Joseph Lucher. Il prend possession du trésor et met en place sa vengeance contre ses anciens amis.

Déguisé en ecclésiastique et se faisant appeler l'abbé Baldini, il retrouve à Nîmes Allut, qui, en échange d'un gros diamant et après avoir sans doute halluciné, lui raconte l'histoire de sa dénonciation sur une simple plaisanterie de mauvais goût dictée par la jalousie. Il apprend notamment que Loupian s'est acheté un café Boulevard des Italiens grâce à la dot de Marguerite Vigoroux qu'il a épousée deux ans auparavant.

Dans la tête de Picaud, tout se précipite mais les plans sont établis. Sous la seconde Restauration, Picaud se fait engager comme chef de rang dans le restaurant du fameux Loupian. Sa vengeance commence. Chaubard est tué sur le Pont des Arts, un poignard fiché dans le cœur et dont le manche porte l'inscription « numéro un ».

Les numéros se suivent...

Ça, c’est fait. Vient le tour de Loupian qu’il ruine grâce à un prétendu prince de Corlano qui séduit sa fille de Loupian, la met enceinte et lui demande sa main. Le jour de leurs noces, Corlano envoie un billet à chacun des 150 invités qui révèle qu'il est un ancien galérien. La famille Loupian est déshonorée, d'autant plus que le fils Loupian, saoulé par une bande de camarades, est retrouvé seul sur les lieux d'un cambriolage, les poches pleines de bijoux volés, et se voit condamné à vingt ans de travaux forcés.

Comme il fallait une vraie vengeance, pleine et entière, le café de Loupian est incendié par des inconnus. Solari est retrouvé empoisonné, l'inscription « numéro 2 » est inscrite sur son cercueil. L’histoire continue dans le tragique au moment où Picaud poignarde Loupian. Allut, qui le surveillait, l'empoigne, le ligote et le séquestre pour lui extorquer de l'argent. Picaud refuse de céder, alors, Allut l'exécute. Fin de l’histoire…

Le Comte de Monte-Cristo

Pas tout à fait car en 1828, réfugié dans un bas quartier de Londres, Allut, malade et moribond, fait quérir un prêtre français. Il lui dicte l'histoire que nous venons de lire avant de mourir. L'abbé Madeleine envoie ce texte sous pli au préfet de police parisien et c'est ce pli qu'aurait retrouvé l'archiviste Jacques Peuchet dans les archives de la police de Paris.

La description détaillée des années de prison de Picaud, qui ne pouvaient être connues d'Allut, lui a été prétendument dictée par le fantôme du père Torri… Mais ça, c’est peut-être de la fiction !

Anthony Maurin

Nîmes

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