OCCITANIE La première autoroute se dévoile
Dominique Garcia, historien et archéologue, président exécutif de l’Institut national de recherches archéologiques préventives nous parle de « L’extraordinaire aventure de la Via Domitia en Occitanie » un livre qui sortira le 25 octobre et dont il a signé les textes quand Jean-Claude Martinez assurait les photos. Ce nouvel ouvrage sillonne en partie la Via Domita. Interview.
Pourquoi vous êtes-vous lancé dans ce projet ?
J’ai beaucoup d’activités et comme tout le monde j’ai des activités principales. J’ai la gestion d’un établissement de 2 000 personnes mais quand j’ai été contacté par Jean-Claude Martinez, j’ai perçu là un dossier original. Je me suis dit que j’allais essayer non pas de l’aider mais de l’accompagner, ça me semblait avoir du sens. La Via Domitia est un trait d’union, un ruban qui s’étend du Rhône jusqu’aux Pyrénées donc je trouvais le projet assez joli et emblématique. Carole Delga (NDLR présidente de la Région Occitanie) a accepté de faire la préface et c’est bien de se dire que c’est un projet à l’échelle de l’Occitanie, des pays catalans aux marges de la Provence. En son temps, Philippe Lamour avait senti qu’il y avait quelque chose à faire et avait initié une valorisation ambitieuse de ce monument antique singulier.
Comment est née l’idée de ce livre ?
Jean-Claude Martinez est un photographe d’art qui a travaillé pour des institutions dont le Centre des Monuments Nationaux (comme Glanum ou Ensérune) ou des collectivités territoriales. Il est l'auteur et de photos en noir et blanc que je connaissais et que je trouvais de grande qualité. Il a commencé son enquête le long de la Via Domitia pas seulement pour la documenter en tant que photographe mais aussi pour susciter de l’intérêt autour des personnes qui travaillaient tronçon par tronçon.
La Via Domitia est immense !
C’est la caractéristique de la Via Domitia ! C’est le plus grand monument romain de tout le Midi, elle fait 250 km de long. Des personnes y travaillent depuis longtemps mais souvent de manière ponctuelle parce qu’ils étaient intéressés par un pont particulier, un relais, un tronçon de voie visible, une fouille programmée, une prospection, des fouilles préventives… mais il y a rarement eu un regard porté sur toute la longueur.
C’est donc un livre ouvert à tous ?
Il fallait restituer, aux décideurs, aux habitants et aux touristes, les choses d’une manière simple mais juste : des belles images accompagnées d'un texte qui s'adresse à tous et, à la fin une carte qui permet rapidement de se situer. Il n’y a rien de technique et les photos sont disposées de façon géographique du Rhône vers la frontière espagnole, de Beaucaire aux Pyrénées.
Pourquoi avoir omis les parties alpine et italienne de la Via Domitia ?
Parce que justement, même si on n’a pas tout le détail, elle ne s’appelait vraiment Via Domitia qu’à partir de Beaucaire en direction des Pyrénées ! De l’autre côté à partir du Rhône elle est triple. Il y a une voie qui remonte le long du fleuve vers le Nord, une autre longe le littoral et qui file vers Fréjus et une dernière qui longe la Durance et qui part dans les Alpes. Ces trois autres voies convergent vers la Via Domitia. Le côté unitaire, autoroute antique si j’ose dire, c’est à partir de Beaucaire et vers l’espace occitan et catalan qu’on l’a.
Les écueils peuvent être nombreux pour la réalisation d’un ouvrage sur ce vaste sujet qui rassemble tout le monde.
C’est un triple projet. C’est un projet artistique qui documente l’état de la voie en 2024 et qui illustre ses usagers variés. Comment, aujourd’hui, les gens perçoivent la Via Domitia ? Comment ils l’utilisent ? Comment ils la recherchent ? Jean-Claude Martinez voulait mettre en place un mouvement pour que l'ensemble des habitants de la région s’empare de ce monument emblématique. Il est en train de réussir ! La via Domitia peut contribuer à forger une identité régionale forte : dans un territoire historiquement, culturellement, linguistiquement divers, la voie constitue un repère commun aux habitants des Pyrénées orientales, de l’Aude, de l’Hérault et, bien sûr, du Gard...
Quelle a été votre contribution ?
J'ai accompagné ce projet patrimonial en écrivant un texte historique de présentation de l’histoire de la circulation dans le Midi de la France... et montrer que ce ne sont pas les Romains qui ont appris aux gens à marcher ou à construire !
Avant cette période, il y avait des pistes et circuits préhistoriques, puis il y eut la voie héracléenne qui est une voie gauloise importante entre l’Italie et l’Espagne. Elle avait d’ailleurs été utilisé par les Romains quand ils étaient venus dans la région… Officiellement c’est avec la création de la province romaine de la Narbonnaise que la construction de la voie a eu lieu.
Le projet est pharaonique !
C’est un acte politique fort qui organise tout l’espace annexé par les Romains. Ils vont réaménager la voie héracléenne sur toute sa longueur et bâtir de nombreux ouvrages d'art. C’est le rhabillage d’une infrastructure qui existait auparavant et que les ingénieurs romains vont rendre durable. Dans le texte, je montre ses différents usages et l'impact qu'elle ça avoir sur l'aménagement du territoire. J’évoque aussi les raisons pour lesquelles les Romains investissent dans l'aménagement de ce monument. C’est comme aujourd’hui pour une autoroute ou une ligne TGV ! Ça demande de l'ambition mais aussi beaucoup d’argent et de moyens humains. Les travaux, dans la montagne pyrénéenne, dans les zones marécageuses du Languedoc, dans les passages des nombreux fleuves côtiers… ont été considérables.
Le jeu en valait-il vraiment la chandelle ?
C’est une infrastructure lourde et importante. J’essaie de montrer en quoi elle va être une véritable colonne vertébrale qui servira à la fois à la circulation entre l’Italie et l’Espagne mais aussi de connexion avec les axes routiers qui vont dans l’arrière-pays et qui sont des voies perpendiculaires. Enfin, elle va organiser les points économiques importants qui sont Arles mais aussi les ports comme Lattes, Agde et surtout Narbonne. Elle va également fédérer les principales cités comme Nîmes, Béziers, Narbonne et Ruscino.
Même si tout le monde la connaît, connaît-on vraiment la Via Domitia ?
Ma volonté, dans l’archéologie que je promeus depuis toujours, vise à redonner des repères au plus grand nombre et créer de la convivance. L’archéologie, ça n’est pas que des monuments qui encombrent ! C’est dire aux habitants d’Occitanie qu’ils ont un patrimoine commun, des PO au Gard, qui les relie dans l’espace, dans le temps, et au travers des témoignages qui sont recueillis dans ce livre aussi.
Avec le livre on peut partir en vadrouille ?
Il y a des notices qui peuvent servir de guide. Les gens pourront se rendre à Remoulins, à Nîmes ou à Lattes et retrouver à chaque fois un élément d’un pont, d’une voie pavée, d’un milliaire, c’est-à-dire du bornage qui marquait la route... Ils auront des repères historiques, visuels et ils sauront que ce n’est pas un monument isolé.
Du Rhône aux Pyrénées, un beau terrain de jeu.
Le plan est simple, on part du Rhône et on va jusqu’aux Pyrénées presque comme un Romain se déplacerait. On glisse de Beaucaire jusqu’au col de Panissars dans les Pyrénées. On présente les monuments visibles et les endroits où l’on peut repérer la voie. Avec des notices c’est à la fois un ouvrage érudit et grand public ! C’est un livre qui donne à voir et à comprendre, pour que les gens ne se disent pas que c’est juste deux piliers et trois cailloux qui se promènent là. Ce sont des éléments d’un monument beaucoup plus large.
Jean-Claude Martinez a donné une conférence au Musée de la Romanité de Nîmes lors des dernières Journées européennes du patrimoine.
Il a pour idée que ce bouquin soit aussi le support pour promouvoir la voie et cette unité de patrimoine commun dans l’ex Languedoc et dans l’ex Roussillon. Il faut protéger ce monument mais aussi encourager les associations qui s’en occupent un peu ! Elles sont nombreuses tout au long du tracé qui, le week-end, vont nettoyer la voie, couper les broussailles, regarder la borne milliaire, ou même étudier le monument sous l'autorité de la Drac. On souhaite leur montrer qu’ils ne sont pas isolés et leur donner un élan.
Se sert-on réellement encore de certaines portions de cette voie ?
On le montre aussi dans le livre. Ce monument sert, à certains endroits, depuis plus de 2 000 ans. Il est visible et il a arqué l’imaginaire comme le pont d’Ambrussum peint par Courbet et qui avait à l’époque une arche de plus… Le documenter aujourd’hui c’est aussi parce qu’on ne sait pas très bien ce qui demain pourrait se passer.
On continue de vivre avec elle sans forcément le savoir. Est-elle en danger ?
Parfois elle était très organisée et pavée mais sur d’autres secteurs c’était un simple chemin aménagé ! Quand elle traverse la Gardiole les Romains n’allaient pas paver un endroit où il avait des rochers. La Via Domitia peut être fragile si demain on dit qu’on va reboiser un bas de coteau sans se soucier de son existence. Il faut rappeler qu’il y a des endroits où la voie est visible dans sa matérialité avec des murs, des bornes ou des pavés. Mais parfois, elle n’est visible que parce qu’elle trace quelque chose qui aujourd’hui est occupé par un chemin de vignes !
À qui appartient-elle ?
Il y a une multitude de propriétaires ! Des petits tronçons peuvent appartenir à des Collectivités mais aussi de nombreux particuliers. Il y aussi des ponts qui sont entre deux Départements… On a rarement un patrimoine commun aussi abouti.. mais tronçonné. On le voit bien en photo aérienne mais au sol un petit élément peut vite disparaître, simplement avec un remembrement.
Comme c’est un monument classé...
Non ! Elle ne l’est pas ! Le tracé, maintenant qu’il est connu, est enregistré par les services des préfectures et s’il y a des types d’aménagements particuliers la préfecture, via le Service régional de l'archéologie y est attentif. Certains de ses monuments comme le pont d’Ambrussum sont classés mais la plupart ne le sont pas !
C’est un sacré paradoxe.
Aujourd’hui, c’est un patrimoine commun à de nombreux propriétaires qui est protégé parce qu’il est encore toujours utilisé. Et ça, c’est intéressant ! Le fait qu’on utilise encore ces chemins permet de les conserver car on ne détruit pas un chemin que l’on emprunte mais cela pourrait aussi arriver, et c’est déjà arriver dans le passé...
Son accès est-il simple ?
C’est un monument dont l'accès est gratuit ! On peut le longer à vélo ou à pied, une famille peut aller voir un milliaire le week-end… Ailleurs, rares sont les endroits où l’on ne vous demande pas de l’argent. On a le plus grand monument antique, fort d’un point de vue politique, culturel ou économique, et en plus il est accessible sur la plupart du tracé, et ce, gratuitement. Toucher les monuments et les faire voir aux gosses, c’est pas mal ! Aujourd’hui la tendance est à protéger, bien entendu, il ne faut pas que les gens montent ou touchent...
Et vous, comment avez-vous plongé dans l’archéologie ?
Petit, mon père se garait en 4L, je montais sur le Pont du Gard, on passait dans la conduite haute de l’aqueduc… Ce n'était pas bien de monter là-dessus et d’user les cailloux, n’empêche que c’est comme ça aussi que ça a marqué ma mémoire comme de beaucoup d'autres… Je m’étais dit que j’étais rentré dans un bâtiment romain ! Ça m’a appris beaucoup de choses et m’a donné un contact direct avec le patrimoine. Comme pour l’amphithéâtre de Nîmes, certes les toros ne font pas que du bien mais voir un spectacle dans un bâtiment romain, ce n'est pas rien !
Le Pont du Gard, d’accord, et la Via Domitia ?
Pas la Via Domitia car à Clermont-l’Hérault, où ma famille habitait, on était un peu plus au Nord. Mais il y a justement un diverticule qui remontait la vallée de l'Hérault. A Clermont, il y a un tènement qui s’appelle Peyre plantade, la pierre droite. C’était l’emplacement d’un milliaire et cela voulait dire que dans la toponymie actuelle, en Provençal ou en Languedocien, les gens avaient en tête présence de cette borne. Ce diverticule partait de la Via Domitia vers Cessero (Saint-Thibéry) et il filait vers Rodez et Millau via Lodève.
Les photos mettent en valeur un monument parfois vaporeux.
Moi, j’aurais fait des photos archéologiques qui écrasent les volumes. Jean-Claude Martinez, en plus du côté pédagogique, a un œil qui guide les gens pour leur faire comprendre que c’est peut-être de là, précisément, qu’on voit le mieux le monument. Il y a sans doute d’autres points de vue mais je trouve intéressant d’être guidé par quelqu’un qui a l’œil. Les gens ne se perdent pas, ils vont sur la même colline, prennent le même axe et ils voient ça ! Pas besoin de boussole ou de GPS, on suit son œil.
Vous ne craignez pas de mettre en péril les lieux ?
Je crois qu’il faut faire confiance aux usagers. Justement, les points de vue adoptés par l’œil du photographe sont bien pour évoquer cela. Un site, soit vous le cachez soit vous le montrez. Si vous le cachez quelqu’un est susceptible d’y faire du mal et personne ne le saura parce qu’il est caché. Plus vous le rendez public, plus il y aura une adhésion et les gens le trouveront intéressant et en parleront. Je pense que c’est le meilleur moyen de le protéger. Ça peut aussi aider les associations à faire respecter ce monument et leur donner des moyens pour l’entretenir... Même chez un vigneron dont elle traverse deux parcelles ça peut être une valeur ajoutée !
Se dire que depuis 2 000 ans des millions de personnes sont passées par là…
C’est touchant. Plus on marche, plus on laisse des traces. On cite un poème d’Antonio Machado que j’aime bien et qui dit que le chemin n’est pas ce qu’il y a devant soi mais les traces qu’on laisse derrière. La Via Domitia c’est aussi cela, la mémoire de toute la mémoire de tous les geste des personnes qui sont passés avant nous dans la région et qui ont laissé une trace qu’aujourd’hui encore marque dans le paysage. Faire connaître la Via Domitia, en être fier et encourager les gens à s’y intéresser, est le meilleur moyen de la préserver.
La Via Domitia fut la première voie verte autoroutière et on l’utilise encore par endroit.
Exactement Et on peut parler de mobilité douce, de vélo ou de marche. L’idée est, presque, qu’un jour elle devienne un peu comme le Chemin de Compostelle en France. Un atout économique pour la région ; un itinéraire populaire.
Vous encouragez une initiative régionale ?
Un label Via Domitia ne serait pas totalement sot ! je suis peut-être un peu trop dans l’archéologie mais j’ai l’impression que la Via Domitia, ça parle aux gens. Le "Temple de Diane" (probablement une bibliothèque antique) à Nîmes, n’est pas facile à comprendre pour les visiteurs et pourtant c’est l’un de mes monuments préférés... la via Domitia a ce côté populaire où tout le monde connaît sa fonction... et peut encore la faire vivre !
Livre à paraître le 25 octobre 2024 au format 22X24cm pour 132 pages, 98 images en noir et blanc. Imprimé en France, prix de vente en souscription à 24 euros (hors frais d’envoi (jusqu’au 24 octobre), prix de vente public à 28 euros. À commander ici.
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