Publié il y a 4 ans - Mise à jour le 05.06.2019 - anthony-maurin - 4 min  - vu 819 fois

FAIT DU JOUR Un sacerdoce divin et taurin

Jacques Teissier est l'aumônier des arènes de Nîmes. Avec la feria qui débute, la spiritualité a toute sa place dans les festivités à venir. Parcours d'un homme d'église pas comme les autres.
Sous les yeux de la famille entière, la pitchounette s'essaye à la tauromachie. Les conseil de Jacques Teissier, aumônier des arènes de Nîmes et aficionado practico lui seront précieux (Photo Archives Anthony Maurin)

La chapelle des arènes alésiennes, un lieu que fréquentent de nombreux toreros, un lieu que Jacques Teissier connaît bien (Photo Anthony Maurin).

L’aumônier s’occupe des toreros avant le paseo. Il les accueille dans l’intimité de la chapelle et la discrétion de leur religion. Ici, pas de chichi, du respect, un espace clos et des regards plus que des mots. Rencontre.

Il est Nîmois, de père Nîmois. Jacques Teissier a passé sa jeunesse à Nîmes avant de monter à la capitale puis de redescendre sur Alès. Ensuite ce sera« Villeneuve-lez-Avignon où j’ai été le curé pendant trois ans, confesse volontiers le prélat. Je m’embêtais un peu, alors j’ai écrit à l’évêque Cadilhac, qui était aficionado, et je suis devenu aumônier diocésain. Je devrais être à la retraite depuis quatre ans mais je me régale. C’est le lien avec la vie qui m’intéresse ! »

« Je ne suis pas un confident, je suis dans le rôle de quelqu’un qui pense au torero pour ce qu’il est, pas pour son image. Ce sont des hommes pour lesquels j’ai la plus grande admiration. Le plus mauvais des toreros est déjà un héros. Le public ne le voit pas assez mais c’est un exploit, un véritable dépassement de l’Homme », développe-t-il.

Jusqu’à ce que mort s’ensuive Jacques Teissier restera le pilier de la foi dans les arènes de Nîmes. Mais comment arrive-t-on à cet endroit quand on est un religieux ? Comment devient-on aumônier des arènes ?

« On commence par naître dans le milieu. Mes parents étaient des aficionados et j’ai toujours eu peur du toro, éclaire-t-il. Nous arrivions aux arènes deux heures avant le paseo. Je me rappelle ma première fois en 1947 ou 1948, j’avais sept ans. Je ne me souviens pas des toreros mais je me rappelle l’ambiance, le soleil. Il y a eu des toros et des hommes. »

Religieux et aficionado mais pas seulement...

Même à Paris Jacques Teissier essayait de garder le lien avec sa ville natale en passant au moins pour la feria de Pentecôte. « Quand j’étais à Villeneuve, on m’a dit qu’André Gauttier, qui avait 85 ans et qui avait créé la chapelle des arènes du temps d’Émile Jourdan et Ferdinand Aymé (respectivement maire de Nîmes et directeur des arènes, NDLR), ne pouvait plus continuer… Je n’ai pas eu le temps de me consulter qu’un "oui" est sorti de ma bouche ! »

Vous l’aurez compris, l’abbé Teissier est plus qu’un religieux, plus qu’un aficionado. « À la chapelle, ce n’est pas le temps des grandes conversations mais parfois cela peut arriver. Je me rappelle qu’Enrique Ponce, il y a deux ou trois ans, a toréé avec sa montera dans le vestibule de la chapelle pour me dire qu’il avait fait baisser la tête à une vache alors que personne n’y arrivait ! Ici, les gens peuvent être eux-mêmes. Une fois sortis, ils reprennent leur personnage. »

Si tous les Français du microcosme taurin savent que Jacques Teissier allie la foi à la pratique de l’art taurin, certains Espagnols comme Curro Romero le découvrent avec ferveur. D’ailleurs, cet immense maestro lui a donné une muleta qu’il utilise encore pour se mettre devant des vaches. « Son savoir s’est perdu en route », avoue humblement plein d'humour l’aumônier en évoquant la muleta.

Jacques Teissier mêle les deux et, toréant de temps à autres pour le plaisir, il connaît les heurs et malheurs du métier. Depuis 1988 qu’il exerce la fonction, il a vu passer tous les toreros, humbles comme importants de la planète taurine. « On s’interdit un peu d’affect sinon les corridas seraient trop dures à suivre. On espère que les toreros ne se feront pas prendre mais, par exemple, je connais El Juli depuis ses onze ans. C’est difficile de faire abstraction de certaines choses. »

Seuls celles et ceux qui se sont essayés à la tauromachie, à quelque niveau que ce soit, peuvent comprendre le rôle que joue l’aumônier auprès des toreros. « Ils sont dans un tel état de stress… Ils risquent leur vie, leur honneur et leur carrière. La peur est énorme. Ils sont dépourvus, mis à nu. C'est commun à tous les toreros mais tout est dans la subtilité. Castella est toujours dans sa bulle, très concentré, et il dit clairement qu’il a peur et ne regarde jamais sa photo. Les toreros doivent s’appuyer sur autre chose qu’eux-mêmes. Croyant ou pas, superstitieux ou pas, ils ont besoin de plus qu’eux. C’est ce qui me rend le métier passionnant. Je rencontre l’homme. »

Le 9e « Livre d'or »

À sa connaissance, un seul impair. Une bêtise, un oubli, une contrariété que Jacques Teissier remâche encore amèrement. Pedro Castillo, un torero discret et peu connu, a triomphé à Nîmes. Triomphe un poil surfait pour l’aumônier qui l’a vécu comme un aficionado et qui n’a pas mis à l’honneur Castillo en photo. Ce dernier est revenu. Il a remarqué son absence et s’en est attristé auprès de Jacques Teissier qui s’est senti bête mais qui depuis s’est confessé.

En parlant de souvenirs, le livre d’or des arènes en est à sa 9e édition. Premier à signer, le Nîmois et ami Denis Loré qui toréait après un certain Luis Francisco Espla mais qui est passé en premier pour signer le grand ouvrage. Espla a quant à lui laissé le plus beau témoignage qu’on puisse écrire dans une chapelle : « Ici se dispersent les peurs. Nous crions la solitude comme des naufragés dans la terreur. Chacun de nous ne peut compter que sur lui. Merci à Dieu, il veille sur nous. »

Pour l’aumônier, « On voit de belles écritures mais aussi celles d’enfants. Ici, tous se révèlent et tous jouent le jeu. Ils signent lors de leur présentation dans nos arènes, lors d’un passage de catégorie ou d’un événement important dans leur carrière. »

Des anecdotes, Jacques Teissier en a plein la soutane qu’il ne porte pas. De Curro Romero et sa traditionnelle envie d’alcool ambré pour se désinhiber, il a gardé le saint Graal pour l’offrir à quelque aficionado qui a communié avec et qui conserve religieusement le saint gobelet. « Tant que je le peux je serai là. Tant que je marche et que je ne suis pas gaga… Mais il faudra que je pense à la personne qui prendra la suite. Il faut faire les choses bien. Prendre la bonne personne pour les bonnes raisons. J’y pense... »

Nous vous conseillons vivement de lire le petit livre plein de sens de Jacques Teissier paru aux éditions du Diable Vauvert, « La corrida, effraction salutaire ».

Anthony Maurin

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