FAIT DU JOUR Pierre Gagnaire, une star chez les canards

Il n'aime pas le mot star mais quand on a autant d'étoiles au Michelin, on en est forcément une. Il est 14h, le service du midi va s’achever, et nous devons passer l’après-midi en compagnie de Nicolas Fontaine, chef de la brasserie de l’Imperator et Pierre Gagnaire, le chef qui signe la carte du Duende.
Pierre Gagnaire jongle avec les goûts comme un torero esquive les toros. Calme, réservé et sérieux, le maestro des fourneaux est pourtant un volcan d'idées, une bête de travail qui a la précision d'un horloger suisse mais qui sait aussi jouer avec les saveurs et les textures de nos produits locaux comme un gamin s'amuse de ses châteaux de sable près de l'eau.
Las Vegas, Tokyo, Hong Kong, Londres, Dubaï, Da Nang, Seoul, Shanghai, Paris évidemment... Et Nîmes ! Durant quelques somptueuses heures, Objectif Gard a pu vivre la vie du nouvel empereur de la cité des Antonin. La voici, sans additif ni conservateur et sans édulcorant bien entendu.
Cela fait plus de quarante ans qu'il régale les papilles de ses convives. Quarante années qu'il voue un travail de romain à la découverte des somptueux accords qui enchantent les dégustateurs les plus exigeants.
De l’exception à l’exceptionnel
Au Duende, la pêche vient du Grau-du-Roi, les escargots de la Vaunage et le riz de Camargue. À cela va très probablement s’ajouter un nouveau produit lié au riz, le canard des rizières de Bernard Poujol, un sacré personnage, comme Pierre Gagnaire.
" On parlait des poissons du Grau mais il y a des dizaines d’autres choses tout aussi intéressantes à cuisiner car elles sont locales. Nous allons aller voir un éleveur de canards et j’aimerais les mettre à la carte tout en sachant que nous avons déjà le riz de cet agriculteur dans nos assiettes, explique le chef au multiples étoiles. Nous devons être influencés par les produits d’un terroir pour cuisiner et dans le Gard il y a de quoi faire ! Nous voulons travailler avec le territoire car nous connaissons le produit et nous pouvons le valoriser. J’applique cette idée dans toutes mes cuisines. "
C’est une rencontre atypique qui nous attend. En voiture avec les deux chefs sur les routes de Camargue du côté de Saint-Gilles pour découvrir un personnage qui vaut le détour. Pierre Gagnaire poursuit : " Je veux qu’il y ait un vrai lien entre la terre et la table. Une authenticité. Et je veux confronter les gens à cette authenticité, à une perte de repères. "
Bernard et ses canards
Pour l’heure, les repères tomberont car Bernard Poujol, père de l’ancien raseteur Hadrien, s’est lancé dans la riziculture après avoir trempé dans l’agriculture quasi industrielle. Écœuré par ce monde, il a voulu revenir à la base de tout, la nature et sa simplicité.
" On peut vivre avec de l’eau, du miel et une figue ! Je donne du sens à mon métier, il y a une certaine spiritualité dans tout cela et la vie au quotidien prend une tout autre dimension. Avec Mathieu (Lacan), le jeune qui prend la relève, nous transmettons des valeurs et nous adorons les rencontres humaines comme celle d’aujourd’hui. " Voilà un point commun entre Bernard Poujol et Pierre Gagnaire, la transmission et l’amour de l’humain. Bernard transmet son savoir à Mathieu et Nicolas, avant d’être lancé seul à l’Impé a travaillé pendant 15 ans au côté du chef à Paris.
" Je me construits un univers mental, ma maison, c’est mon corps. J’ai dû imposer ma bulle qui n’était pas encore dans l’air du temps. J’ai le respect des gens et des produits, j’ai la chance d’avoir ce lieu avec des gens comme le chef Gagnaire qui fait de mes produits quelque chose d’unique dans leurs assiettes ", assure Bernard Poujol.
Et l'agriculteur de poursuivre : " J’ai acheté ces terres il y a une quinzaine d’années. Je voulais faire du riz bio et durable. C’était une intuition. J’ai acheté des brebis avec la laine desquelles j’ai isolé ma maison en bois, puis j'ai pris des vaches. " L'idée du jour lui est venue après le voyage d'un de ses fils au Japon qui avait alors observé des canards servant à désherber les rizières.
1 200 canetons qu’il met sur une vingtaine d’hectares afin de les faire entretenir les lieux où pousse le riz et quelques mois plus tard, l'osmose est née et les mauvaises herbes ne sont plus qu'un mauvais souvenir. " Il y a une mémoire méditerranéenne dans le riz... Dans les ailes du canard se cache la liberté ! ", ajoute Bernard Poujol. Ces canards sont en réalité que des cannes et sont infécondes. Leur comportement grégaire et leur envie d’espace convient parfaitement au lieu.
C’est maintenant qu’une nouvelle filière s’ouvre à elles, la cuisine du chef. " La nourriture, c’est autre chose que de la bouffe. L’essentiel est de créer de l’émotion, du partage et de la richesse. Nous sommes tous les éléments d’une chaîne, les membres d’une famille. Quand on rencontre des gens comme ça, on a un réel bonheur à travailler leurs produits ", brosse Pierre Gagnaire.
Un blé nîmois qui traverse le temps
Saviez-vous que, du temps des Romains ou un peu après, Nîmes avait son blé des garrigues ? La Touselle de Nîmes comme on l’appelle. Bernard en a planté et a récolté un grain qui promet et dont nous reparlerons prochainement. " On fait vivre un patrimoine génétique oublié. " Mais revenons non pas aux cochons dans le maïs mais aux canards dans le riz. " Il nous faut tenter le canard et le riz ensemble ! Pas sous la forme d’un concept mais bel et bien d’un plat ", s’enthousiasme le chef Gagnaire, poussé par Nicolas Fontaine qui a tenu à l’emmener voir cet éleveur agriculteur pas comme les autres.
La gestion de l’image est devenue d’une rare importance au XXIe siècle. Un grand chef - rappelons qu’il a été élu par ses pairs meilleurs chef du monde en 2015 - comme Pierre Gagnaire doit y être attentif plus que d’autres. Mais quand il s'agit de parler vrai, pas besoin de filtre, Gagnaire est une star qui sait aussi vivre parmi les canards.