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Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 19.10.2020 - abdel-samari - 3 min  - vu 971 fois

ÉDITORIAL Trouver des mots pour dire l’horreur

Photo via MaxPPP - EPA

Pour la première fois et parce qu'un professeur, Samuel Paty, a été assassiné vendredi pour avoir montré des caricatures de Mahomet dans une de ses classes, j'ai décidé de confier l'éditorial de ce matin à un professeur d'histoire-géographie de Nîmes. Cet enseignant s'appelle Vincent Bouget. Il n'est pas question ici de faire de politique, mais de lire les mots meurtris d'un autre professeur d'histoire-géographie. Touché en plein coeur, comme tous ses collègues, comme la France, comme nous, comme vous. Merci à lui d'avoir accepté l'exercice si difficile en pareilles circonstances.

Abdel Samari, directeur du journal

Trouver des mots pour dire l’horreur, sortir de la sidération, après l’assassinat de mon collègue Samuel Paty, tué par un fanatique islamiste parce qu’il faisait son métier de prof d’histoire-géographie. Trouver des mots justes pour dire la brutalité de la réalité, en évitant les phrases creuses, les postures, les simplifications, les amalgames. Trouver des mots pour mesurer la portée d’un crime, en comprendre le sens, l’origine.

C’est sans doute ce que j’aurais eu à faire aujourd’hui si nous n’étions pas en vacances et si j’avais accueilli comme tous les lundis mes élèves de 1ères et de terminale. Cela aurait été difficile, mais j’aurais préféré le faire. Sans ignorer ses limites, l’École est encore aujourd’hui le lieu principal d’apprentissage de l’élaboration d’une pensée complexe. En tout cas elle devrait l’être. Les enseignants ont choisi, malgré les difficultés, les pressions, de faire confiance en l’homme pour permettre l’éclosion de l’intelligence de chacun.

Au-delà de la simple accumulation des connaissances, les profs d’histoire-géo ont choisi de permettre aux élèves de construire, autant que faire se peut, leur libre-arbitre. La connaissance du passé, et du monde qui nous entoure permet de comprendre le monde dans lequel nous vivons, de le réaliser, de le relativiser. L’enseignement de l’histoire et de la géographie contribue à forger l’esprit critique, tout en favorisant la prise de conscience que nous faisons société. Il apprend la tolérance. Il favorise le respect de l’autre et l’engagement de chacun dans la société.

Samuel Paty est mort d’avoir fait cela. C’est insupportable. Quand l’école est attaquée, quand les enseignants sont empêchés de faire leur travail, c’est l’ensemble de notre société qui est touchée. Et les valeurs républicaines ne restent alors, comme souvent, qu’une lointaine promesse. Aujourd’hui, l’émotion nous saisit tous et, avec elle, la colère, la peur parfois. Mais elle ne peut nous paralyser, ni pour agir, ni pour penser.

Dans un monde où se multiplient les violences, où les fractures se creusent, où l’horizon commun apparait si obscurci, la réflexion, l’esprit critique, la raison sont sans doute nos armes les meilleures.  Dans une période où l’instantané règne en maître, où les « réseaux sociaux » sont devenus la source principale d’information d’un grand nombre d’entre nous, trouver des mots justes pour dire tout cela est devenu un défi presque insensé.

C’est pourtant celui que nous, enseignants, comme d’autres sans doute, essaierons de relever, malgré tout. Nous le ferons en construisant la réflexion, pas à pas, sur le temps long. Nous le ferons avec nos élèves, aux parcours et aux personnalités si divers, qui vivent eux-aussi les violences de notre monde. Trouver des mots aujourd’hui donc, non pas pour enfermer, exciter les passions et les haines, mais pour rendre hommage et inviter à penser. Cet édito, même s’il est plus long qu’un tweet, ne veut faire que cela.

Vincent Bouget, professeur d’histoire-géographie

Abdel Samari

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