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Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 21.01.2021 - thierry-allard - 8 min  - vu 5335 fois

FAIT DU JOUR Les quartiers du Gard ont la parole

Saïd Afenich, le président du comité de quartier Nîmes Pissevin (Photo Stéphanie Marin / Objectif Gard)

Qu’on les appelle banlieues, quartiers sensibles ou encore très officiellement quartiers prioritaires de la "Politique de la ville", ces quartiers n’en sont pas moins des lieux de vie.

Des lieux de vie trop souvent résumés à la rubrique faits divers, parfois dramatiques, comme encore récemment à Nîmes. Or, de nombreuses actions y sont menées, des initiatives y naissent, des gens s’y bougent et se battent pour améliorer le quotidien des 18 quartiers prioritaires que compte notre département. À Nîmes, Alès, Bagnols/Cèze, Beaucaire, Vauvert, Pont-Saint-Esprit ou encore Uzès, nous leur avons donné la parole.

« Pour moi Pissevin est un quartier familial, un quartier historique où tout le monde se connaît, où il fait bon vivre malgré les événements qui s’y sont déroulés et qui certes peuvent inquiéter certains habitants », affirme Saïd Afenich, président du comité de quartier de Pissevin, à Nîmes. S’il ne nie pas les problèmes qui frappent le quartier, Saïd Afenich exprime la volonté de ses habitants, et elle n’a rien d’extraordinaire : « Des moments de quiétude, de l’apaisement. » Comme dans les autres quartiers, en somme.

Pour y parvenir, il ne ménage pas ses efforts : « Chaque mois, on organise des réunions sur les différentes places du quartier avec des élus, des services de la Ville, avec des syndics de copropriété et les habitants, explique-t-il. On fait en sorte de faire remonter les problématiques du terrain. Tout ce qui impacte le confort de vie et le bon vivre ensemble. » Car pour lui, « le bien vivre ensemble, c’est avant tout le respect commun des règles élémentaires du civisme. Mais aussi les liens sociaux. Faire en sorte que les gens se connaissent, se parlent, ne se replient pas sur eux-mêmes. »

C’est un aspect fondamental,aussi dans des quartiers plus petits comme les Amandiers à Uzès, un quartier qui fait aussi partie de la "Politique de la ville". Ici, un café social, Amande & Co, a été créé en 2017 par la communauté de communes du Pays d’Uzès sur la place centrale. « On s’y réunit beaucoup, c’est un lieu incontournable pour beaucoup d’habitants, explique la responsable du café Aline Da Silva, enfant du quartier. Le petit café est une excuse. Là ça fait des mois qu’on n’a plus de café, mais les gens viennent quand même. Certains habitaient sur le même palier depuis 20 ans mais ne se connaissaient pas. »

À Bagnols aussi, où les quartiers des Escanaux, de la Coronelle et de Vigan-Braquet sont inclus dans la "Politique de la ville", soit un quart des habitants de la ville, le centre social Mosaïque en Cèze mène différentes actions pour tisser du lien social. « On pilote deux événements annuels : une fête sur les Escanaux qui aura lieu le 9 juillet et "1, 2, 3... printemps" le 29 mai à Vigan Braquet, avec les habitants et nos partenaires, présente l’animateur référent, Cédric Kruger. On travaille aussi avec les habitants rue de Feltre sur les pieds d'immeubles, sous la forme de micro-chantiers. Par exemple, remettre en place des espaces verts. L'objectif c'est de faire participer les habitants, que ça parte d'eux aussi. De faire du lien. Rue de Feltre, ils organisent déjà des repas collectifs au pied d'immeuble. C'est assez dynamique. »

Le centre social bagnolais se veut à l’écoute des habitants. « Avec l'association, nous organisons des salons de quartier itinérants. Sur certains créneaux, on discute avec les habitants pour connaître leurs besoins », présente Cédric Kruger. Des moments importants pour les habitants, comme pour la mairie : « Nous, on ne travaille pas à la résolution mais on fait le lien avec les bailleurs, en mobilisant les habitants. On a eu aussi des retours sur les travaux aux Escanaux, des bons comme de plus réservés. »

La présidente de la Pléiade, au Mas de Mingue, Soukaïna Benjaafar et la directrice Anne Serre (Photo : Coralie Mollaret / Objectif Gard)

Parmi les associations implantées dans les quartiers, on retrouve également la Pléiade, qui existe depuis 1996 au Mas de Mingue, à Nîmes. Présidée par Soukaïna Benjaafar, elle accompagne 500 familles et reçoit 3 000 personnes par an. Cet accompagnement passe par l’aide à la constitution des dossiers de retraite, de naturalisation mais aussi dans le traitement des problématiques liées au logement et à la parentalité.

« Il y a de la solidarité, de l’entraide, de la bienveillance, ça ne se perd pas »

Reste que la crise sanitaire a mis un coup de frein à bon nombre d’actions. « Notre objectif actuel est de maintenir un contact avec les populations malgré la suspension de nombreuses de nos activités en raison de la fermeture des salles sportives », explique le directeur du centre social Rives, à Vauvert, Eric Krzywda. « On ne peut plus se réunir comme avant, on est limité au niveau des actions, reconnaît Saïd Afenich, à Pissevin. On pense que certains vont se sentir abandonnés, encore plus qu’avant, donc notre but, c’est de maintenir ces actions de la "Politique de la ville", d’améliorer le quotidien des habitants et d’être présents. »

« Notre fonctionnement est un peu mis à mal par rapport à la crise sanitaire, alors on essaie de s’adapter en fonction de la réglementation », note Sofyan Carletta, un des fondateurs de l’association Booster, à Beaucaire. L’association a réussi à maintenir des actions, notamment auprès des jeunes comme l’accompagnement éducatif, le sport ou encore les visites de musées numériques. En revanche, « les actions menées en direction des seniors sont un peu mises entre parenthèses en ce moment parce que ce sont des personnes vulnérables. Mais ils ont ce besoin d’accompagnement », poursuit-il. L’association a lancé notamment une opération de "paniers solidaires" avec ses partenaires.

Idem à Pont-Saint-Esprit, où c’est le centre ancien qui fait partie de la "Politique de la ville" : « Même pendant le confinement, des associations ont continué, comme Logis du soleil, qui vient d’ouvrir une table solidaire et apporte des repas aux personnes du quartier, présente Gérôme Bouvier, chargé de mission politique de la ville à la mairie de Pont-Saint-Esprit. Elle a été récompensée par les services de l’État, qui lui ont accordé une subvention de 10 000 euros. » Alors confinement ou pas, « Il y a de la solidarité, de l’entraide, de la bienveillance, ça ne se perd pas. »

L’humain est au coeur des actions, toujours, comme à Beaucaire. « Ce que nous essayons de faire, c’est de créer une sorte de communauté, pose Sofyan Carletta. Nous avons été labellisés "Fabrique de territoires". Nous sommes considérés comme un tiers-lieu, un endroit de partage de publics, de compétences, de savoir-faire, de réseaux aussi. L’objectif est de partager son temps, ses connaissances, son répertoire pour essayer de créer une émulation où les gens s’entraident pour pouvoir développer soit individuellement, soit économiquement, soit professionnellement, dans le sens large du terme. »

L'association le Booster, à Beaucaire (DR)

À Alès, l’association Raïa, basée dans le quartier des Près Saint-Jean, est elle aussi impactée par la situation sanitaire. Ce qui ne l’empêche pas de mener des actions : « Je me souviens que le lendemain où le Président a annoncé le tout premier confinement, on a distribué des attestations de déplacement dans toutes les boîtes aux lettres du quartier pour rassurer les gens », rejoue son président, Fouad Boumarcid.

Redoubler de créativité

Un confinement durant lequel les mamans du quartier, par le prisme de l’association, contactée par le conseil départemental dans le cadre de l’opération « Couturières solidaires », ont fabriqué plus de 1 700 masques, aussitôt distribués gratuitement. Ce vendredi, en partenariat avec le service d'accueil de jour des exclus (Saje), la médiatrice de l’association, Salima Attia, va distribuer des dizaines de cache-cou, des bonnets et des gants aux sans-abris de la ville d’Alès pour les aider à surmonter la rudesse de l’hiver.

L’adaptation, pour ne pas perdre le lien social difficilement tissé. À Uzès, Aline Da Silva souffle en évoquant les différentes activités suspendues pour cause de covid, ou dans les starting-blocks dès que la situation le permettra. Pour autant, « en ce moment l’Ufolep 30 vient le lundi pour proposer de la marche pendant deux heures, et une fois par semaine on fait le "restaurant d’un jour". On cuisine quarante repas en drive à 5 euros entrée plat dessert. Nous avons commencé le 12 novembre, et nous en sommes à 266 repas », avance-t-elle, en précisant que souvent, celles et ceux qui viennent chercher leur repas en profitent pour rester un peu papoter. Et sachez-le, ce jeudi, c’est lasagnes au menu.

Bref, en cette période plus que jamais, il faut être créatif pour trouver des actions utiles aux habitants. Car dans le social aussi, on innove : depuis peu, l’association alésienne Raïa propose à tous les jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville d’Alès, à condition qu’ils soient âgés d’au moins 17 ans, une préparation aux tests de recrutement des pompiers volontaires. « Nous sommes les premiers de l’Hexagone à le faire et beaucoup de villes veulent nous emboîter le pas », assure Fouad Boumarcid. Certaines, comme Bagnols, Pont-Saint-Esprit et Uzès, l’ont d’ailleurs fait. Aline Da Silva était d’ailleurs avec trois jeunes uzétiens en plein tests physiques à Bagnols hier après-midi.

« Les gens sont ressortis du confinement plus abîmés »

« On imprime même les devoirs envoyés sur Pronote par les professeurs aux élèves qui n’ont pas d’ordinateur à la maison ou pas d’imprimante. Ils viennent en voiture avec leurs parents au pied des locaux de l’association et on leur fait passer par la fenêtre, comme un système de drive », se marre la médiatrice de Raïa.

Idriss Coste, directeur du centre de loisirs, et Fouad Boumarcid, directeur de l'association Raia, œuvrent main dans la main pour la jeunesse du quartier des Près Saint-Jean à Alès. (Photo Corentin Migoule)

Pour autant, la réalité  de ces quartiers est difficile, et la crise sanitaire n’a rien arrangé, bien au contraire. À Vauvert par exemple, si aujourd’hui « le contexte est plus calme » qu’il y a vingt ans à la fondation du centre social, d’après son directeur, « ce que l’on observe surtout, c’est une recrudescence des addictions : à l’alcool, à la nourriture ou à la drogue. Les gens sont ressortis du confinement plus abîmés qu’ils ne l’étaient auparavant. »

Idem à Pissevin : « On sait que dans les quartiers défavorisés, les personnes sont parfois dans des situations de très grande précarité, pose Saïd Afenich. Notre volonté, notre travail, c’est d’être davantage présents et notamment lorsqu’il y aura cette fameuse crise sociale qui découlera de cette crise sanitaire. » Dans un quartier nettement plus petit, et malgré le fait qu’il soit « à taille humaine », « là, il y a un sentiment d’isolement, affirme Gérôme Bouvier, à Pont-Saint-Esprit. Il y avait certaines actions comme la Journée de la fraternité, un moment important pour le quartier, qui n’a pas pu avoir lieu en 2020. »

La crise sanitaire « a accentué ce phénomène de prolifération de la délinquance et de la criminalité dans les quartiers », affirme Saïd Afenich. Un problème antérieur au covid, notamment dans les quartiers de Nîmes, que reconnaît Soukaïna Benjaafar, au Mas de Mingue. « C’est vrai qu’il y a un problème de violence, mais s’il faut plus de policiers, ce ne sont pas eux qui peuvent répondre à la misère sociale dans ces quartiers. Quand tu as un logement qui n’est pas en bon état, que tu grandis dans un environnement pas très sain, tu vas chercher du réconfort ailleurs… Et forcément la rue t’accueille à bras ouvert. »

« Notre choix, c’est de miser sur l’enfance et la jeunesse parce qu’un enfant qui grandit dans un quartier défavorisé peut rapidement être détourné et prendre un mauvais chemin et c’est là que le rôle des associations est primordial », affirme Saïd Afenich, à Pissevin, lequel anticipe déjà la crise sociale après la sanitaire. « Il va falloir être solidaires et redoubler d’effort sur le terrain », lance-t-il.  Et parce que les quartiers sont aussi faits de béton, il attend désormais que la rénovation urbaine fasse son office à Pissevin : « C’est le début d’une transformation en profondeur du quartier. C’est attendu depuis trente ans. »

Coralie Mollaret (à Nîmes), Stéphanie Marin (à Nîmes et Beaucaire), Corentin Migoule (à Alès), Marie Meunier (à Bagnols), Boris Boutet (à Vauvert) et Thierry Allard (à Pont-Saint-Esprit et Uzès)

Thierry Allard

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