Publié il y a 1 an - Mise à jour le 29.06.2022 - abdel-samari - 4 min  - vu 3275 fois

LE 7H50 Camille Courcy, journaliste-reporter d'images chez le média Brut : "À Pissevin, la jeunesse crée son propre tourbillon culturel"

Camille Courcy, la journaliste de Brut avec quelques protagonistes de son reportage à Nîmes, au quartier de Pissevin Photo DR

La journaliste et réalisatrice de documentaire Camille Courcy s'est intéressée pour le média Brut au quartier populaire de Pissevin à Nîmes à la fin du mois de mai où elle est venue passer une dizaine de jours en immersion. Son reportage fait beaucoup parler depuis. Elle a répondu aux questions de notre rédaction pour présenter son travail et nous en dire plus sur son expérience nîmoise. Interview.

Objectif Gard : Pourquoi avez-vous choisi le quartier de Pissevin à Nîmes ?

Camille Courcy : Ma réponse va vous surprendre car en réalité c'est un choix spontané. Je consulte régulièrement les commentaires en bas de mes reportages sur les réseaux sociaux en particulier. Et j'ai été interpellé sur celui des quartiers Nord de Marseille par les messages d'habitants de Pissevin qui m'ont encouragé à venir les voir. Chez Brut, on s'est dit, on est trop centré sur Paris. Il faut aller dans les régions. Et quand j'ai cherché des informations plus précises sur ce quartier de Nîmes, j'ai remarqué qu'il était immense en superficie. Cela m'a intrigué et puis, je voulais me faire mon propre avis sur tout ce que j'avais pu lire sur Pissevin.

Comment se sont déroulés les premiers jours de tournage ?

Aussi simplement que possible. J'aime bien me balader, discuter avec les anciens, aller au marché du quartier. Je me suis donc présentée partout, j'ai expliqué ma démarche, mon projet de reportage. Et je me suis laissé embarquer au feeling. Puis très vite, on m'a suggéré de rencontrer Wils, la petite star locale...

Qu'est-ce qui vous a interpellée le plus pendant le reportage ? 

Ce qui m'a le plus frappée, c'est l'absence de tout évènement, tout projet dans ce quartier. Les plus anciens le racontent avec nostalgie. Avant, il y avait du cinéma, des soirées dansantes, des concerts. Aujourd'hui, il n'y a plus grand chose. Il y a un manque culturel sur place alors la jeunesse crée son propre tourbillon culturel. On ressent une forte énergie, une envie d'association, de tournages de clips... J'ai adoré cette philosophie : on n'a rien, alors on crée par nous-même.

Ce qui étonne également dans votre reportage, ce sont les propos de ces jeunes qui disent clairement qu'ils ont peur de sortir du quartier...

C'est très curieux d'autant que les transports passent toutes les 15 minutes, il y a donc suffisamment de moyen pour accéder au centre-ville rapidement. Mais ces jeunes ont en effet peur. Après, probablement comme beaucoup de villes de France, il y a une volonté de la municipalité d'avoir un cœur de ville tranquille pour les touristes. J'ai l'impression qu'ils ne se sentent donc pas à leur place. Peut-être une forme de timidité aussi. Le quartier est le lieu commun. On se connaît, on traîne ensemble, on a les mêmes habitudes. Probablement aussi que ce quartier comme la Zup Nord bénéficiait avant d'une population plus mélangée. Aujourd'hui, il y a de moins en moins de mixité sociale, y a une volonté de ne plus se mélanger. Personne ne veut sortir de sa zone de confort.

Vous avez ressentit aussi la misère sociale ?

Financière oui mais sociale absolument pas. Il y a de la transmission sociale, une volonté d'aller de l'avant. J'ai rencontré des jeunes dont les parents sont musiciens, qui sont dans une démarche créative. Qui veulent s'en sortir par la musique. Mais aussi par le sport. C'est un peu cliché de le dire mais c'est vrai. Et c'est très précieux à mon sens.

Les quartiers populaires de Nîmes souffrent de la pauvreté mais aussi du trafic de drogue. Vous avez passé plusieurs jours sur place. Vous l'avez constaté ?

C'est difficile de faire abstraction en effet. Mais j'ai vu que la plupart des habitants rejettent cet état de fait. Ils regrettent d'ailleurs que la police, la Ville ne prennent pas le sujet à bras le corps. Pour eux, c'est devenu ingérable, insupportable. Ils sont démunis. Les jeunes font du rap pour ne pas sombrer. Ils s'évadent. Et espèrent s'en sortir, gagner de l'argent grâce à la musique. Soyons lucide, le seul boulot qu'on leur propose aujourd'hui c'est de travailler dans un snack ou en intérim dans des entreprises de logistique. L'identification passe aujourd'hui par le rap et le foot. Il n'y a pas de représentation culturelle autre que cela.

Et de considération ?

Indéniablement. Ils m'ont dit que la télévision ne s'intéressait jamais à eux sauf au moment où il y avait des drames. Pareil pour les pouvoirs publics. Ils ont le sentiment de ne pas arriver à se parler avec les décideurs. Ils ont monté des studios d'enregistrement de la débrouille comme ils disent mais n'ont jamais appris à faire les démarches pour se faire aider. Il y a une forme d'incompréhension perpétuelle. Trois mondes les séparent. Et même les élections n'ont pour eux aucun impact, cela ne changera rien à leur quotidien. Le seul indicateur positif est vis-à-vis de l'école républicaine. Il y a un véritable respect, une vraie prise en compte de la capacité d'ascenseur social offert par l'institution nationale. Un rôle important, essentiel, vital de l'école qui a une place à part.

Qu'est-ce que vous garderez de cette expérience ? 

L'accueil chaleureux. De tout le monde. La gentillesse, l'enthousiasme de voir que l'on s'intéresse un peu à eux. Que l'on veut montrer cette réalité sous un autre jour. Avec davantage de bienveillance.

Propos recueillis par Abdel Samari

Voir ou revoir le reportage de Camille Courcy à Pissevin : 

Abdel Samari

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