Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 10.12.2021 - coralie-mollaret - 5 min  - vu 1662 fois

FAIT DU JOUR De la Côte d'Ivoire à Nîmes, l’incroyable épopée de Mamadou

Mamadou, l'apprenti de Charly (Photo : Coralie Mollaret)

Né en Côte d’Ivoire, Mamadou Savane a risqué sa vie à plusieurs reprises pour arriver à Nîmes. Entre les rues mortifères de Libye et la périlleuse traversée de la Méditerranée, son parcours permet d'avoir un autre regard sur l’immigration. Récit. 

L’immigration, il y a ceux qui en parlent. Et il y a ceux qui la vivent. Place aux Herbes, à Nîmes, la chocolaterie La Tabletterie accueille un jeune apprenti au parcours étonnant. Incroyable même. Originaire du sud de la Côte d’Ivoire, Mamadou n’a que 14 ans lorsque son oncle l’amène au Burkina Faso : « Mon oncle est chauffeur. J’avais l’habitude de partir avec lui à Ouagadougou (la capitale du Burkina Faso, ndlr) pour accompagner des voyageurs. » Sauf qu’un beau jour, Mamadou ne fait pas le trajet retour : « Arrivé au Burkina, mon oncle a vendu son véhicule pour l’on prenne le car direction le Niger. » Mamadou réalise-t-il ce qu'il se passe ?

L'adolescent devient migrant, embarqué malgré lui dans un voyage qui doit le conduire, dans le meilleur des cas, en Europe : « Mes parents n’étaient au courant de rien. Ils avaient l’habitude que l’on parte plusieurs semaines avec mon oncle. » Comme lui, beaucoup de jeunes fantasment le Vieux continent. Un symbole de richesse, de réussite, d’un avenir tout simplement. Mamadou a deux frères et une sœur. Leur mère « fabrique des produits de vaisselle à la maison » et leur père, après le braquage de sa bijouterie, « travaille dans une ferraillerie. J'ai eu un accident de voiture avec plusieurs fractures. Mais impossible de me faire soigner correctement. Quand tu n'as pas d'argent en Côte d'Ivoire, tu n'as rien ! »

La Libye et ses marchands de misère

L'autocar conduit Mamadou et son oncle à Agadez au Niger. La porte du désert qui est aujourd’hui celle de l’exil. Les semaines passent. Les deux Ivoiriens finissent par trouver un pick-up pour traverser le désert direction Sabha en Libye : « On était une trentaine, des Africains issus d’autres pays comme des Nigériennes qui partent se prostituer. » Après avoir passé la frontière libyenne, « la police nous a repérés. Le chauffeur s’est mis à foncer. Il nous a déposés dans une cour clôturée avant de repartir ». À l’intérieur, un conteneur : « Je me suis approché et j’ai vu un autre Africain. Comme moi, il était musulman. On a réussi à parler. Il m’a dit que nous avions été vendus ! »  

Depuis la chute du dictateur Kadhafi, la Libye est instable. « Là-bas, tout le monde est armé. Même les enfants de 10 ans ont des kalachnikov. Quand ils voient un noir dans la rue, ils l’attrapent et appellent sa famille pour demander une rançon. » Avec les autres migrants et son oncle, Mamadou se retrouve enfermé dans le conteneur : « C’était horrible. On était les uns sur les autres. Il y en a un qui dormait sur mon pied. On avait un bidon ouvert de 20 litres pour faire pipi. Imaginez l’odeur ! » Après maintes discussions, les migrants appellent leur passeur : « Il était aussi Ivoirien. Le chauffeur a fini par nous conduire à lui. » 

Quelques semaines plus tard, il quitte enfin cette prison de fortune. « On est partis pour Tripoli (capitale de la Libye, Ndlr). Normalement, on met deux heures, mais on est passés par le désert pour éviter de se faire attraper : on a mis cinq jours ! » C’est à ce moment-là de son "voyage" que Mamadou est séparé de son oncle, « monté dans une autre voiture ». Sur le trajet, nouvelle épreuve... « Les flics nous ont arrêtés. On nous a jetés en prison avec les autres migrants. Ils ont appelé mes parents pour qu’ils paient une rançon. Choqués, mes parents l'ont fait ». Relâché, Mamadou et les autres se font de nouveau arrêter lorsqu’ils tentent d’atteindre la plage pour traverser la Méditerranée. 

La traversée de la Méditerranée 

À nouveau emprisonné, l'horreur recommence. « On nous chicottait (donner des coups de fouets, ndlr) pour nous réveiller le matin ». Les migrants tentent le tout pour le tout en brisant une vitre de la prison pour s’échapper : « On s’est cachés dans un caniveau. J’avais de l’eau jusqu’aux épaules. » Ils rappellent leur passeur : « On s’est rendus dans une boutique. On a eu de la chance, le commerçant était sympa. On avait peur d’être kidnappés. » Récupérés, ils sont conduits à la plage pour la traversée. Cette fois, c’est la bonne : « On était une centaine, tous entassés sur un zodiaque. Moi, j’étais au milieu. » Avant de partir, « le passeur nous a dit qu’il fallait traverser l’eau claire de Libye avant d’arriver sur la haute mer de Tunisie et puis sur l’eau bleu internationale. »

Ces nuances de Méditerranée deviennent les graduations de sa liberté. Puis vint le rouge, « celui de la Croix-Rouge italienne qui nous ramenés à Lampedusa ». Sur le sol italien, Mamadou rappelle sa mère : « Elle s’est mise à crier de joie. » Pris en charge par les associations, Mamadou préfère venir en France : « Le français est ma langue maternelle. J’ai économisé l’argent que l’on m’a donné. Je suis venu à Marseille puis j'ai pris un autre train direction Paris. C’est à Nîmes que l’on m’a contrôlé. Je n’avais pas de billet et je suis descendu. » Sur l'Esplanade, Mamadou rencontre d’autres migrants et intègre le réseau associatif qui leur vient en aide. 

Mamadou est alors âgé de 16 ans. Voilà plus d'un an qu'il a quitté son pays. Les bénévoles, et notamment une certaine Karima, le mettent en relation avec Charly, propriétaire de La Tabletterie, une chocolaterie installée place aux Herbes à Nîmes. « Il a commencé par faire un stage, puis a passé un CAP vente », indique Charly qui se défend de faire de la charité : « Si je l’ai pris avec moi, c’est qu’il a envie. En deux semaines, il a su tempérer le chocolat ! » En parallèle de son contrat à la chocolaterie, Mamadou poursuit un Brevet technique des métiers à Toulon dans le Var : « Ce n’est pas donné à tout le monde de faire ça », insiste Charly. 

Un avenir désormais nîmois

Aujourd’hui, Mamadou a 19 ans. Il a pris un appartement dans l’Écusson : « J’ai un visa de travailleur et j’ai fait une demande de naturalisation ». Finalement, le jeune Ivoirien s'est rendu à Paris : « Mais je préfère Nîmes. Je m’y sens plus à l’aise et en sécurité. » Mamadou fait également attention à ses fréquentations : « Moi, je ne bois pas et ne fume pas. » Au contact du jeune migrant désormais Nîmois, son patron, Charly, a changé son regard sur l’immigration : « Quand vous voyez que ces jeunes ont cette envie d'un avenir meilleur, ça va au-delà de ce que l’on entend dans les médias. » Seule ombre au tableau, son oncle : « Depuis que l’on a été séparés en Libye, je ne l’ai plus jamais revu. » 

Coralie Mollaret

coralie.mollaret@objectifgard.com

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