FAIT DU JOUR Nestlé à Perrier : sauveur ou fossoyeur ?

Musée Perrier, aux origines de la création de cette eau minérale naturelle
- Coralie MollaretPlus qu’une simple eau minérale, Perrier est devenue une marque emblématique dans le monde entier. Les dirigeants successifs de l’entreprise ont fait preuve d’une grande ingéniosité pour promouvoir cette eau pétillante. Face aux controverses actuelles, Nestlé saura-t-il se montrer à la hauteur de ses prédécesseurs ?
Perrier. Plus qu’une eau, une marque connue dans le monde entier. En 2016, plus de 1,6 milliard de bouteilles ont été produites et exportées dans 144 pays. Pourtant, ces derniers mois, l’eau pétillante n’a plus bonne presse… Plusieurs controverses ont éclaté autour de sa production, notamment la découverte de traitements et de filtres ne garantissant plus la « pureté originelle » exigée pour une eau minérale naturelle. La présence d’une bactérie pathogène a remis en question la qualité et viabilité de la source.
Le 7 août, le préfet du Gard doit se prononcer sur l’autorisation d’exploitation des forages, actuels et futurs, de Nestlé Waters. Il a sommé la société de retirer ses filtres à 0,2 micron, accusés par l’Agence régionale de santé (ARS) d’altérer cette fameuse "pureté" de l’eau. Une décision lourde d’enjeux, tant pour l’entreprise que le territoire. « Il y a 1 000 emplois qui dépendent directement de cette usine, sans compter les emplois indirects », rappelle Pascale Fortunat Deschamps, maire de Vergèze. « En tant qu’élu local, nous n’avons pas beaucoup de prise sur le dossier. Toutefois, au titre de la compétence Gemapi* de la protection de la ressource, je peux contribuer à la préservation de la ressource », commente Philippe Gras, président de Rhôny Vistre Vidourle.
Nestlé écrit aux élus et au préfet
La semaine dernière, Nestlé a adressé un courrier aux élus locaux. Chaque année, l’entreprise verse, au titre de diverses taxes, 200 000 € à Vergèze, 660 000 € à Uchaud et près de 3 M€ à la communauté de communes Rhony Vistre Vidourle. Se voulant rassurante, la multinationale affirme échanger régulièrement avec l’ARS. Elle aurait aussi envoyé, le 20 juin, un courrier au préfet détaillant ses « propositions techniques ». Quelles sont-elles ? « La société nous assure qu’elle est capable de proposer une microfiltration à 0,45 micron, comme dans les Vosges », annonçait, début juin, Pascale Fortunat Deschamps.
Sur le plateau du Club Objectif Gard-Arles, le 3 juin, le préfet a rappelé la règle : « Aujourd’hui, il n’y a pas de norme sur la microfiltration, si ce n’est la préservation de la pureté originelle de l’eau. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a autant de débat… Par définition, je ne suis pas juridiquement lié à l’ARS. Mais je n’ai pas la compétence nécessaire pour la contredire. Mon rôle est de prendre cette décision en étant le plus éclairé possible. » La marque emblématique saura-t-elle se relever de cette crise ? En avril, les ventes de Perrier ont chuté de 24 % par rapport à 2024.
Aux origines de la source
À Vergèze, l’exploitation de l’eau minérale naturelle ne s’est pas imposée sans remous. Le Musée Perrier retrace l’histoire du site des "Bouillens". Connue depuis l’Antiquité, la source attirait déjà les habitants de la région, qui venaient y puiser une eau réputée bénéfique pour soigner les maladies de peau ou les troubles digestifs. Située sur la faille de Nîmes, la source se charge naturellement en minéraux et en gaz carbonique d’origine volcanique, en traversant les couches de roche calcaire. Ce phénomène géologique confère à Perrier son caractère naturellement gazeux. En 1863, Alphonse Granier, alors maire de Vergèze, transforme le site en station thermale. Le projet suscite des tensions : les habitants s’opposant à la privatisation de leur « mare » ancestrale.
Le nom « Perrier » vient du docteur Louis Eugène Perrier, un Nîmois et ancien gestionnaire de la station thermale d’Euzet-les-Bains. Il est appelé à la rescousse par l’homme d’affaires Louis Rouvière, nouveau propriétaire, en 1884. Ce dernier, peu familier du secteur, s’appuie sur Perrier pour mettre au point la recette historique, définissant la proportion idéale entre eau et gaz. « La princesse des eaux de table » est sur le point de devenir une reine. Son sacre passe par l’Angleterre. L’aristocrate britannique John Harmsworth rachète la source et donne à Perrier une dimension internationale : il fait raccorder l’usine à une ligne de chemin de fer, s'ouvrant au marché britannique et propulsant l'eau gardoise sur la scène mondiale.
Quel avenir pour Perrier ?
Derrière Perrier, c’est « l’art de vivre à la française » qui s’exporte. Plusieurs campagnes publicitaires iconiques ont permis à la marque de « saisir l’esprit du temps ». Le slogan « L’eau qui fait pschitt », imaginé en 1949 par le publicitaire Jean Davray, marque la relance du site, vieillissant après la Seconde Guerre mondiale. Racheté par l’homme d’affaires Gustave Leven, Perrier entre dans une nouvelle ère : il construit la verrerie du Languedoc - vendue plus tard par Nestlé - pour produire les bouteilles vertes en verre. En 1992, la marque est reprise par Nestlé Waters. Depuis, elle a modernisé le site et lancé la gamme aromatisée Maison Perrier, n’obéissant pas aux contraintes du statut d’eau minérale naturelle. Plus qu’une marque, Perrier est devenu un héritage. Le 7 août, la préfecture dira si Nestlé sera l’entreprise qui saura le faire fructifier… ou celle qui l’aura mis en péril.
*(Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations)