Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 11.08.2021 - corentin-migoule - 5 min  - vu 3342 fois

FAIT DU JOUR Le foot amateur résistera-t-il au pass sanitaire ?

La fédération française de football compte près de 2 millions de licenciés dont environ 200 000 femmes. (Photo DR/Objectif Gard)

Par l'intermédiaire d'un communiqué officialisant l'obligatoire présentation du pass sanitaire pour les pratiquants comme les encadrants, et son extension aux 12-17 ans à compter du 30 septembre, la Fédération française de football (FFF) a annoncé la couleur le 31 juillet dernier. Mais qu'en est-il de la viabilité d'une telle mesure et quels seront ses dégâts sur un bénévolat - si important - mais en berne après deux saisons tronquées ? Les protagonistes du foot amateur s'interrogent, laissant filtrer des inquiétudes légitimes quant à l'avenir d'un sport qu'ils chérissent.

Après le retour du public en Ligue 1 et Ligue 2 qui redonne vie à des stades ayant revêtu des airs de cathédrales pendant près de deux ans, une question taraudait les protagonistes du foot amateur : comment le pass sanitaire allait-il s’appliquer à eux ? La réponse est tombée du haut de la FFF le 31 juillet dernier, via un communiqué annonçant l'obligatoire présentation du pass sanitaire pour les pratiquants comme les encadrants, et son extension aux 12-17 ans à compter du 30 septembre.

Un certificat de vaccination avec un schéma vaccinal complet et au délai nécessaire après la dernière injection, un test négatif de moins de 72 heures, ou un résultat d'un test RT-PCR positif attestant du rétablissement après avoir contracté la Covid-19, voilà les trois options qui s'offrent aux footballeurs amateurs si ces derniers souhaitent (re)fouler le rectangle vert qui a tant manqué à la plupart, au point que certains ont engagé une démarche vaccinale dans ce seul but.

Pour d'autres au contraire, la passion ne prendra pas le pas sur les convictions, et ces derniers éviteront coûte que coûte la vaccination. Se soumettront-ils à des tests réguliers ? Qu'en sera-t-il lorsque ceux-ci deviendront payants ? Comment seront-ils contrôlés ? Ces questionnements sont dans toutes les têtes des passionnés de ballon rond. "Nous sommes conscients que le pass sanitaire est une contrainte supplémentaire pour nos licenciés et nos clubs. Mais cette mesure apparaît aujourd'hui comme la solution la plus sûre pour reprendre le football en protégeant au mieux nos pratiquants et pratiquantes. Leur santé est notre priorité", assure la Fédération française de football, anticipant au passage les soupirs.

"Il y a des protocoles qui frôlent le ridicule"

Aux yeux de Mouss Guiza, directeur sportif de l'AS Rousson, cette "contrainte supplémentaire" est la goutte de trop : "C'est un problème qui s'ajoute à tous les problèmes que nous avions déjà. On va encore perdre des licenciés, ça va avoir des conséquences désastreuses sur le foot amateur." Lui-même doublement vacciné car persuadé qu'il n'y a "que comme ça qu'on se sortira de cette crise", le dernier nommé refuse d'initier le débat avec les récalcitrants : "Certains joueurs refusent de se faire vacciner. Chacun est libre de faire ce qu'il veut et je ne donnerai aucune consigne aux joueurs là-dessus."

Comme le dirigeant roussonnais, Sébastien Bonelli, entraîneur du F.C.O Domessargues (D3), ne conteste pas le besoin de juguler la pandémie mais s'interroge sur la manière dont le pass sanitaire est instauré et la façon dont il doit être appliqué, même s'il s'est mis en ordre de marche : "Le club a pris ses dispositions pour faire venir une infirmière tous les dimanches à l'occasion des matchs officiels. Bénévolement, elle prendra de son temps pour faire des tests antigéniques aux joueurs non-vaccinés", indique dans un premier temps le coach. Et de poursuivre : "Si les tests deviennent payants, la question se posera de savoir comment on procède." 

Mais les tests effectués quelques heures à peine avant le début du match pourraient révéler la positivité au Covid de certains joueurs et ainsi remettre en cause la tenue de la rencontre : "À domicile ça ira car on pourra toujours trouver d'autres joueurs, mais à l'extérieur c'est vrai que ça peut poser problème", reconnaît Sébastien Bonelli. Philosophe, l'entraîneur du FCOD soulève au passage ce qui apparait à ses yeux comme une incohérence de taille : "Si le remède pour le virus c'est le vaccin, je ne suis pas sûr que le remède pour le foot amateur ça soit le pass sanitaire. Car si on regarde le foot professionnel avec les équipes qui rentrent les unes après les autres et sans se serrer la main alors qu'il y a des contacts pendant le match, on constate qu'il y a des protocoles qui frôlent le ridicule, et c'est le cas pour ce pass sanitaire puisque des joueurs vaccinés peuvent attraper le Covid et le donner à ceux qui étaient négatifs avant le match."

Un risque de fraudes ?

Face à ces difficultés, certains dirigeants de clubs contactés par téléphone et ayant fait le choix de témoigner anonymement, prônent "la solidarité entre petits clubs pour ne pas faire appliquer ce pass". Les fraudes, "ça va arriver c'est certain", prévient Mouss Guiza. "Des clubs vont s'organiser pour avoir des faux documents", échafaude celui qui craint de perdre un certain nombre d'éducateurs bénévoles opposés à la vaccination.

D'autres se veulent plus optimistes quant à l'application de ces mesures. C'est notamment le cas de Bernard Bergen, référent Covid-19 du District Gard-Lozère : "Chaque club a déjà nommé un référent Covid qui sera en charge de contrôler les QR code des protagonistes de son propre club", explique-t-il très simplement. Évidemment, ce pass sanitaire s'appliquera aussi aux arbitres, faisant peut-être craindre des pénuries dans un secteur déjà en tension. Mais il n'en est rien à en croire Bernard Bergen qui assure qu'à ce jour, aucun homme en noir n'aurait encore manifesté sa volonté de mettre le sifflet au placard pour un tel motif.

Autre protagoniste résolument confiant, Jean-Christophe, entraîneur de l'équipe première (D2) du FC Massiac Molompize Blesle (Cantal) : "Globalement, après deux saisons tronquées, les joueurs ont envie de refouler les pelouses et disputer un championnat complet. Et puis comme le pass sanitaire est demandé presque partout, beaucoup vont se faire vacciner s'ils ne l'ont pas encore fait." C'est ainsi que 98% de son effectif est déjà allé à la piqûre. Toutefois, le dernier nommé émet un bémol pour les catégories de jeunes : "Ceux appartenant à la tranche d'âge 15-17 ans vont sans doute se faire vacciner pour continuer à vivre leur jeunesse, mais pour les 12-15 ans il y a une véritable inconnue car c'est surtout le choix des parents."

Gérer la situation ou mettre la clé sous le paillasson

C'est le cas de Nadia, maman d'un joueur évoluant en U15 dans un club du bassin alésien, qui ne remettra pas son fils au foot : "On nous bassine avec les bienfaits du sport pour les jeunes mais on ne les laisse pas en faire tranquillement alors qu'on les entasse à 30 dans des salles de cours où le pass n'est pas obligatoire ! C'est à rien n'y comprendre !" Et la déception de sa progéniture, Enzo, n'y changera rien : "Il est triste mais c'est comme ça. Pour l'instant je refuse de le faire vacciner. Alors il jouera au city du village avec ses copains, ira faire du vélo et reprendra le foot quand tout ça sera derrière nous."

Une décision radicale que prendront peut-être de nombreux parents dont Mouss Guiza dit déjà ressentir "l'agacement" : "Ils nous demandent s'ils doivent faire vacciner leur enfant, s'ils vont devoir payer la licence. Ça devient fatiguant ! Si on arrive à gérer la situation, tant mieux ! Si ça devient trop compliqué, on mettra la clé sous le paillasson et tant pis !", conclut ce passionné qui a donné 50 ans de sa vie au ballon rond.

Fragilisé par deux années de pandémie qui n'ont fait qu'éloigner joueurs et bénévoles les uns des autres tout en frappant au portefeuille les clubs privés de leurs traditionnels lotos et tournois - l'essentiel de leurs recettes -, le football amateur supportera-t-il l'assaut asséné par le pass sanitaire ? "Il ne faut pas regarder que son nombril, le problème sera le même pour les autres sports", modère Sébastien Bonelli. "L'objectif inavoué mais espéré de tous, c'est qu'on reprenne une vie normale et qu'on puisse finir la saison en jouant sans contrainte", résume Bernard Bergen. Souhaitons que le sport français baigne à nouveau - et au plus vite - dans cette normalité.

Corentin Migoule

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