Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 13.04.2022 - thierry-allard - 6 min  - vu 848 fois

FAIT DU JOUR Survivante des camps nazis, Ginette Kolinka à la rencontre de collégiens à Uzès

Ginette Kolinka est venue témoigner de l'horreur des camps nazis au collège Trintignant d'Uzès (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Ginette Kolinka est venue témoigner de l'horreur des camps nazis au collège Trintignant d'Uzès (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Elle a 97 ans, mais le souvenir de cette année, de mars 1944 à avril 1945, passée dans les camps nazis, reste vif. Depuis une vingtaine d’années, Ginette Kolinka témoigne auprès de jeunes, avec une idée, qu’elle martèle : « Plus jamais ça ». Ce mardi, c’était au collège Jean-Louis-Trintignant d’Uzès. 

« Mon histoire, c’est celle de tous les juifs à l’époque nazie », affirme-t-elle en préambule. L’histoire de ces millions de juifs déportés, et pour beaucoup tués, dans les camps d’extermination du IIIe Reich. L’histoire de ces êtres humains victimes de la solution finale. En tant que juive, « pour Hitler je n’étais rien du tout, de la vermine, avance Ginette Kolinka. Et qu’est-ce qu’on fait de la vermine ? On la chasse ». 

La nonagénaire, venue à l’invitation de la radio associative Fuze et du collège dans le cadre d’un programme visant à lutter contre les fausses informations, fait suite à l’intervention ce mardi matin de l’historienne, spécialiste du négationnisme, Valérie Igounet. Car « le négationnisme est toujours présent, on l’a vu lors des manifestations des antivax avec le détournement de l’étoile jaune qui était aux frontières de la négation de l’histoire », affirme l’historienne.

Les discours négationnistes, ou qui s’en rapprochent dangereusement, se trouvent principalement sur les réseaux sociaux, c'est du reste le cas pour la guerre en Ukraine. Or, « cette génération d’élèves est très présente sur les réseaux sociaux et certains ont des difficultés à trouver l’information », ajoute la chercheuse. Pour elle, « il est indispensable d’avoir des témoins comme Ginette Kolinka, qui fait vivre sans pathos ce qu’elle a vécu, avec un face à face, une réactivité avec les élèves ». 

« J’ouvre la porte et il y a trois messieurs »

C’est justement face aux classes de Troisième du collège Trintignant que Ginette Kolinka a témoigné, de l’étoile jaune « qu’il fallait mettre du côté gauche des vêtements », des métiers progressivement interdits aux juifs, des passeurs qui vont aider sa famille à quitter Paris pour gagner Aix-les-Bains puis Avignon grâce à des faux papiers. 

Puis des marchés qu’elle fait pour gagner sa vie avec ses soeurs le long des remparts à Avignon, jusqu’au 13 mars 1944. « C’est encore l’hiver mais il fait un temps magnifique, très agréable », se souvient-elle. Il est midi, Ginette est avec une de ses soeurs et une cousine. Elle est tirée au sort pour aller manger. « Je vais à la maison, rue Joseph-Vernet, rejoue-t-elle. Je n’ai rien vu de spécial sur la route, ni devant la maison. J’ouvre la porte et il y a trois messieurs. » 

Deux d’entre eux sont vêtus de manteaux et de chapeaux de cuir. Ginette comprend de suite : « La Gestapo est à la maison. » Outre ces trois hommes, il y a son père, 61 ans, son frère de 12 ans et son neveu de 14 ans. Les trois sont conduits dans la cuisine, où on les déshabille pour vérifier qu’ils sont bien circoncis, comme il est de coutume dans la religion juive, et on jette la famille dans une Traction avant Citroën. Dans le rétroviseur, Ginette reconnaît le visage d’un jeune homme qu’elle a croisé durant les derniers jours dans le quartier. C’est lui qui a dénoncé la famille. 

Tout le monde passe la nuit en prison à Avignon avant de rejoindre celle des Baumettes, à Marseille, jusqu’à la fin mars 1944. Puis c’est le camp de Drancy, avant d’arriver sur un quai, à Paris. « Il n’y avait que des wagons vides, ouverts, avec rien dedans. » Elle atterrit dans un wagon sans fenêtres, avec tout juste un peu de paille au sol. Le voyage dure trois jours et trois nuits, dans une odeur pestilentielle.

Ginette Kolinka est venue témoigner de l'horreur des camps nazis au collège Trintignant d'Uzès (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Sur son bras, un numéro tatoué : 78599

Le train s’arrête à quelques kilomètres du camp d’Auschwitz-Birkenau. Les nazis trient les passagers : ceux capables de marcher rejoindront le camp à pied, les autres monteront dans des camions. Au loin, « on aperçoit de la fumée, une cheminée, une odeur qui nous chatouille et je me dis, voilà mon usine », rejoue Ginette Kolinka. Car à cette heure, la jeune femme est convaincue qu’elle va dans un camp de travail. 

En fait de camp de travail, elle se retrouve dans un camp d’extermination. Des miradors jalonnent les baraquements, des hauts murs de barbelés les encerclent. « On nous a mis en rangs impeccables, les nazis aimaient les rangs impeccables », poursuit-elle. Les femmes sont regroupées, déshabillées entièrement et tatouées. Ginette Kolinka montre son numéro aux élèves, toujours lisible sur son bras près de 80 ans après : 78599. « Je n’ai jamais su ce qu’il voulait dire. » 

Dans la salle suivante, les femmes sont entièrement tondues : cheveux, aisselles, sexe. « Tout était préparé à l’avance pour nous humilier, nous tuer », affirme-t-elle. Puis, après une douche tout sauf agréable, les femmes échangent entre elles. « Certaines avaient demandé à celles qui nous tondaient où étaient ceux montés dans le camion et elles leur avaient montré la cheminée. » Les passagers des camions avaient en fait été assassinés dans les chambres à gaz, puis incinérés dans les fours crématoires. 

Ginette est incorporée dans un commando de travail. Elle crée des routes, ainsi que la voie ferrée qui permettra aux convois de pénétrer dans le camp jusqu’aux chambres à gaz. La vie est extrêmement difficile. « Le matin, on nous servait dans une boîte de conserve rouillée une eau marron qui s’appelait du café », se rappelle la survivante. Le réveil était à 3h30 pour l’appel, et la journée était seulement coupée pour manger une vague soupe et, une fois par semaine, « un petit supplément, une fine tranche de saucisson ou une petite cuillère de marmelade ». Depuis, « vous ne me verrez jamais jeter un brin de nourriture ! », s’amuse-t-elle.

Puis en novembre 1944, Ginette Kolinka est transférée d’Auschwitz-Birkenau à Bergen-Belsen, un camp de concentration, avant de travailler dans une usine de février à avril 1945, date de son rapatriement. Dans le wagon du retour, « tous les jours il y avait une ou deux mortes. La dame à côté de moi me tombe sur l’épaule. Je la redresse mais elle retombe deux fois, trois fois. Elle était morte. Je l’ai gardée tout le temps du trajet ». 

« J’aimerais bien avoir un négationniste devant moi »

Les élèves, captivés durant l’heure et quart qu’a duré le récit, posent leurs questions. La montée du négationnisme ? « J’aimerais bien en avoir un devant moi. Je lui demanderais d’où il tient ses renseignements. » Si elle a parlé de son histoire à son enfant, qui n’est autre que le batteur du groupe Téléphone Richard Kolinka ? « Jamais. Je ne voulais en parler à personne, ne pas embêter les gens. » C’est la raison pour laquelle elle attendra si longtemps pour se muer en passeuse de mémoire.

Ginette Kolinka est venue témoigner de l'horreur des camps nazis au collège Trintignant d'Uzès (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Sur sa guérison, son retour parmi les vivants, Ginette Kolinka loue sa famille, qui l’a « chouchoutée », mais ne nie pas que ça a été dur. « À l’époque on n’employait pas le mot dépression, mais je suis restée deux ans en difficulté. » Et, peut-être la question la plus importante : comment éviter que l’Histoire bégaie. « Pourquoi tout ça est arrivé ? Parce qu’un homme, Hitler, haïssait les juifs. Il faut accepter les gens comme ils sont. Soyons tolérants. » 

Voilà pour le message. Mission accomplie ? « Oui, pleinement », acquiescent le professeur d’histoire Stéphane Boze et la professeure documentaliste Isabelle Meric, porteurs du projet pour le collège. Outre ce moment fort, « nous leur avons aussi demandé de recueillir des témoignages dans leur entourage, dans cette optique de transmission », ajoute Marie Fringant, de Fuze. La semaine prochaine, les élèves doivent aller visiter le camp des Milles, à Aix-en-Provence. 

En attendant, les élèves ont su apprécier la valeur de ce moment passé avec Ginette Kolinka. « C’était un moment magique », estime Camille. « J’avais la chair de poule », abonde Sarah. « Nous sommes peut-être la dernière génération à pouvoir entendre des témoins », renchérit la première. En effet, Ginette Kolinka leur a passé le témoin : « Maintenant, c’est vous les passeurs de mémoire ». 

Thierry ALLARD

thierry.allard@objectifgard.com

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Ginette Kolinka aux côtés de Valérie Igounet, hier soir à l'Ombrière, à Uzès (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Ginette Kolinka a poursuivi sa visite uzétienne par une conférence en soirée à l’Ombrière. L’événement a fait le plein et les 500 places sont parties en à peine trois jours. Une série d’émissions de radio sera issue de la venue de Ginette Kolinka. Ces émissions seront diffusées sur Fuze. 

Thierry Allard

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