Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 03.04.2022 - francois-desmeures - 5 min  - vu 1021 fois

FAIT DU JOUR Trente ans au service des pierres du château d'Allègre

(Photo François Desmeures / Objectif Gard)

Bernard Mathieu préside l'association pour la sauvegarde du château d'Allègre depuis 2005 (photo François Desmeures / Objectif Gard)

L'association pour la sauvegarde du château d'Allègre a fêté ses 30 ans fin mars. Trente ans pour réinventer un destin au castrum situé à 275 mètres d'altitude, sur lequel seule la végétation veillait jalousement. 

Il fallait bien que l'origine du village retrouve son lustre. Car il n'existe point de hameau nommé Allègre dans la plaine : "La commune est composée de sept hameaux différents. Mais le nom d'Allègre provient d'ici, du castrum", entame Bernard Mathieu, président de l'association. Ce village de chevaliers, plutôt qu'un château médiéval au sens strict, n'était visible de personne quand l'association a été créée.

Au commencement, Jeannette Vincent, une enfant du mas Chabert

Au départ, il y a Jeannette Vincent, une enfant du village, "originaire du mas Chabert", détaille Bernard Mathieu. En 1992, elle vient de prendre sa retraite. C'est son frère, entrepreneur au village, "qui lui a demandé ce qu'elle comptait faire de sa retraite et lui a conseillé de s'occuper du château". Car le site, évidemment, est bien connu des habitants, notamment des enfants qui y ont tous usé leur fond de culotte et mis leur imagination chevaleresque à l'épreuve. La survie du château, au départ, doit donc autant à la phrase anodine du frère qu'à l'enthousiasme de Jeannette Vincent. Mais c'est bien elle qui lance la machine.

Sans doute implanté au XIe siècle, le village compte jusqu'à treize familles installées. La révolte des Tuchins de 1383 aura raison de ses habitants médiévaux. Puis, le lieu n'est plus investi que par des paysans pour leurs bêtes ou des vergers d'oliviers. La dernière tour est occupée jusqu'en 1910. Avant que le site ne soit confié aux chênes verts, oliviers sauvages, cades et arbousiers. Des essences qui poussent parfois entre les pierres, quand celles-ci ne sont pas utilisées dans les constructions de la plaine.

La maison Loubier dans son jus, en 1995 (photo DR)

"On voit que c'est un village, notamment parce que les remparts ne font que relier les maisons entre elles, constate Bernard Mathieu. C'est certes une protection, mais pas classique." Et cet ensemble, il s'agit justement de le protéger des agressions du temps. "Jeannette a réuni autour d'elle un certain nombre de gens. Ils ont décidé de s'y attaquer en commençant par dégager un peu les ruines." Un peu, c'est un euphémisme. Par exemple, la maison Loubier, qui sert aujourd'hui de siège à l'association, qui y a ajouté un toit et a remis la cheminée en ordre de marche, est traversée par un arbre de plusieurs mètres fiché en son sol.

La maison Loubier aujourd'hui, ouverte aux randonneurs et amateurs de grillades respectueux des lieux (photo François Desmeures / Objectif Gard)

Petit à petit, l'association apprend, s'améliore, s'entoure. Le contact est noué avec la Sabranenque, association de Saint-Victor-la-Coste, "qui avait déjà l'habitude d'intervenir sur les monuments avec des réfections de très bonne qualité". Le site n'est pas inscrit aux monuments historiques et sa mise en sécurité ne nécessite pas (encore) de longues démarches administratives. "Les chantiers d'insertion de Familles rurales ont aussi été d'une grande aide, constate Bernard Mathieu, et, désormais, le réseau Rempart", qui réunit 200 associations bénévoles du patrimoine et permet aujourd'hui de bâtir des dossiers calibrés pour le ministère de la Culture et d'éventuelles demandes de subvention.

La calade d'accès, construite en trois ans, a été bâtie avec l'aide du chantier d'insertion de Familles rurales (photo DR) • Picasa

Propriété de la commune, le site fait l'objet d'une inscription au titre des monuments historiques depuis 1997. Et depuis, l'association ne cesse d'améliorer l'accès au site, notamment par la superbe calade qui permet l'approche, un chantier de trois années avec Familles rurales. Mais elle permet aussi d'en comprendre l'histoire. Comme lors des fouilles réalisées entre 2000 et 2004, qui ont mis au jour les vestiges d'un moulin à huile dans l'actuel sous-sol de la tour de l'ensemble palatial.

Une découverte à nouveau enfouie depuis, selon les préconisations en vigueur sur les fouilles. "On travaille, avec le service régional d'archéologie, à mener une nouvelle campagne de fouilles, entre le château à l'ouest et la plus ancienne des tours", celle où des témoins d'éventuels mouvements des parois sont posés.  Un vestige de mur au sol semble y indiquer qu'une portion du rempart passait sans doute par ici. Mais difficile de se faire une idée définitive sans fouilles.

À force de dégagements, les bénévoles - qui se retrouvent chaque premier samedi de tous les mois pour continuer à dégager, déblayer et sécuriser - sont tombés sur une deuxième enceinte, plus loin des habitations. Ils ont aussi compris que le toit de la chapelle, dont ils espèrent rapidement pouvoir sauver l'arc, avait été enserré dans le rehaussement d'un premier mur d'enceinte en voyant apparaître les lauzes du toit prises dans le mur, signe que le village avait quand même dû penser à se protéger. Mais il manque une pièce au puzzle : la citerne d'eau, indispensable en altitude, dans un pays sec. D'autant qu'il ne fait aucun doute que les toits ont été équipés de canaux de récupération des eaux de pluie...

Le moulin à huile, retrouvé quatre mètres sous terre, dans la tour de l'ensemble palatial (photo DR)

Par rapport à ses débuts, l'association doit maintenant passer par une myriade d'autorisations avant d'intervenir sur l'édifice. "On a le doit de traiter, d'araser les ruines avec de la chaux, de façon à ce que l'eau ne s'infiltre pas entre les pierres. Dans l'ensemble palatial, les réparations ont été faites par une entreprise spécialisée. Il reste des bouts de mur un peu partout dans le château et des tas de pierres qui résultent de la ruine", montre Bernard Mathieu. Des pierres qu'il s'agit de conserver afin d'assurer les prochaines restaurations. Le château a aussi reçu des étudiants du lycée Dhuoda de Nîmes pour une séance de photogrammétrie, qui permet ensuite la modélisation du site en 3D.

Au sud, la vue sur le mont Bouquet et son oppidum (photo François Desmeures / Objectif Gard)

Après Jeannette Vincent, Pierre Crespon a pris le relais dans les années 2000. Puis le Salindrois Bernard Mathieu depuis 2005. L'association compte 100 membres cotisants et près d'une trentaine de membres actifs, présents les samedis de chantier. L'été, elle a pu compter sur des étudiants pour filer un coup de main tandis que des membres préparent la fête annuelle du 3e samedi de juillet.

Animations médiévales, jeux pour enfants, banquet et concert s'y succèdent. "On est contents car il n'y a pas que des retraités mais aussi des jeunes, entre 20 et 30 ans, du village ou intéressés par notre secrétaire qui est prof d'histoire au collège de Salindres et amène chaque année ses élèves ici. Quelques graines ont poussé, se réjouit Bernard Mathieu. J'ai fait un calcul rapide : en 30 ans, j'ai compté environ 100 000 heures de travail sur site de la part des bénévoles, soit l'équivalent d'1,2 million d'euros de force de travail. Ce n'est pas rien !"

Fichées dans le mur d'enceinte rehaussé, les lauzes de l'ancienne toiture de la chapelle (photo François Desmeures / Objectif Gard)

Et ce n'est évidemment pas fini. Le retour de la fête, cet été, permettra d'augmenter les fonds. "Et puis, on prépare un dossier pour tous les propriétaires privés du site, dont les trois quarts sont du village. On veut les réunir pour savoir ce qu'ils veulent faire du site." Des propriétaires bienveillants qui ne sont jamais venus râler contre le travail mené par l'association. Et en même temps, ils bénéficient d'un terrain entretenu dont ils ne feraient pas grand chose. On voit mal les possédants gravir la calade pour manifester leur colère...

François Desmeures 

francois.desmeures@objectifgard.com

Panorama vers l'est et les Cévennes (photo François Desmeures / Objectif Gard)

François Desmeures

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