CULTURE Avignon Off : les trois coups de coeur de la rédaction

Sarah Nardon et Hortense Venot
- Photo Yannick PonsHier encore, les comédiens du Off arpentaient les rues étroites et brûlantes de la Cité papale, tractant aux terrasses des cafés de la place Pie et des autres, afin d’attirer le spectateur. Pour l’occasion, la rédaction vous propose trois coups de cœur : une comédie musicale, une création musicale et un grand classique de la littérature française.
Ce samedi 5 juillet, Avignon a ouvert le rideau du plus grand festival de théâtre au monde, avec In et Off en mode On, alignés pour la première fois sur les mêmes dates. C’est inédit ! Dès hier, les comédiens du Off foulaient déjà les rues brûlantes de la Cité papale, tractant aux terrasses des cafés de la place Pie et des autres places du centre historique afin d’attirer les spectateurs. Pour l’occasion, Objectif Gard vous dévoile sa première pépite à ne pas louper, dénichée au Théâtre 3S, celui du 10 avenue de la Trillade.
Ce rapprochement traduit la volonté d’offrir une vision plus globale du théâtre en France, au-delà de la séparation entre théâtre d’art subventionné et création privée. Cette évolution est d’autant plus significative que de nombreuses compagnies aidées par l’État ou les collectivités locales viennent justement chercher la reconnaissance en se lançant dans le Off par un investissement coûteux. Le Off c'est 1 724 spectacles sont programmés dans 139 théâtres.
Toute une vie sans se voir
Au Théâtre 3S,Toute une vie sans se voir propose bien plus qu’un simple hommage à Véronique Sanson et Michel Berger. Un spectacle musical qui dévoile le dialogue amoureux implicite entre deux grandes figures de la chanson française. Partant de l’idée que leurs répertoires ont dialogué pendant des années sans que personne s'en aperçoive vraiment, Julie Rousseau et Bastien Lucas ont construit un montage subtil dans lequel les chansons se répondent et se superposent. Ce n’est pas un récital nostalgique, mais un véritable dialogue chanté, porté par l’enchevêtrement délicat des deux pianos et l'entremêlement des voix. Chacun est campé sur son instrument de chaque côté de la scène, comme pour témoigner de leur séparation. Puis, ils se rejoignent, sans jamais tomber dans l’imitation, offrant une création musicale savamment tricotée.
Seras-tu là ?
Le spectacle refuse la simple imitation et privilégie la création par des arrangements inattendus, des enchaînements soignés, un petit hommage à Bach au passage et offre finalement des compositions originales mêlant plusieurs titres. Des « mash-ups » comme on dit. Des chansons ont été créées à partir de deux ou plusieurs autres chansons déjà existantes.
Les deux artistes prennent un plaisir évident à tricoter ces échanges musicaux, transformant le dialogue en véritable jeu amoureux, mais éloignés, La mise en scène sobre et délicate de Stéphane Olivié-Bisson accompagne avec tendresse cette confession musicale, sans chercher de grands effets, afin de privilégier l'émotion.En filigrane, le mythe d’Orphée et Eurydice plane sur la proposition, personnages inversés. Même si cette allégorie est un peu appuyée, la lecture poétique fonctionne, lorsqu’elle accompagne Michel Berger (Bastien Lucas) vers la mort, dans une scène bouleversante jouée au milieu des gradins, parmi le public.
Le duo séduit par la qualité des arrangements, l’harmonie des voix et la superposition des chansons de l’un et de l’autre. Et puis Julie Rousseau, chanteuse et pianiste, est absolument remarquable en véronique Sanson. Elle qui porte le projet depuis plusieurs années, interprète les chansons de la chanteuse française sans chercher à l’imiter, en s’appropriant tout de même son univers, ses expressions, ses gestes et son énergie.
Pour les amateurs de Sanson et Berger comme pour les autres, Toute une vie sans se voir est une pépite qui raconte de façon créative, singulière et réussie, l’amour d’un couple séparé, éloigné à jamais, mais toujours en dialogue par chansons interposées. Un joli moment.
Infos pratiques
Durée : 1 h 25. Texte : Julie Rousseau et Bastien Lucas, à partir des chansons de Véronique Sanson et Michel Berger. Mise en scène : Stéphane Olivié-Bisson. Avec : Julie Rousseau et Bastien Lucas (piano/voix). Horaire : 19 h 40.
L’hôtel du pin sylvestre
Willkommen, bienvenue, welcome... au cabaret ! Bienvenue à l’hôtel du pin sylvestre ! C’est dans les années 60 que cette auberge normande désuète expose en son hall un tableau qui fait la fierté de la directrice, Marie-France (Hortense Venot, chanteuse lyrique comme Angelo Heck), et de sa réceptionniste, Bernadette (Sarah Nardon).
En ce premier jour de travail estival, l’un des deux seuls clients de la semaine, Etienne (Angelo Heck), un beau jeune homme, est adoubé et innocenté tout de suite par les femmes de l’hôtel, car une intrigue est sur le point de commencer. Les quatre personnages hauts en couleurs (une pièce extrêmement esthétique), se mettent alors à mener l’enquête dans une espèce de Cluedo géant.
Une comédie musicale de haute couture qui dès le début sonne juste et pro. Tous chanteurs, tous acteurs et tous musiciens. Ce vaudeville burlesque aux accents d’opérette est entièrement chanté, quasiment sans dialogues parlés. Et dans le fond, un piano... Pensé comme un divertissement assumé, il joue avec les codes du genre : une intrigue légère et foldingotte sur le vol d’un tableau, conçue comme un prétexte à enchaîner des numéros musicaux drôles et rythmés. Un divertissement programmé par Patrick Zard au théâtre de l’oriflamme en fin de journée à 20 h 20, en apéro, la pièce clôture presque la journée sur une note légère et festive.
L'amour à l'hôtel
Le texte a été écrit par Sarah et Marie Nardon, Sarah étant aussi l’autrice principale des musiques, accompagnée par Alexandre Laugier au piano. La mise en scène a été confiée à Patrick Zard, qui a suivi les auteurs depuis leurs débuts. L’ancien acteur de Claude Zidi (Les sous-doués), présent dès le premier showcase de la troupe en Normandie au mois de janvier 2024, a soutenu les autrices dans leur évolution, apportant une expertise précieuse, dans la mise en scène et notamment dans la direction des acteurs.
Zard s’est impliqué tout au long du processus et dans la mise en scène : travail sur les postures, les ruptures, les regards, afin d'affiner le jeu. Il a aussi contribué en tant qu’œil extérieur, fort de son expérience, en laissant la troupe – jeune, venue de Normandie et de Paris – s’exprimer pleinement. Hortense Venot, exceptionnelle dans son rôle lyrique, a signé les chorégraphies, dans un esprit de collaboration où chacun a pu proposer et enrichir le spectacle.
Le résultat est un travail collectif admirable où clins d’œil et références s’entrelacent – de Cabaret à Game of Thrones – dans une ambiance de fête musicale inventive et complice. Une petite pépite du Off, à croquer tendrement, et à ne pas louper !
Durée : 1h10 Scénario : Sarah Nardon et Marie Nardon Composition : Sarah Nardon Mise en scène : Patrick Zard Chorégraphies : Hortense Venot Lumières : Mélodie Hartmann Comédien(nes) / Chanteurs (ses) : Hortense Venot, Nina Despres, Sarah Nardon, Angelo Heck, Alexandre Laugier (pianiste)
Le programme de la pièce est ici.
Le roi se meurt, Eugène Ionesco
Bérenger Ier, monarque tout-puissant, refuse l’évidence : il va mourir. À mesure que son royaume se délite par sa faute, deux reines l’entourent. Marguerite, vindicative, mais lucide, tend sans cesse le miroir de la vérité à ce roi immature. Marie, plus jeune et hédoniste, s’accroche aux derniers plaisirs vécus avec Bérenger.
Dans ce parcours de fin de vie, Ionesco bâtit un chemin d’initiation bien repris par la pièce : déni, colère, marchandage, souvenirs, abandon, puis difficile acceptation. Rythmes heurtés et ruptures de ton nous émeuvent et nous font sourire (jaune) de notre humanité particulièrement imparfaite. Philosophique et désarmante, la pièce veut nous conduire vers une sorte de libération de notre propre angoisse. L’acceptation de la mort. Pas si facile !
Dune
Écrite en 1962, cette œuvre traverse les époques. « C'est un texte important, c'est un texte du répertoire mondial théâtral, traduit dans toutes les langues », rappelle Christophe Lidon au public, qui revendique aussi l’urgence de « faire réentendre ce contexte », tel que l’avaient joué Michel Bouquet 800 fois, ou Michel Roumont à la Comédie Française.
Sa mise en scène injecte çà et là une légèreté bienvenue dans les moments les plus sombres. Le trône renversé devient lit d’hôpital, des films Super 8 muets sont projetés sur un mur qui se fissure peu à peu, comme le royaume lui-même. La scénographie invoque un imaginaire intemporel, entre Dune et le Nautilus de Vingt mille lieues sous les mers au bord de la rupture : trône, longue-vue plantée dans le sol, fissures, téléphone noir sur le mur, sablier fait de ballons…
Dans ce monde au bord du vide, Vincent Lorimy interprète un Bérenger qui passe de la tyrannie à l’abandon, silhouette vacillante et voix brisée face à l’inéluctable et face au bilan de sa vie de roi, peu glorieux. À ses côtés, Valérie Alane particulièrement juste et tranchante, campe une Marguerite d’une rigueur implacable, droite, mais profondément vertueuse puisqu’elle aide son époux à accepter sa fin.
Acceptation
Quant à Marie, incarnée avec émotion par Chloé Berthier, elle tente jusqu’au bout de rappeler la joie et la légèreté, et peut-être l’amour. Autour d’eux gravitent le médecin, le garde et la servante (Thomas Cousseau, Armand Eloi, Nathalie Lucas), dernières figures survivantes absurdes d’un royaume en ruine.
Ionesco transforme l’angoisse de la mort en théâtre de l’absurde : le roi Bérenger I, figure de toute-puissance, se heurte à l’évidence de sa fin. Autour de lui, deux reines incarnent des postures et des rôles opposées, une blonde et une brune. La gentille et la méchante, mais… La pièce devient ainsi une méditation tragique sur la condition humaine : nul n’échappe à l’effondrement du corps, pas même les rois, et l’acceptation de la mort se complique quand on a surtout profité du pouvoir au lieu de construire.
Tandis que Marie tente d’évoquer et de partager les dernières jouissances d’un royaume qui s’écroule, c’est Marguerite, Valérie Alane, méchante reine, qui retire sa longue perruque noire et conduit le souverain vers la lucidité puis vers l’acceptation de sa mort.
Informations pratiques
Le Roi se meurt – Théâtre des Gémeaux, salle des Colonnes (Avignon Off)
Sortie de résidence : samedi 14 juin à 20 h Représentations : du 5 au 26 juillet à 18 h 10 Relâches : 9, 16, 23 juillet Durée : 1 h 25 – tout public à partir de 12 ans Texte : Eugène Ionesco Mise en scène : Christophe Lidon Lumières : Cyril Manetta – Musique : Cyril Giroux – Vidéo : Léonard Avec : Vincent Lorimy, Valérie Alane, Chloé Berthier, Thomas Cousseau, Armand Eloi, Nathalie Lucas Production : CADO Orléans