Sur les notes de Mozart, Lorenzo Da Ponte a écrit Don Giovanni. Comment ce prêtre italien aurait-il pu écrire cette intrigue libertine, fut-il avoir été renvoyé du séminaire de Trévise pour ses positions rousseauistes ? Dans le confessionnal peut-être !
La sauce Roels
Frédéric Roels « revisite » sa production rouennaise, passée ensuite par la version cinématographique de 2021.
Mozart s’installe ainsi à l’Opéra du Grand Avignon en octobre avec Don Giovanni, opéra burlesque italien en deux actes écrit à Prague en 1787 par le librettiste Lorenzo Da Ponte. Le mythe de Dom Juan y devient, sous la plume et la musique de Mozart, celui d’un séducteur insaisissable, libre jusqu’à la démesure, qui finit, emporté par la justice divine, aux enfers.
Dans cette nouvelle mise en scène, Frédéric Roels déplace légèrement le curseur. « Je voudrais vivre cet opéra comme un chemin, non comme un état. Certes Don Giovanni est de notre époque, qui en douterait ? Certes, Don Giovanni est d’ici et maintenant, mais aussi d’hier et de demain, et de là-bas. Je voudrais que la mise en scène fuie comme le personnage principal, qu’elle ne s’impose que par la mobilité et la dynamique qu’elle suscite. Et que jamais les choses ne semblent installées », confie Frédéric Roels
Don Giovanni n’est plus le monstre triomphant, mais un homme charmant. Il est beau, presque doux, entraîné dans le jeu des femmes qui l’entourent. Il focalise sur lui toutes les relations de désir sexuel et amoureux. Il fanfaronne, mais il fuit. Le catalogue de ses exploits. Mille trois conquêtes énumérées par Leporello, rien qu’en Espagne ! Rêve ou réalité ? Lors du fameux air du champagne, Armando Noguera fait claquer des castagnettes dans le souffle de son chant. Magnifique, le public apprécie.
Da Ponte rééquilibre le jeu
Même si le mythe de Dom Juan, pièce attribuée à Tirso de Molina vers 1630, naît en Espagne au XVIIᵉ siècle, l’abbé italien ajoute sa touche personnelle, sociale et morale au mythe du séducteur.
Chez Tirso de Molina, les femmes incarnent la vertu trahie et la pureté menacée. Elles sont des figures morales, victimes de la tromperie de Dom Juan, et servent à dénoncer son péché. Chez Da Ponte, au contraire, les femmes de Don Giovanni deviennent de véritables personnages à part entière. Conscientes du jeu de manipulation de l’homme qu’elles poursuivent, elles existent chacune avec leur voix, leurs désirs et leurs contradictions.
Donna Anna incarne la noblesse blessée : partagée entre la vengeance et le trouble, elle reste une victime, mais son attitude ambiguë laisse entrevoir une forme d’attirance pour son agresseur.
Donna Elvira, sublime Anaïk Morel, est une femme blessée, abandonnée, mais toujours amoureuse, déchirée entre la colère et la passion. Zerlina, enfin, jeune paysanne vive et malicieuse, est la plus lucide : elle joue avec la séduction, consciente de ses propres armes.
Da ponte sort du champ religieux afin d’ouvrir une réflexion philosophique. C’est cette perche tendue que saisit Christophe Roels.
Les femmes mènent la danse
Ici, ce sont les femmes qui mènent la danse, qui désirent, qui s’affirment. L’ouverture dévoile déjà les tensions. Donna Anna (semble échanger au téléphone avec Dom Juan) n’est plus victime d’un viol, mais d’une séduction ambiguë. Elle embrasse Don Giovanni avant que le Commandeur n’intervienne et ne soit tué. Tout devient plus trouble, plus humain, plus contemporain. Un scooter cheval, Un appareil photo en guise de livre et une cabine téléphonique à la fois pavillon, abri ou refuge du désir.
Roels, directeur de l’Opéra, reprend une partie de sa production audiovisuelle montée à Rouen et Versailles. Sous la scène, les musiciens sont attentifs à la direction précise et impeccable de Débora Waldman, dans sa dernière saison avignonnaise. La cheffe d'orchestre réussit par la qualité du son et des tempi, comme pour le Requiem cette année, à exprimer la puissance dramatique et de cette écriture de Mozart, dans laquelle il se passe toujours quelque chose. Les musiciens accompagnent lentement le cœur du Commandeur qui doucement s'éteint.
Le résultat est un opéra en mouvement, où rien n’est figé. Une mise en scène fluide, une bousculade d’époques, de classes et de désirs, à l’image d’un monde incertain.
Mais alors Don Giovanni mérite tout de même la mort ?
L’Opéra Grand Avignon, qui fête ses deux cents ans, ouvre ainsi sa saison sur une œuvre emblématique du répertoire. Fidèle à sa mission d’ouverture, il proposait hier une retransmission gratuite sur écran géant place Saint-Didier, avec transats et couvertures fournis. Pour les spectateurs en salle, des ateliers et coulisses sont proposés le 14 octobre à 18 h 45, sur réservation.
Distribution
Direction musicale : Débora Waldman
Chef de chœur : Alan Woodbridge
Mise en scène : Frédéric Roels
Scénographie : Bruno de Lavenère
Costumes : Lionel Lesire
Lumières : Laurent Castaingt
Assistante à la mise en scène : Nathalie Gendrot
Études musicales et basse continue : Juliette Sabbah
Don Giovanni : Armando Noguera
Donna Anna : Gabrielle Philiponet
Don Ottavio : Lianghua Gong
Il Commendatore : Mischa Schelomianski
Donna Elvira : Anaïk Morel
Leporello : Tomislav Lavoie
Masetto : Aimery Lefèvre
Zerlina : Eduarda Melo
Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Orchestre national Avignon-Provence
Infos pratiques
Opéra Grand Avignon
• Dimanche 12 octobre 2025 à 15 h
• Mardi 14 octobre 2025 à 20 h
Durée : 3 h – Chanté en italien, surtitré en français
Réservation et renseignements : www.operagrandavignon.fr/don-giovanni