Publié il y a 2 h - Mise à jour le 13.10.2025 - Thierry Allard - 8 min  - vu 3373 fois

FAIT DU JOUR AccGn, ou l’histoire d’une arnaque aux cryptomonnaies partie du Gard rhodanien

Les ex-locaux d'AccGn à Saint-Paul-Trois-Châteaux, le 10 octobre dernier

- Thierry Allard

C’est une plateforme de trading automatisé qui promettait à ceux qui y investissaient des gains extraordinaires et garantis. Une plateforme basée officiellement aux États-Unis, mais qui a fait florès dans le Gard rhodanien, le sud de la Drôme et le nord de Vaucluse, à la faveur d’un dévastateur système de parrainages. Depuis fin septembre, les nombreux investisseurs de cette plateforme ont dû se rendre à l’évidence : il s’agissait d’une arnaque, et certains ont perdu gros. Enquête.

Cette histoire démarre fin septembre, lorsqu’un salarié d’une grosse usine du Gard rhodanien alerte notre rédaction : sur son lieu de travail, quasiment tous ses collègues sont sur une application de trading de cryptomonnaies révolutionnaire, AccGn, et pas un jour ne passe sans qu’il ne soit sollicité pour être parrainé et rentrer dans le système à son tour. Alors ce jeune homme, que nous appellerons Léo(*), se penche sur le système, et découvre des gains d’1,35 % garantis par jour, avec un système de parrainage qui accroît ce taux pour le parrain. « C’est clairement un Ponzi », estime-t-il, évoquant l’arnaque de la pyramide de Ponzi, système frauduleux dans lequel les investissements des clients sont rémunérés par l’argent investi par les nouveaux entrants. Un système dans lequel le parrainage joue donc un rôle crucial, l’arnaque ayant constamment besoin d’argent frais pour continuer.

Si Léo s’est méfié, ce n’est pas le cas de tout le monde, et au sein de son usine, « la plupart ont mis 300 euros, d’autres plus, 1 000, 2 000 euros », précise-t-il. Il faut dire que l’application, qui s’est vraiment déployée localement cet été, avait quelques arguments. Eddy, militaire dans les Bouches-du-Rhône et investisseur sur la plateforme, décrit un système « complètement cohérent », avec des rapports quotidiens expliquant les gains par des transactions multiples en cryptomonnaies boostées par l'intelligence artificielle. Le principe du trading, en somme, mais modernisé. D’autres éléments tendent à crédibiliser le tout : « Ils nous ont envoyé des messages qui tendaient à prouver que l’entreprise était ‘legit’, comme quoi l’entreprise était reconnue sur le marché, ils avaient des outils pour faire vrai », abonde Théo(*), originaire de Lyon, investisseur lui aussi. Et surtout, pendant plusieurs mois, les investisseurs parviennent à retirer leurs gains.

Des bureaux à Bagnols et Saint-Paul-Trois-Châteaux

Si l’adresse postale de la « maison mère », à Denver, ressemble à une simple boîte aux lettres, puisqu’il s’agit d’un immeuble destiné à la domiciliation d’entreprises, localement AccGn a des bureaux physiques, à Bagnols et à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme). Le bureau de Bagnols est géré par une association ouverte en juin dernier, Espace ACCGN, et celui de Saint-Paul est ouvert par un certain Nicolas, bien connu à Bollène (Vaucluse). Des réunions d’information sont organisées à Bagnols, à Saint-Paul, des soirées aussi, notamment une inauguration en grande-pompe du bureau drômois cet été ou une soirée en partenariat avec Tesla, qui ont fait l’objet de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux et supprimées depuis.

L’homme qui a réalisé ces vidéos est un réalisateur bollénois du nom de Cyril Navarro-Diaz. Il nous affirme que « tout part apparemment de l’été 2024, un type qui travaille à Melox (à Marcoule, NDLR) rencontre pendant ses vacances une Anglaise qui lui montre AccGn, il a testé et a vu que ça marchait », raconte-t-il. De retour à l’usine, il en parle à ses collègues, et ça prend. « Parmi ces types, il y en avait un qui connaissait bien Nicolas, mon beau-frère, qui a téléchargé l’application, poursuit-il. Il connaît des gendarmes, il leur a montré l’application pour savoir si ce n’était pas une arnaque, un ami gendarme a vérifié et s’est inscrit dessus, avant d’être suivi par beaucoup d’autres gendarmes. »

Convaincu, Nicolas parraine beaucoup de monde, au point qu’un certain Jason, présenté sur les boucles Telegram où toute la communication passe comme le fondateur d’AccGn, l’incite à ouvrir des bureaux, ce que Nicolas fera donc à Saint-Paul-Trois-Châteaux. Il est probable que le même schéma ait conduit à l’ouverture du bureau bagnolais. Deux implantations qui ont largement contribué à crédibiliser le système. « Ça permettait de nous mettre en confiance, avec des bureaux en France », affirme Anna(*), de Toulouse, qui a, elle aussi, investi sur la plateforme, comme toute sa famille.

Sur cette capture d'écran Google Streetview datant de juillet dernier, on aperçoit le logo AccGn sur le local de Saint-Paul-Trois-Châteaux • DR

Des gains énormes, boostés par le parrainage

Dans un premier temps, tout roule et les investisseurs parviennent à retirer leurs gains, soit immédiatement avec 7 % de frais, soit gratuitement tous les 18 jours. Les gains sont énormes : « J'ai mis 500 euros, et j’ai mis deux mois et demi à me rentabiliser, rejoue Romain(*), de Pierrelatte. Mes retraits tombaient en USDT (une cryptomonnaie, NDLR) sur une plateforme dédiée. Je me suis remboursé d’un peu plus du double de mon investissement. » Des témoignages comme celui de Romain, il y en a beaucoup, et le fait qu’AccGn permette de gagner réellement de l’argent attire de plus en plus de membres. Ils auraient été 37 000, à en juger par le nombre de personnes sur la boucle Telegram officielle.

Alors certains remettent au pot, en espérant gagner toujours plus. Anna par exemple est rentrée sur AccGn via son cousin. « J’ai retiré de mon compte 550 euros, que j’ai mis sur AccGn, explique-t-elle. Le lundi d’après, il y a eu des grosses offres et j’ai remis la même somme, donc 1 100 euros. Mon cousin, lui, pendant l’offre, il a mis 7 000 euros, sa mère et son beau-père ont mis 2 400 euros sans compter les 460 euros investis de base, et ma cousine 1 200 euros en plus des 460 euros de base. » Des sommes importantes, sachant que, selon de nombreux témoignages sur le groupe Telegram, certains auraient mis beaucoup plus.

Le nombre de participants grandit par le biais du parrainage. Eddy, rentré le 1ᵉʳ juillet dernier, a ainsi recruté 26 personnes. Les personnes parrainées directement composaient le groupe 1 des parrains, celles que les personnes du groupe 1 faisaient rentrer intégraient le groupe 2, et idem pour le groupe 3. « Sur le groupe 1, je touche 12 % de leur commission, pas tirés de leurs bénéfices à eux, mais donnés en bonus par la plateforme, sur le groupe 2, 5 % et sur le groupe 3, 2 % », explique Eddy, qui passe alors au statut de « chef d’équipe ». Des gains qui se rajoutent aux 1,35 % à 1,55 % de rémunération de base. « Des gains d’1,35 % par jour, surtout garantis, ça n’existe pas », se dit Eddy aujourd’hui. S’il était sceptique au début, notamment du fait du siège de Denver et du site Internet « où il n’y avait que des images d’intelligence artificielle », il s’est lui aussi laissé convaincre. Et, au lieu de retirer régulièrement ses gains, il les a laissé fructifier, tant en USDT qu’en GE, la cryptomonnaie maison d’AccGn, qui n’a pas d’existence en dehors du système.

« Ça y est, la pyramide tombe »

Régulièrement, la plateforme propose des promotions, encourageant à remettre toujours plus. Le 22 septembre, première alerte : l’Autorité des marchés financiers met AccGn sur sa liste noire (voir ci-dessous). Petit à petit, le doute gagne certains investisseurs. Jusqu’au 1er octobre : « À partir de cette date, tous les paiements sont revenus refusés », retrace Eddy. C’est le début de la fin. Un compte Instagram servant à faire la promotion de la plateforme en France ferme, le site français d’AccGn est mis hors ligne, l’adresse du bureau de Saint-Paul disparaît de Google, sur place le logo y est enlevé, les bureaux vidés.

Et, le 7 octobre, les investisseurs se retrouvent face à un chantage en se connectant à l’application : soit ils déposent 120 USDT pour d’obscures raisons fiscales, soit leur compte, et avec lui les sommes investies et leurs gains, disparaissent « dans les 72 heures », précise Eddy, capture d’écran à l’appui. « Là, j’ai compris que c’était définitivement fini, affirme Anna. J’ai supprimé l’application, j’ai téléchargé un antivirus, j’ai fait une croix sur mon argent. » « Ça y est, la pyramide tombe », se dit pour sa part Romain. Pour Marc(*), investisseur originaire d'Agde, c'est clair : « Il n'y a aucune intelligence artificielle dedans, pas de trading, c'est une arnaque, une mise en scène très bien faite. »

À gauche, un post visant à crédibiliser l'application, au centre un gain présumé et à droite le message incitant les investisseurs à remettre 120 USDT pour débloquer leur compte • Captures d'écran

Pour les investisseurs, les pertes sont significatives : Marc y laisse 5 145 euros, Eddy 1 200 euros, Anna 1 100 euros, Romain 500 euros. D’autres, comme Romain, s’en sortent mieux : « Je savais que c’était une arnaque, on prend le train en marche en sachant qu’il peut s’arrêter à tout moment en espérant faire un peu de bénéfice », ce qui a été son cas, malgré 600 euros restants sans doute définitivement perdus aujourd’hui. Pour Eddy, le plus dur aujourd’hui n’est pas la perte de ses 1 200 euros : « Ce que je vis très mal, c’est d’avoir embarqué 26 personnes là-dedans », souffle-t-il, affirmant se sentir « un peu merdeux » en arrivant au travail. Autre inquiétude : les investisseurs avaient dû fournir une photo de leur pièce d'identité pour accéder à AccGn, et certains craignent désormais une usurpation d'identité. Nombreux sont ceux qui comptent désormais engager une plaine collective devant la justice. 

« Aujourd’hui, on reçoit des milliers de menaces de mort »

Désormais, les personnes identifiées comme des promoteurs d’AccGn, que ce soit à Bagnols, à Bollène ou à Saint-Paul-Trois-Châteaux, font l’objet de menaces, d’après des messages Telegram que nous avons pu lire. « Aujourd’hui, on reçoit des milliers de menaces de mort », affirme Cyril Navarro-Diaz, le vidéaste bollénois. Lui l’affirme, les vidéos réalisées étaient des prestations, « payées en USDT, que je ne reverrai pas » : « On est tous des victimes, mon beau-frère Nico avait des sommes astronomiques sur l’application, ni lui ni moi, si on avait su que c’était une arnaque, n’y aurions participé. Si on avait voulu escroquer des gens, on ne l’aurait pas fait avec nos noms et nos photos. Aujourd’hui, Nico est dans la panique car tout le monde le menace et qu’il est en train de tout perdre », martèle-t-il. Quant aux instigateurs, s’il affirme ne pas les connaître, il est sûr d’une chose : « Ce ne sont pas des paysans de Bollène ou de Bagnols qui auraient pu faire ça. »

Pour lui, « tout le monde avait compris » ce qui se tramait avec AccGn. « On a toujours dit dans les réunions de ne mettre que l’argent qu’on était capable de perdre, comme au casino, reprend Cyril Navarro-Diaz. Mais des gens ont mis l’argent de leur société, certains ont mis 30 000, 40 000, 50 000 euros et ont tout perdu. » Reste que des plateformes comme AccGn, il y en aurait encore bien d’autres, plusieurs dizaines selon certains témoignages. Alors après cette plateforme, « il y en aura une autre demain, et encore une autre après-demain », pronostique Romain. Qui n’exclut pas de retenter sa chance.

* Tous les prénoms signalés par une astérisque ont été modifiés pour des raisons de préservation de l’anonymat.

La liste noire de l’Autorité des marchés financiers

Contactée, l’AMF nous a répondu qu’elle n’effectue « jamais de commentaire sur des cas particuliers car elle est tenue par la loi au secret professionnel. » Sur la liste noire, « Quand l’AMF détecte, au travers de sa veille ou de signalements des épargnants, un site internet frauduleux ou non autorisé à proposer ses services en France, elle procède à une analyse qui peut permettre de placer le site internet sur sa liste noire. L’inscription sur liste noire permet d'alerter le public. Ces listes noires sont mises à jour régulièrement mais ne peuvent être exhaustives : de nouveaux acteurs non autorisés apparaissent régulièrement. Si un site est sur liste noire, il ne faut pas donner suite à ses sollicitations. Si la société recherchée ne figure pas sur ces listes noires, il est recommandé de vérifier qu'elle dispose bien des autorisations nécessaires pour exercer son activité en France en consultant les registres officiels Orias et Regafi, et les listes blanches de l’AMF. »

Par la suite, l’AMF peut saisir un juge pour bloquer les sites en question : « En 2024, 181 adresses de sites internet ont été fermées : 117 sur décision de justice et 64 par l’opérateur à la suite d’une injonction de l’AMF. »

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