FAIT DU JOUR Coutellerie-quincaillerie Vasserot : l'épilogue d'une histoire familiale vieille d'un siècle
Ce vendredi 31 décembre, la coutellerie-quincaillerie Vasserot baissera son rideau pour la dernière fois. Créée il y a presque un siècle rue Pierre-Semard, cette boutique familiale est devenue l'une des incontournables du centre-ville de Nîmes. À 48 heures de la fermeture définitive du magasin, Florence et Chantal Vasserot nous invitent à un voyage dans le temps.
Sur place rien n'a changé ou presque. Les immenses étagères où s'entassent les vis, les clous et à peu près tous les outils et ustensiles ménagers possibles et imaginables ont traversé le temps. L'histoire de ce magasin qui fait aujourd'hui partie du patrimoine des Nîmois remonte à 1925. Arrivés d'Italie, les grands-parents des deux gérantes actuelles ouvrent un atelier d'aiguisage, rue Pierre-Semard. "À l'époque, on appelait ça une taillanderie, précise Florence Vasserot. On y trouvait des forces à tondre pour les moutons, mais aussi des sécateurs et des ciseaux de vignes pour les travaux agricoles. Ce n'est qu'au bout de quelques temps qu'ils se sont mis à vendre des couteaux."
Et ce n'est que plus tard encore, après la Seconde Guerre mondiale, que la famille acquiert les murs du magasin de conduites de cheminées attenant pour le transformer en quincaillerie. Dans les années 1950, la nouvelle génération prend le relais. Deux cousins, tous deux chauves et prénommés Pierre, développent l'affaire. Florence et Chantal, elles, naissent dans l'appartement situé à l'étage. "On a toujours baigné là-dedans, soulignent-elles. On voyait tout le temps du monde. On jouait dans la cave, puis, en grandissant, on donnait un coup de main de temps en temps."
"À la fin des années 1970, Pierre, le cousin, est décédé, complète Chantal. Nous venions d'avoir le bac et sommes arrivées pour aider notre père. Il était plutôt facile à vivre et ne disait jamais un mot plus que l'autre." Pendant près de 35 ans, la famille travaille de concert, partageant les réussites et les coups durs. "En 1988, avec les inondations, on a cru tout perdre, se souvient Florence. Nos caves ont été remplies et on avait 50 centimètres d'eau dans le magasin. Pour vous dire, les gens passaient en kayak dans la rue !"
Finalement, les Vasserot se relèvent. Inébranlable, Pierre travaille au magasin jusqu'à son dernier souffle, en 2014, à l'âge de 84 ans. "Été comme hiver, il avait sa blouse grise et son stylo sur l'oreille, se rappellent ses filles. Il était pince sans rire et aimait glisser des bons mots aux clients. Ses conseils étaient toujours très appréciés. Il savait de quoi il parlait : sa boutique, c'était toute sa vie. À la fin, il continuait à servir alors même qu'il ne voyait plus rien. Au toucher, il reconnaissait encore n'importe quelle pièce. De sa vie, notre père n'a jamais vu un médecin. C'était un robuste."
Jusqu'à leur retraite, Florence et Chantal poursuivent son œuvre avec passion. Si leur service de proximité reste apprécié par les fidèles de l'enseigne, de nouveaux clients l'ont découvert plus récemment. "Il y en a certains que l'on voyait déjà venir avec leur père quand ils étaient enfants et qui sont aujourd'hui grands-parents, rigole Florence. Mais ces derniers temps, on a aussi beaucoup de jeunes qui viennent chez nous à vélo ou en trottinette. Peu à peu, le mouvement s'inverse : ceux qui ont boudé le centre-ville reviennent. Ils prennent conscience des avantages des commerces de proximité par rapport aux grandes surfaces. Chez nous, on peut se faire conseiller et acheter au détail."
Plus encore que la quincaillerie, ce sont les couteaux suisses et autres opinels de qualité qui ont été dévalisés à l'approche des fêtes. "Nos fournisseurs sont les mêmes depuis des années, indique Chantal. On est sûres de ce que l'on vend. Nos partenariats sont tellement anciens qu'ils gravent nos noms sur les couteaux." De quoi permettre aux clients fidèles de s'offrir un dernier souvenir de cette boutique pas comme les autres.
Car en 2022, il sera trop tard. Florence et Chantal Vasserot profiteront d'une retraite bien méritée. "Ça nous tenait à cœur de faire perpétuer l'héritage familial, expliquent-elles. Mais, contrairement à notre père, nous ne souhaitions pas travailler jusqu'au bout. Nous voulons voyager, profiter de nos petits-enfants." Mûrement réfléchi, ce choix n'en est pas moins un crève-cœur. Après avoir partagé la nouvelle avec leurs clients fidèles et invité certains professionnels à récupérer ce qu'il restera d'invendus, les deux sœurs se retireront ce vendredi, en toute discrétion. Si rien n'est encore décidé pour l'avenir de la boutique, les sœurs Vasserot refermeront bien le livre ouvert par leurs grands-parents en 1925.
Boris Boutet